NDLR : Un compagnon libertaire
algérien a porté à notre attention ce texte écrit par deux libertaires
d’Algérie. Après lecture, nous avons trouvé ce texte savoureux pour son
humour sucré salé et la profonde pertinence des propos qui y sont tenus
sur la représentativité de l’autre et comment nous construisons les
préjugés de demain sur les phantasmes d’hier, en ne bien voulant voir
chez l’autre, que ce que nous voulons y voir. Nous vous prévenons, ça
risque de ne pas plaire à tout le monde, mais comme le disait si
justement Serge Gainsbourg : “Ce n’est pas des dents que cela va faire
grincer. C’est des dentiers…”. Avec leur consentement, nous le publions
donc, en les remerciant vivement pour cet éclairage et la confiance
qu’ils nous apportent.
Comment un Webdocu reconstruit de nouveaux clichés de l’Algérie
Aujourd’hui, un article est paru dans El Watan. Cet article présentait le travail fourni par Camille Leprince (Sciences Po Paris, Chargée de mission chez CCFD Terre solidaire) sur les jeunes artistes algériens. L’article est rédigé par Mélanie Matarese (Sciences Po / Ex rédactrice en chef de Dziriet/El Watan Week end).
Mélanie Matarese a partagé l’article via facebook en mettant cinq bonnes raisons de voir le webdocu ! Nous nous proposons de vous donner nos 5 raisons (+ une raison en bonus et nous laissons libre le champ pour allonger la liste à ceux/celles qui veulent) ; afin de ne pas encourager ces initiatives et de dissuader les jeunes français et françaises de venir raconter l’Algérie à partir des hauteurs d’Alger La Blanche / Alger le Fantasme (oh, mais ça nous rappelle des épisodes de l’histoire ça, dis donc !):
1- D’abord c’est un Webdocu sonore qui
donne la parole à des algérienNEs, mais ceci en langue française. Oui
l’Algérie francophone sans la francophonie… oui les algériens parlent
bien le français et ont très peu l’accent bougnoule… oui, etc ! mais le
fait de parler en français d’emblée tronque le public et le rideau tombe
trop vite pour prouver encore une fois que si on s’intéresse à ces
petits algériens c’est bien pour émoustiller les petits français de
gauche qui regardent avec leur œil de retraité-militant et leur esprit
intellectuel les reportages de TV5 Monde avant de s’adonner au plaisir
sonore d’Arte la nuit.
En sachant que, et même si c’est
difficile à croire, tous les algériens ne parlent pas et ne comprennent
pas le français. Ceci est réservé à une classe sociale bien distincte
qui vacille entre le jeune bourgeois, le rescapé de la classe moyenne et
l’eternel citoyen moyen qui traine aux beaux arts d’Alger et qui fait
en sorte de garder ce lien avec ce qui alimente le fantasme ambiant, ce
faux semblant de « l’Algérie profonde » !
2- La phrase de Mélanie Matarese : « Il a été fait par une nana qui connaît VRAIMENT l’Algérie et qui l’aime comme elle est. »
Je veux bien comprendre, comment une
personne qui a vécu 2 ans, 3 ans, 10 ans même en Algérie peut elle
connaitre VRAIMENT l’Algérie, alors que moi/moi ou lui ou elle, ne
pouvons nous vanter d’une telle chose ?! Nous ne cessons de découvrir
l’Algérie, nous qui y sommes néEs ! Nous ne cessons de découvrir les
AlgérienNEs, nous qui en faisons partie ! Nous ne cessons de découvrir,
parce que justement, nous savons que nous sommes pluralité, que nous
sommes évolution, que nous ne cessons de nous connaitre !
Cette phrase est un outrage, c’est une insulte, notre réponse c’est de la colère !
3- La phrase de Mélanie Matarese : « 4- On peut enfin quelqu’un entendre dire en ON que le circuit culturel officiel, bezzzzzzzaf. »
Parce que nous ne l’avons pas comprise, nous ne sommes pas sûrs que ce soit du français !
4- Les artistes dépeints ; et non pas
seulement dans le travail de Camille Leprince, mais à peu prés dans tout
ce qui a été présenté ces dernières années par des
journalistes/photographes/documentaristes/bédéistes/artistes
occidentaux, représente une catégorie d’artistes dont le travail, le
mode de vie et de pensée se rapproche, étrangement ou pas, à la culture
occidentale.
Il n’est pas surprenant de voir autant
d’engouement de votre part, lorsque vous trouvez des artistes du tiers
monde qui maitrisent les techniques que vous inventez. Cela parait
naturel de vous voir vous rapprocher de ce qui vous ressemble lorsque
vous êtes dans un pays/culture/société étrange et soyons francs tant que
nous y sommes, une société bérbero-arabo-musulmane.
Donc, cette société tantôt voilée,
tantôt « civilisée » vous fascine chers visages pâles, mais vous
préférez nettement le côté civilisé ! Parce que, hein, on n’est pas en
Afghanistan quand même !
Il est temps maintenant, de faire le
rapprochement avec la colonisation ! Nous savons, ce n’était pas
forcément volontaire et nous croyons tendrement en l’authenticité de vos
sentiments ! Mais le conditionnement, chers amis explorateurs, eh bien
le conditionnement est teigneux et ne se lave pas à coup d’eau de Javel !
La colonisation nous a appris que le
chemin le plus simple pour assujettir était de bourrer les esprits à
coup de tendresse et de compassion ! À coup de « nous venons vous sauver
et vous apporter la civilisation chers barbares », en nous disant que
les images qu’on fera de nous seront nous ! Que les clichés qu’on
fabriquera de nous, seront nous !
Dans le reportage de Camille Leprince,
l’artiste Oussama Tabti l’explique avec justesse, d’ailleurs. Le
problème étant, que l’on essaye par ces multiples reportages et
émissions de reforger une image du jeune algérien.
Dans tous les reportages, ce sont les
mêmes profils, les mêmes artistes, les mêmes jeunes avides de dire et de
raconter. Sauf que c’est une seule image, qui fait un petit tour
touristique à la Casbah, qui défie les regards dans un café maure, qui
étale le voile blanc du haik comme une étoffe qui mêle l’érotisme et la
retenue ! Tout cela en faisant des allées et venues entre la modernité
et la tradition, de quoi garder le goût sucré de l’ancienne colonie et
la victoire occidentale de la traversée vers la civilisation !
Sauf, que nous ne croyons pas que la civilisation ne soit qu’occidentale.
5- Au fil de ces reportages, commandés
ou issus d’une volonté orpheline, d’un désir ou d’un besoin égoïste et
qui finissent projetés dans les mêmes cases télévisuelles et dans des
salles universitaires pour de futurs étudiants de Sciences Po, on a
l’amer impression que ces artistes dont vous parlez tant, vivent une
douleur algérienne sans remède ! Comme s’ils étaient seuls à souffrir !
Comme s’ils étaient les seuls à subir des politiques injustes, un
gouvernement infirme, une société dépressive !
Et on se retrouve confrontés à cette
phrase sans sens ni intérêt, qui est « toi, tu mérite de partir ! Toi,
ta place n’est pas ici » Sauf que ça, nous le savons, c’est la même
conclusion que nous avons tous eu. Nous savons tous que pour être libres
nous devons partir ! Ce n’est pas un mérite, ce n’est pas une
découverte d’ailleurs le nombre croissant de harragas (ndlr: ـة ḥarrāga, ḥarrāg,
terme algérien signifiant « ceux qui brulent » et désignant les
immigrés clandestins qui chaque année prennent la mer depuis les côtes
d’Afrique du Nord pour rejoindre l’Europe au péril de leurs propres
vies), n’en est que la preuve.
6- Parce que nous avons essayé
d’inverser la situation et franchement ça bloque ! Vous nous voyez venir
passer quelques années à galérer devant la préfecture à 3h30 du matin
sous la neige parisienne et à se voir refuser des permis de travail, et
se voir contrôler à la sortie des métros en France, puis décider de
faire un Webdocu sur les jeunes artistes français , la nouvelle vague
des beaux arts d’Avignon ou de Paris ?
Ça fait bizarre quand même ! Et vous
savez pourquoi, on n’aurait rien à raconter de sensationnel, si on y
arrivait quand même ? Eh bien c’est parce que beaucoup de français font
déjà des thèses, des reportages, des articles, des vidéos, des
représentations sur ça !
Il n’y a pas si longtemps, on avait déjà
écrit notre histoire pour nouEs ! Laissez nous écrire la notre, celle
que nous vivons, par nous-mêmes ! et vous savez quoi, si vous nous
trouvez lents à le faire, si vous nous trouvez maladroits ou pas assez
pertinents et intéressants, ceci ne vous regarde pas ! Nous ne sommes
plus ni des sbires, ni des colonisés, ni même un produit à façonner en
français, à l’occidentale ou à la sauce Couscous Conspiracy (copyright
Fabriq Algeria) !
Nous ne sommes pas une fabrique, nous ne
sommes pas un jardin d’essai, nous ne sommes pas un champ
d’exploration, ni un nouveau monde à « ne pas» découvrir.
N.B : le
choix de langue est relié au fait que nous adressons ce texte à nos
compatriotes français et autres francophones ! Les autres, ceux/celles
qui sont invisibiliséEs, ceux/celles qui sont silencianséEs nous leur
adressons nos réflexions par d’autres biais !
KZKS
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