Ces lobbys qui nous pourrissent la vie – épisode 1
Source : terrains de luttes
Au début des années 1980, on nationalisait les banques. Depuis 2008, on nationalise la dette des banques. 50 milliards épongés rien qu’en 2008.
Pas de quoi arranger les finances publiques. Mais peu importe, cette
mise en faillite de l’Etat ouvre la voie à un nouveau marché :
conseiller en destruction de biens publics.
Vous avez besoin de trouver 50 milliards
d’économie avant la fin de l’année pour satisfaire aux desiderata
bruxellois ? Aucun souci, la fondation IFRAP, un think tank spécialisé
dans la réforme des politiques publiques [sic] sait déjà où
taper pour faire des économies sur le dos des citoyens ordinaires.
Faut-il supprimer le Conseil d’Etat ? Réduire le corps prestigieux des
ingénieurs des ponts et chaussées ? Diantre non, c’est précisément à eux
que l’on essaie de vendre ces conseils en économie. L’ennemi est
ailleurs : il faut tailler dans la masse des services publics, ceux que
le Medef verrait bien par ailleurs sous-traités au privé, via des
petites PME locales ou des grands groupes prêts à s’occuper de nos
écoles, de nos prisons ou de notre santé.
Commençons par le plus évident. En partenariat avec le Figaro, l’IFRAP a ainsi listé pas moins de 50 recettes pour économiser 50 milliards. Petit passage en revue de ce musée des horreurs.
En finir avec la médecine et l’école publiques
Dans le secteur de la santé, les solutions étaient finalement assez simples à trouver. Il suffit « de faire converger les tarifs des hôpitaux publics avec ceux du privé » et de « développer la chirurgie ambulatoire ». La chirurgie ambulatoire ?
Un joli mot pour dire que le patient sortira le jour même de son
admission à l’hôpital, aussitôt l’opération réalisée. Il se reposera à
domicile, loin de tout suivi médical. L’IFRAP a donc déjà trouvé un
moyen pour faire des économies : rendre les hôpitaux publics plus chers
(et donc le privé plus compétitif) et débarrasser les lits d’hôpitaux de
ces patients osant mettre trois jours à se remettre de leur
appendicite. Ces deux mesures pourtant simples nous permettraient
d’économiser déjà 9 milliards d’euros par an, sans compter l’argent que
gagneraient les chirurgiens possédant une clinique privée. Autre réforme
prévue en matière de santé, on pourrait « limiter l’Aide Médicale d’Etat aux soins essentiels et urgents »
(qui fait la liste de ces soins ?). Pour rappel, cette aide médicale
couvre les plus faibles. Elle est vitale pour beaucoup de sans-papiers
et leurs familles. Pour parfaire la réforme, on pourrait aussi rétablir
« les jours de carence dans le public ». Mais surtout il suffirait d’inciter les médecins à réduire « les actes inutiles » et pour cela taper dans le porte-monnaie des patients en réduisant « à 60% les remboursements des soins hors série [pourtant] approuvés par les médecins traitants ».
Dans le secteur de l’éducation, les choses là aussi sont pourtant simples. Il faut aller plus loin dans la « décentralisation », c’est-à-dire en finir avec une école publique adossée à l’Etat et « laisser les communes gérer tous les établissements scolaires de leur zone ».
Cela tombe bien car comme l’IFRAP projette également de fusionner des
communes, on pourrait aussi réaliser à l’échelle de ces nouvelles
grandes communes « la fusion des écoles primaires (au fait on supprimera aussi au passage « 42 sous-préfectures »).
Vous aviez pris l’habitude d’avoir une école à proximité de votre
domicile ? Apparemment vous n’avez pas compris à quel point il vous
fallait faire des efforts pour sauver le service public. Cette
suppression des écoles superflues nous permettrait pourtant de dégager
pas moins de « 10 milliards d’économie ». Sans compter que l’on pourrait aussi « désindexer l’allocation de rentrée scolaire » et faire ainsi en sorte d’économiser 369 millions d’euros supplémentaires.
Au boulot les feignasses
En matière de résorption du chômage, l’IFRAP aussi a quelques idées pour relancer la machine. Il suffit « d’augmenter la durée de cotisation et rendre les allocations dégressives ».
On pourrait ainsi faire 6 milliards d’économie sur les cotisations que
les travailleurs se paient pourtant à eux-mêmes. Autre solution :
traquer ces foutus « chômeurs frontaliers » « avec l’aide de la Suisse »,
des fois qu’il y en ait qui aient eu l’idée de cumuler deux allocations
de chômage en travaillant dans deux pays. De toute façon, ne
faudrait-il pas au final « une allocation unique », « réunir le RSA, les allocations logement, la prime pour l’emploi en une seule allocation plafonnée avec un guichet unique » ?
Cette allocation sociale unifiée permettrait d’éviter le cumul de
droits sociaux et de réaliser 800 millions d’euros d’économie
supplémentaires sur les foyers les plus modestes. On pourrait au passage
d’ailleurs « aligner le régime des intermittents sur celui de l’intérim ».
Cela aura peu de conséquences car toute politique culturelle est
superflue en temps de crise. Dans la mesure où on aura rogné un peu sur
toutes les retraites et tous les salaires des fonctionnaires (dont on
gèlera la progression à l’ancienneté) qui pourra aller voir des
spectacles ou se payer un ciné ? L’IFRAP propose donc logiquement de « cesser toute subvention aux Fonds Régional d’Art Contemporain » (15 millions d’euros d’économie), « revoir le financement du CNC », « réduire les subventions aux associations de 5% », « supprimer le dispositif du 1% artistique »…
Vous trouvez ces méthodes un peu extrêmes ? Vous faites fausse route. Depuis décembre 2009, la fondation IFRAP est reconnue d’utilité publique. Un statut fiscalement avantageux et qui lui permettra sans doute de rendre bien des services aux citoyens.
Des chiffres « très sérieux » prêts à l’emploi pour les journalistes
De ces propositions abjectes qui ne se
limitent le plus souvent qu’à détruire les protections sociales des
personnes les plus exposées à la crise, les journalistes ne retiennent
le plus souvent que deux choses. D’une part, que « des solutions
existent » (effectivement on en a vu la teneur) et d’autre part le
montant potentiel des économies que l’on pourrait réaliser si on
appliquait de telles coupes sombres. Ainsi, Jean-Baptiste Noé,
éditorialiste pour le journal l’Opinion, et qui « ne désespère pas que des rues de France portent un jour le nom de Margaret Tatcher » reprend dans l’édition du 28 août les chiffres de l’IFRAP. Il considère qu’en matière d’école on pourrait ainsi économiser chaque année « entre 35 et 47 milliards d’euros ». M6 s’alarme du fait que la RATP
a installé des escalators trop larges ? Qu’à cela ne tienne, Agnès
Verdier Molinié, la directrice de la fondation est prête à rappeler les
vertus d’une privatisation de la SNCF et d’autres services publics.
Les chiffres proposés par l’IFRAP sont
ainsi parfaitement ajustés aux besoins des éditorialistes libéraux. Qui
dans le grand public sait ce qu’est l’IFRAP lorsque l’on mentionne ses
chiffres au passage ? Qui sait s’il s’agit d’un institut public
produisant des statistiques ou bien d’un organisme vivant de dons privés
et discutant sans compétence statistique et au passage certains
chiffres de l’INSEE ? Directement ou indirectement, les conseillers de
l’IFRAP relaient ainsi la bonne parole de média en média, à la suite de
leur président Bernard Zimmern, ancien polytechnicien pantouflard chez Renault, reconverti dans la critique de la bureaucratie (comme dans son livre « Les profiteurs de l’Etat »).
Le personnage a deux faces. D’un côté, il pourfend l’administration qui gaspille et de l’autre, en tant qu’administrateur du fonds d’investissement Capital initiative il facilite l’introduction en bourse des PME. Il investit dans les entreprises de taille moyenne via le rachat temporaire d’actifs
(RTA) aux côtés de Gérard Nicoud (président du Conseil National des
Entreprises), un militant de la cause patronale qui défend les
entrepreneurs « face aux abus des administrations fiscales et sociales ».
Le président de la fondation IFRAP investit ainsi à ses côtés dans des
petites entreprises « à fort potentiel » qui peuvent progresser sur des
territoires auparavant régis par le service public (comme cette
entreprise de nettoyage récompensée par le Conseil régional d’Alsace et qui pourrait se porter candidate auprès de collectivités locales tant elle applique bien les conseils de l’IFRAP de ne pas distinguer collecte et retraitement des déchets).
L’important lorsqu’une entreprise progresse, c’est surtout de ne pas
s’encombrer de comités d’entreprises et de syndicats dès lors que
celle-ci dépasse les 50 salariés (l’IFRAP a d’ailleurs produit une étude
là-dessus qui contrairement à l’INSEE pense qu’on perd là des centaines
de milliers d’emplois). Grâce à l’IFRAP, la critique du gaspillage de
l’argent public et la défense des petits entrepreneurs se rejoignent
enfin.
Ouvrir de nouveaux marchés sur les cadavres du secteur public
L’IFRAP est une de ces officines qui
imagine les recettes permettant de détricoter d’un côté le service
public afin de faciliter, de l’autre, l’éclosion d’un secteur privé
ajusté aux besoins des collectivités locales et sur lesquelles seront
externalisées un certain nombre de tâches (comme « la paie des fonctionnaires » comme
le suggère l’IFRAP). Que l’on ne s’y trompe pas, pour ces nouveaux
think tanks, il ne s’agit pas seulement de conseiller les collectivités
locales mais bien d’ouvrir au privé ce qui auparavant était du ressort
des institutions publiques. L’IFRAP n’est pas seulement l’idiot utile
des coupes sombres. Il est un accélérateur du repli du secteur public.
Le 29 juillet 2014 sur BFM Business (dont les conseillers de la fondation sont les invités permanents), la directrice du Think tank, Agnès Verdier Molinié,
plaide ainsi pour la suppression de la progression à l’ancienneté pour
les fonctionnaires des collectivités locales et le gel total des
embauches dans ces dernières. L’autre invité Michel Klopfer (lui-même responsable d’un cabinet de consulting en collectivités locales)
est pris à contre-pied. A libéral, libéral et demi. Peut-on vraiment
remplacer un maître-nageur partant à la retraite par un jardinier
s’interroge-t-il ? Mais cher Michel, conseiller les collectivités
locales pour bien gérer leur argent est aujourd’hui dépassé. Ce qu’il
faut désormais c’est ouvrir de nouveaux marchés, coûte que coûte.
Les conseillers de l’IFRAP suggèrent
d’ailleurs pour ce faire de mettre en place des « contrats de
partenariats territoriaux ». Les collectivités locales qui « s’engageraient
à baisser les principaux postes de leur section de fonctionnement,
suivant une approche par nature des dépenses (dépenses de personnel,
dépenses de fonctionnement courant (services communs), subventions pour
charge de service publics, interventions diverses, etc.) » auraient
un bonus financier de la part de l’Etat. Ce qu’il faut désormais, on
l’aura compris, c’est subventionner des opérateurs privés à même de
mieux gérer nos services publics. A côté des propositions de la
Fondation IFRAP, tout consultant en réduction des dépenses publiques
semble défendre des positions « modérées » et « raisonnables ». Car
l’heure n’est plus au seul « Conseil de l’Etat » mais bien à
l’exploitation directe des pans entiers de ce qui auparavant composait
notre bien public commun.
Patrick N’Golin (journaliste)
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