jeudi 4 septembre 2014

La McDonaldisation du travail social : nous y sommes !

par Didier DUBASQUE
Source de la diffusion : Oasis le portail du travail social


McDonaldisation est le terme inventé par George Ritzer [1] pour décrire un phénomène sociologique qui se passe dans notre société et dans le milieu du travail. J’ai découvert ce concept grâce à un article très intéressant publié dans Médiapart [2]. Anne Gervais nous explique dans son écrit que cette pratique se développe dans le domaine du soin. et notamment de la médecine en faisant référence à un article paru en espagnol [3].
J’ai pour hypothèse que nous sommes aussi entrés dans cette logique dans le travail social qui, rappelons-le, s’inscrit lui aussi dans le domaine du « care » du « donner soin ».

Le concept original de « McDonaldisation » de Ritzer comprend quatre points clés applicables à toute entreprise ou service :
  1. L’obsession de l’efficacité. L’organisation est construite en s’orientant vers la production maximale en minimisant le temps et le coût des services.
  2. La quantification des activités. Il faut utiliser le minimum de ressources nécessaires pour atteindre les objectifs. Il est impératif de quantifier chaque processus et le type de ressource utilisée.
  3. La prévisibilité des résultats. Toute personne avec un besoin égal doit recevoir la même attention, avec les mêmes résultats prévisibles.
  4. Le contrôle du processus. Les professionnels comme les ressources utilisées sont normés, vérifiés et si possible remplacés ou contrôlés par des technologies non – humaines.
Un site internet explique tout cela très bien mais il est en anglais [4].
Alors voici mon hypothèse :

1. Nous sommes inscrits aujourd’hui en travail social dans une recherche d’efficacité sans précédent.

Les dispositifs sont désormais les principales réponses aux problèmes de la société. Ce sont les outils de la McDonaldisation. Citons en quelques uns :
  • Le RSA (Revenu de Solidarité Active) avec ses contrats d’insertion qu’il faut sans cesse faire remplir afin que les allocataires puissent continuer de percevoir des prestations qui leur permettent tout juste de vivre en attendant qu’ils retrouvent du travail (comme s’il y avait du travail pour tous...) ;
  • Le FSL (Fond de solidarité au logement) pour la gestion de l’accès au logement, le SIAO (Système Intégré d’Accueil et d’Orientation) pour l’hébergement (comme s’il y avait suffisamment de logements et des loyers corrects) ;
  • Les IP (informations préoccupantes) en matière de Protection de l’enfance. Il s’agit d’un dispositif de surveillance, de veille, qui vise à atteindre un risque zéro impossible à atteindre...
  • La PCH (prestation compensation du Handicap) et l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) où en remplissant des grilles, sont mesurées les capacités d’autonomie des personnes qui entrent dans tel ou tel montant de compensation...
Il y en a beaucoup d’autres, mais j’en resterai là, c’est déjà bien suffisant. Tous ces dispositifs, s’ils sont utiles, permettent aussi de...

2. Quantifier, non seulement le besoin mais aussi le temps à passer pour les intervenants sociaux.

Ainsi, prendre en compte une information préoccupante (Protection de l’enfance) doit se dérouler en un certain temps, dont la moyenne a été calculée et a permis de définir le nombre de travailleurs sociaux nécessaires pour accomplir cette mission. C’est le même processus pour le calcul du nombre de travailleurs sociaux qui, dans certains départements, sont spécialement affectés à la gestion des allocataires du RSA. Les évaluateurs PCH ont x dossiers à traiter par jour en moyenne, il en est de même pour les instructeurs du FSL...

3. Tout cela présuppose que des normes standardisées soient établies...

...afin de permettre une bonne gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Les organisations sans cesse en mouvement se réorganisent au nom d’une efficacité prévisible ou chacun est placé non pas en fonction de sa profession mais en fonction de la tâche qu’il aura à accomplir. Ainsi par exemple dans un département, la réorganisation des services a permis à des agents travaillant dans des collèges d’investir le secrétariat d’un service d’Aide sociale à l’enfance, des assistantes sociales ont quitté le domaine du social pour investir le service communication ou celui des sports... Ce n’est plus la profession qui compte (sauf lorsqu’elle est règlementée comme pour la Protection Maternelle et Infantile ou l’Aide Sociale à l’Enfance...) c’est la compétence qui prime. Je ne porte pas de jugement sur ces processus, je les constate simplement.

4. Et nous arrivons enfin au contrôle des processus.

Alors que les professionnels de terrain et d’encadrement de première ligne se démènent avec les nouveaux logiciels mis à leur disposition et dont ils n’ont pas d’autres choix que les utiliser, les professionnels des services centraux pilotent à distance en observant les données et les chiffres que produisent les systèmes informatiques alimentés au quotidien par les agents administratifs travaillant dans les services sociaux (parfois ce sont les travailleurs sociaux eux mêmes). Les encadrements intermédiaires sont mis à contribution et doivent s’adapter, parfois sans formation, pour être en capacité de gérer la questions des ressources humaines, tels les remplacements liés aux arrêts de travail ou la gestion des congés et des notations, ou encore le flux des demandes d’aides, le respect des enveloppes financières allouées à tel ou tel type d’aide, le contrôle et la gestion des subventions etc. Tout cela à moyens constants ou plutôt à moindres moyens, les outils mis en place devant permettre les fameuses « économies d’échelle ».

Voilà nous y sommes, les 4 caractéristiques de la McDonaldisation du travail social sont remplies.

A force de ne penser que processus, diagrammes de Gant et autres méthodologies de projet, certains en oublient de réfléchir sur les causes qui font que les plus fragiles restent sur le bord de la route. Nous nous rassurons en pensant que les « voitures balais » que sont les travailleurs sociaux les récupèreront grâce aux dispositifs prévus pour cela... Maintenant, vous pensez peut-être aussi que tout cela semble assez bon . « Après tout, être plus efficace est une bonne chose . La recherche de la rationalité pour obtenir un résultat homogène et prévisible n’appelle aucune discussion dans le domaine [du soin]. On ne peut que souhaiter que [tous] puissent bénéficier d’un résultat prévisible et favorable en suivant des protocoles ». N’est-ce pas ? Mais pensez-vous que cela va aider à régler les problèmes liés à la pauvreté ? à la violence du quotidien ? à la détresse humaine quand on n’a plus rien ?
Notre sociologue George Ritzer nous prévient : une nouvelle caractéristique de cette « McDonaldisation » de la société est apparue et apparemment elle nous met en échec : l’intrusion de l’irrationalité - C’est un effet secondaire des systèmes les plus rationnels qui soient. Ritzer laisse entendre que c’est la cinquième dimension de la McDonaldisation. Ainsi à force d’être rationnel et de n’agir que de façon réputée efficace, l’humain a cette fâcheuse tendance à s’épuiser et à poser des actes qui ne collent plus du tout avec ce qui est attendu. Cet épuisement professionnel est une des conséquences de l’overdose de normes et de règles que le travailleur social doit utiliser pour respecter le dispositif mis à sa disposition. (Par exemple que penser d’une demande d’accès à un hébergement à un CHRS devant passer devant une commission départementale qui examine un imprimé de 8 à 10 pages qui sera refoulé s’il manque telle ou telle précision ?)
Enfin le dernier effet repéré et indiqué sur le site mcdonaldization.com est la trop fameuse « déqualification » des professionnels qui deviennent des « opérateurs » et abandonnent « l’art » de ce pour quoi ils ont été formés : en travail social ce sera l’écoute, le « faire » et le « construire ensemble » avec la personne lorsque justement aucune solution n’existe de prime abord face au problème posé.
Alors comment s’en sortir ? Peut être en prenant d’abord conscience des effets de ces politiques de dispositifs, en recherchant des solutions avec les personnes concernées, en tentant de trouver des réponses avec elles et non pas pour elles ni à leur place. Bref revenir à l’essence même du travail social.

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