Trois
jeunes sont cités à comparaître ce matin pour « soustraction
frauduleuse » de produits périmés dans la poubelle d’un supermarché.
Tout
commence par un frigo vide, un soir de printemps. Nous sommes le
27 mai, à Montpellier. Léa, Mike et Adrien, étudiante, chômeur et
technicien du spectacle, vivent de récupérations et de débrouilles.
Depuis trois ans, avec d’autres, ils squattent un immeuble du
centre-ville qu’ils ont rebaptisé « le Kalaj ». Pour manger, ils ont
pris l’habitude de faire les poubelles des supermarchés. Un mode de
consommation parallèle basé sur les tonnes de produits consommables
jetés chaque jour par la grande distribution. « Les produits sont
périmés de la veille ou du jour même, mais ils sont toujours bons,
assure Adrien, vingt-cinq ans. Ce soir-là, il y avait plein de foie gras
et de saumon, c’était une bonne pêche. On avait de quoi nourrir huit
personnes pendant deux semaines. »
Léa, Mike et Adrien arrivent vers 22 h 30 à l’Intermarché de
Frontignan, à une vingtaine de kilomètres de Montpellier. Ils enjambent
un muret pour pénétrer à l’endroit où sont entreposés les sacs-poubelle.
Une fois arrivés derrière le supermarché, ils récupèrent les
sacs-poubelle remplis de victuailles. « On trie, on se sert et on
nettoie derrière nous, précise Adrien. Notre objectif n’est pas de faire
chier le magasin, on veut revenir. » Mais quand les trois glaneurs
reviennent au camion, ils sont cueillis par la brigade anticriminalité
(BAC). « La totale, se souvient Adrien. Mains en l’air, fouille au corps
et du véhicule… Ils étaient persuadés qu’on avait volé dans la réserve
du magasin. Quand ils ont vu que c’étaient des sacs-poubelle qui puent
avec des produits périmés, ils ont compris. »
Ils risquent jusqu’à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende
Pourtant, les trois jeunes gens sont emmenés au poste où
ils écopent de douze heures de garde à vue – avec prises d’empreintes,
d’ADN – et d’une citation à comparaître, le parquet ayant décidé de
poursuivre. « C’est n’importe quoi ! s’emporte Adrien. La pauvreté est
criminalisée et la BAC protège le profit d’une entreprise, au lieu de
garantir la sécurité des citoyens. » Les trois « délinquants » doivent
comparaître ce matin devant le tribunal correctionnel de Montpellier
(Hérault). On leur reproche la « soustraction frauduleuse de denrées
périssables avec date dépassée », délit assimilé à un vol, et aggravé
ici par trois circonstances : « De nuit, en réunion et par escalade. »
Ils risquent jusqu’à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende. Ce
type de procès n’est pas le premier. À Nantes, en juillet, un
« zadiste » de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) avait pris trois
mois de prison avec sursis et 105 heures de travail d’intérêt général
(TIG) pour « vol » de denrées périmées dans les poubelles d’un Super U.
« Je suis confronté à ce genre de poursuites assez régulièrement,
raconte l’avocat nantais Stéphane Vallée, qui avait défendu le jeune
homme. Avec les Roms dans les déchetteries, c’est exactement la même
volonté de pénaliser la misère. Ça paraît incroyable que le simple fait
de prendre ces denrées, destinées au camion-benne, soit considéré comme
du vol. Dans le cas des zadistes, les produits “volés” leur avaient été
restitués, ce qui montre la difficulté des poursuites… » Les trois
Montpelliérains avaient, eux, dû verser leur butin sur le trottoir
devant le commissariat, mais se sont arrangés pour en garder une partie.
Avec la crise économique, les glaneurs, que filmait déjà la
réalisatrice Agnès Varda en 2000, se sont multipliés. Ce système D, s’il
témoigne de la pauvreté grandissante, met aussi en exergue le
gaspillage alimentaire de la grande distribution. « Il y a urgence à
mettre en place des mesures législatives pour régler ce problème,
soutient André Chassaigne, député communiste, signataire d’une
proposition de loi en juillet pour astreindre les grandes surfaces à
proposer leurs invendus alimentaires à des associations caritatives. On
ne peut pas, d’un côté, laisser partir à la benne des produits certes
périmés mais consommables, et, de l’autre, reprocher à des gens de faire
de la récupération parce qu’ils sont en grande précarité. »
Pour une dépénalisation de la récupération
Pour dénoncer ce gâchis, le collectif les Gars’pilleurs a
une démarche intéressante : ils récupèrent des produits la nuit dans les
poubelles des commerces (supermarchés, boulangerie, etc.) et les
redistribuent le lendemain sur la place publique. « On fait surtout ça
pour que les supermarchés se bougent et redistribuent eux-mêmes les
denrées, explique Léo, membre de ce
collectif. Quand on n’aura plus à
le faire nous-mêmes, on aura gagné ! » Ce glaneur espère que le procès
montpelliérain mettra ce problème sur la place publique et exige, à
terme, une dépénalisation de la récupération. L’avocat des trois
Montpelliérains plaidera la relaxe – ou au moins la dispense de peine –
en invoquant « l’état de nécessité ». « Vu leurs revenus très faibles,
ils ont trouvé ce palliatif pour se nourrir », argumente Me Jean-Jacques
Gandini. L’audience
devrait être renvoyée en raison d’une journée de
grève des avocats. Mais aussi parce que les prévenus réclament une
collégialité de jugement, à la hauteur des années de prison en jeu…
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