Grand Entretien avec Richard David Precht
Source : CLES
par Patrice van Eersel
Très populaire outre-Rhin, ce philosophe allemand démontre l'archaïsme du système scolaire occidental...
[EXTRAIT - Entretien à lire en intégralité dans CLES Août-Septembre]
Sa célébrité n’a pas encore vraiment atteint la France mais, en Allemagne, depuis sept ans, c’est un phénomène. Comment expliquer le succès de Richard David Precht, dont certains ouvrages se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires ? L’intéressé pense tenir la clé : “Je joue dans mon pays un rôle qui n’était jusqu’ici occupé par personne : celui du philosophe public, qui parle à la télé. De notre côté du Rhin, nous n’avons pas la culture des philosophes comme Sartre, Camus, Derrida, Deleuze ou Foucault (aujourd’hui Comte-Sponville, Onfray, Ferry, Enthoven et, bien avant eux, Voltaire, Rousseau, Diderot) qui interviennent dans la vie publique et que personne ne s’étonne de voir s’exprimer sur tout, de la politique à l’amour. Outre-Rhin, même Habermas ou Adorno, les plus fameux contestataires des années 1960-70, demeuraient à l’intérieur du cadre académique et n’auraient jamais fréquenté un talk-show télévisé.”
Sa célébrité n’a pas encore vraiment atteint la France mais, en Allemagne, depuis sept ans, c’est un phénomène. Comment expliquer le succès de Richard David Precht, dont certains ouvrages se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires ? L’intéressé pense tenir la clé : “Je joue dans mon pays un rôle qui n’était jusqu’ici occupé par personne : celui du philosophe public, qui parle à la télé. De notre côté du Rhin, nous n’avons pas la culture des philosophes comme Sartre, Camus, Derrida, Deleuze ou Foucault (aujourd’hui Comte-Sponville, Onfray, Ferry, Enthoven et, bien avant eux, Voltaire, Rousseau, Diderot) qui interviennent dans la vie publique et que personne ne s’étonne de voir s’exprimer sur tout, de la politique à l’amour. Outre-Rhin, même Habermas ou Adorno, les plus fameux contestataires des années 1960-70, demeuraient à l’intérieur du cadre académique et n’auraient jamais fréquenté un talk-show télévisé.”
Precht, lui, a été lancé par son passage dans l’émission d’Elke
Heidenreich, la Bernard Pivot allemande, pour son best-seller au titre
surréaliste,“Qui suis-je et, si je suis, combien ?”. Une quête kantienne
rédigée comme un thriller, dans un langage souvent drôle (qui contraste
avec l’air hypersérieux que son auteur affiche généralement) et
mélangeant le doute cartésien et “Star Trek”, l’enthousiasme nietzschéen
et le triomphe des Rolling Stones, la caverne de Platon et la
cyberréalité… Bref, un raconteur d’histoires provocateur, qui aime
replacer les grands auteurs philosophiques et leurs lecteurs dans leurs
contextes de vie respectifs.
L’homme est par ailleurs un passionné de sciences, notamment de
neurologie. Une passion qui, curieusement, l’amène aujourd’hui à
focaliser son attention sur l’école et la pédagogie. Et à proposer une
véritable utopie éducative pour le XXIe siècle. C’est surtout pour cette
raison que nous désirions le rencontrer.
A vous lire, vous auriez pu aussi bien devenir scientifique
que philosophe. Le cerveau, l’embryon, l’évolution : les sciences
naturelles vous passionnent…
Oui, depuis l’enfance ! Paradoxalement, je les aimais tant que je n’ai
jamais voulu les mêler à la chose scolaire. Je ne les ai pas étudiées à
l’université, par peur d’être déçu par le commentaire desséchant qu’on
m’en ferait. J’ai donc étudié la philosophie, tout en me tenant informé
par moi-même des avancées des sciences du vivant. Si nous nous trouvions
devant un aquarium tropical, je pourrais vous en décrire tous les
habitants, leur physiologie, leurs mœurs. Je passe des heures avec des
biologistes ou des éthologues qui sont souvent surpris de tomber sur un
philosophe si épris de leurs travaux.
Votre dernier livre, « Anna, l’école et le bon Dieu » (pas
encore traduit en français), utilise les récentes découvertes sur le
cerveau pour s’attaquer férocement au système scolaire occidental dont
vous dites qu’il « trahit nos enfants »…
Absolument. Pourquoi diable l’école resterait-elle obstinément
étanche à toutes les découvertes des neurocognitivistes, des
psychologues du développement, des évolutionnistes, des linguistes, des
anthropologues ? Le monde des grandes entreprises est souvent plus
éclairé que nos écoles qui continuent à fonctionner, au fond, sur le
modèle de la société industrielle, vieux de plus d’un siècle.
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