Par Martine
Bulard
Le Monde diplomatique -
9 septembre
2013
La der des ders… Chaque fois qu’une réforme des retraites est lancée — sept depuis 1993 —, on assure que c’est la bonne et qu’enfin salariés comme retraités pourront vivre tranquille. Chaque fois, les promesses s’envolent et les gouvernants aggravent les ponctions, sans jamais s’interroger sur la nocivité de la potion qu’ils font ingurgiter à intervalles réguliers, depuis deux décennies.
Plus habiles que leurs prédécesseurs, le président François Hollande et son premier ministre ont laissé leurs experts multiplier les propos alarmistes, avant de présenter ensuite leur mixture comme un moindre mal. Mais si la posologie est (un peu) allégée par rapport aux annonces intempestives, elle n’en est pas moins dangereuse. Sa philosophie ? Travailler plus pour toucher moins, et sans attendre, payer plus.
Tous les salariés sont touchés, mais les plus jeunes et les plus anciens, c’est-à-dire les retraités, sont les plus pénalisés. Le capital est totalement épargné. La seule mesure franchement positive concerne la pénibilité. Toutefois, pour les travailleurs les plus exposés aux problèmes de santé, elle ne fait que réparer les dégâts liés au recul de l’âge de la retraite à 62 ans — décidé par la droite et M. Nicolas Sarkozy, condamné par le Parti socialiste quand il était dans l’opposition mais maintenu par les élus socialistes désormais majoritaires (sauf pour les très longues carrières).
Idées fausses pour mauvaises solutions
Avant même d’entrer dans le détail des mesures, on peut s’interroger sur la dramatisation des déficits et l’inquiétude permanente instillée dans les têtes. Certes le trou existe, mais il n’est pas abyssal : 4,5 milliards d’euros sur 98 milliards de cotisations versées. Il est principalement dû à la récession (et non à un problème structurel). D’ici 2020, il tutoiera 1 % du produit intérieur, soit un peu plus de 20 milliards. C’est l’équivalent de ce que le gouvernement vient d’offrir sur un plateau au patronat au nom du plan compétitivité. Sans obligation aucune pour les dirigeants d’entreprise en matière d’emploi, de salaire ou même de formation. Sans que la question du financement n’ait troublé qui que ce soit. Ce qui est possible pour les patrons ne l’est plus pour les salariés ou les retraités ?Nul ne nie l’augmentation du nombre de personnes de plus de 65 ans. Mais la vague grise n’a rien d’une déferlante : nous ne sommes ni en Allemagne ni au Japon (1). D’une part, la France a une démographie dynamique et disposera donc à l’avenir d’une population active en augmentation. D’autre part, elle connaît une productivité du travail parmi les plus élevées du monde. Si, comme on nous le répète souvent, il y avait effectivement 2,5 actifs pour 1 retraité en 1970 contre 1,5 actif d’ici 2020, ce dernier produit aujourd’hui plus que les 2,5 d’antan (2). Du point de vue des richesses disponibles pour les retraites, il n’y a donc pas de pénurie. Contrairement à ce que prétendent les apôtres de l’apocalypse, l’actif de demain ne sera pas pressuré par les vieux à venir.
En fait, si le président Hollande s’est ainsi précipité, ce n’est pas pour « sauver le système de retraite », menacé d’aucune faillite, mais pour répondre aux injonctions de Bruxelles et des agences de notations qui réclament une réduction des dépenses publiques et notamment des retraites par répartition. « Le projet de réforme comporte des points pouvant être vus comme en opposition avec ce que la commission avait suggéré (3) », a déjà fait savoir M. Olli Rehn, commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, sur le ton de l’instituteur mécontent face à un élève récalcitrant. Avec la même condescendance, l’agence de notation Fitch indique : « Les récentes annonces du gouvernement français sur sa réforme des retraites constituent une étape positive pour la signature de crédit (...) mais n’apparaissent pas suffisantes (4). » Pour les milieux financiers, ce n’est jamais assez. Et le mécontentement de Bruxelles ne vaut pas bienfait pour les travailleurs. Qu’on en juge, à l’examen des principales mesures.
Les cotisations pour tous...
mais
certains plus que d’autres
Après avoir alimenté la chronique tout l’été autour d’une hausse de
la contribution sociale généralisée (CSG), le gouvernement a choisi
d’accroître les cotisations, et donc d’affirmer le lien entre salaire différé
(payé en cotisations dites patronales et salariales) et pension perçue à la
retraite — lien qui constitue l’un des piliers du système français.Les salariés comme les employeurs paieront 0,15 point de plus en 2014 puis 0,05 point supplémentaire en 2015, 2016 et 2017. Pour un Smicard, la ponction sera, au total, de 54 euros par an. Ce qui est loin d’être négligeable, quand cela vient après des hausses diverses (électricité, TVA, taxe sur le fuel...) et des revalorisations salariales au compte-goutte : depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement n’a donné aucun coup de pouce au salaire minimum, jugé trop élevé !
Quant au patronat, le pouvoir lui redonne d’une main ce qu’il lui a pris de l’autre. Le premier ministre s’est engagé à « baisser le coût du travail » et donc à compenser la hausse des cotisations vieillesse par une baisse des cotisations familiales… qui seront alors payées par les contribuables (les salariés et les retraités). Non seulement le gouvernement exonère les chefs d’entreprise, mais il en profite pour amorcer une réforme structurelle réclamée par les chantres de l’austérité depuis des décennies : sortir les allocations familiales du périmètre de la Sécurité sociale pour les laisser à la solidarité nationale (et aux aléas du budget de l’Etat) et décharger l’entreprise de toute responsabilité sociale.
A en croire les porte-voix libéraux, ce sont les cotisations sociales qui ruineraient l’économie française et casseraient le génie industriel. Il n’en est rien. Entre 1980 et 2011, la part payée par les employeurs dans la valeur ajoutée des sociétés non financières s’est réduite de 1,7 point. Et pour quel bénéfice ? Les investissements sont restés quasiment stables (+ 0,2 point). En revanche les actionnaires ont touché le gros lot : la part des profits distribués a en effet grimpé de 6 points (5).
Les retraités matraqués
Autre choix du gouvernement : les pensions sont partiellement désindexées. Elles ne seront plus revalorisées du montant de l’inflation officielle chaque année en avril mais en octobre : un report de six mois qui fait perdre 0,9 % de pouvoir d’achat en moyenne. Devant le tollé, la ministre des affaires sociales a promis d’épargner les plus petites pensions fixées à… moins de 800 euros ! Le moins que l’on puisse dire est que la barre n’est pas très haute.Déjà, la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Force ouvrière (FO), la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et le patronat ont concocté, en mars dernier, une totale désindexation des retraites complémentaires, qui pour nombre de salariés, constitue la grande part de leur pension.
A cela s’ajoutent d’autres mesures fiscales. Jusqu’alors, la majoration de 10 % des pensions touchées par les parents de trois enfants et plus était exonérée. Cette somme sera désormais fiscalisée. Les retraités paieront plus d’impôts. Et les femmes seules seront particulièrement pénalisées.
Au total, l’Etat récupérera ainsi 2,7 milliards d’euros par an à partir de 2020. Pour les retraités, la chute sera comprise entre 2,6 et 3 %. Il faut rappeler que la moitié d’entre eux touchent moins de 1 530 euros par mois. Ce qui ne permet guère de faire des folies. Certes les deux tiers sont propriétaires de leur logement, mais ils doivent assumer totalement leurs mutuelles santé, souvent à prix d’or. Actuellement,le nombre de retraités pauvres dépasse les 10 %.
Autrement dit, la réforme va réduire le pouvoir des salariés et des retraités et freiner une croissance nationale qui souffre déjà d’une insuffisance de demande intérieure.
L’allongement de l’espérance de vie
récupérée par l’employeur
Le gouvernement a refusé de reculer l’âge officiel de la retraite
(62 ans) qui permet de partir avec une pension pleine, quand on a cotisé
pendant tous les trimestres requis. Nul ne s’en plaindra. Et ceux qui ont
commencé à travailler tôt peuvent en bénéficier.Mais déjà aujourd’hui, plus d’un salarié sur trois ne peut partir à 62 ans avec une retraite pleine et entière : ils doivent choisir entre partir et subir pour le restant de leurs jours une décote qui peut aller jusqu’à 8 %, rester dans leur emploi s’ils le peuvent, ou s’inscrire au chômage. Beaucoup — près de 3 sur 10 — n’ont pas le choix et sont jetés dehors avant de pouvoir aspirer à une nouvelle vie. Du reste, le nombre de chômeurs de plus de 55 ans augmente à mesure que recule l’âge de départ. Autrement dit, ce que l’on ne paie pas en pensions on le paie en indemnités chômage. Sauf que celles-ci sont souvent inférieures à la pension attendue. C’est d’ailleurs tout le calcul du patronat et du gouvernement : avoir moins à débourser.
Le pouvoir de gauche a donc décidé de se mettre dans les pas de ses prédécesseurs de droite. Ces derniers avaient allongé de six trimestres le temps de cotisations entre 2003 et 2019 ; le gouvernement Ayrault les augmentera de six trimestres entre 2020 et 2035. Résultat : les personnes nées en 1973 partiront aux environs de 68 ans en moyenne. A condition qu’ils ne connaissent pas de carrière en dents de scie. Nombre de jeunes en sont à se demander s’ils verront un jour la retraite ; ce qui accroît encore leur angoisse de l’avenir.
Pour justifier son choix, le gouvernement fait valoir l’allongement de l’espérance de vie — une réalité incontestable. Mais jusqu’en 2003, cet allongement était laissé aux travailleurs pour en jouir. Désormais, les deux tiers doivent être consacrés au travail (ou au chômage). Un changement historique qui n’est sans doute pas sans conséquence : pour la première fois depuis l’après-guerre, l’espérance de vie en bonne santé à la naissance a reculé, passant de 64,8 ans en moyenne en 2008 à 63,6 ans en 2011 (6).
Un (petit) effort a été consenti pour les apprentis qui pourront cotiser et pour les femmes dont la totalité des congés maternités sera comptabilisée — une des rares dispositions Sarkozy que l’actuel gouvernement abroge. Pour les personnes travaillant à temps partiel, chaque trimestre sera validé à partir de 11 heures hebdomadaires payées au SMIC (7), contre 15 heures jusqu’à présent — ce qui devrait toucher 4,4 % des femmes à temps partiel et 1,1 % des hommes (8). On est loin de la promesse de lutter contre les inégalités : les pensions féminines sont inférieures de 42 % à celles des hommes !
Pénibilité, encore un effort
Un compte individuel sera créé pour les personnes travaillant dans des conditions pénibles, selon la définition retenue par le patronat et les syndicats : contraintes physiques (manutention, postures difficiles...), rythmes de travail fatigants (travail de nuit ou en équipes alternantes), environnement agressif (produits chimiques dangereux, bruit...). Des points seront accumulés : un point par trimestre d’exposition, deux quand il y a deux types de contraintes, jusqu’à un total de 100.Les inégalités devant le travail sont si prégnantes que même M. Sarkozy avait fait semblant de les prendre en compte. Il avait créé une disposition qui devait permettre à 30 000 personnes de partir plus tôt : seules 6 359 personnes en ont bénéficié.
M. Hollande promet que 20 % des salariés seront concernés. Cela paraît plus sérieux. Toutefois le dispositif reste modeste : à partir de 25 ans d’exposition, note la Confédération générale du travail (CGT), un salarié pourra accumuler l’équivalent de 8 trimestres ; ce qui lui permettrait de partir à 60 ans et d’en revenir à la situation... d’avant la décision Sarkozy de porter l’âge à 62 ans. Rappelons que la différence d’espérance de vie à 60 ans entre un cadre et un ouvrier est toujours de cinq ans.
De plus, le dispositif prévoit que les premiers points accumulés devront être consacrés à la formation pour aller vers une reconversion. Mais rien n’est dit sur la façon d’opérer : qui décide ? Pour quel futur emploi ? A partir de quel âge un salarié pourra-t-il y prétendre ? On sait que les personnes les moins qualifiées et les plus âgées (plus de 50 ans !) sont celles qui ont le moins accès aux formations dans les entreprises. En ira t-il autrement demain ?
Enfin une partie des points devrait permettre au salarié de travailler à mi-temps. Mais on ignore encore le montant des compensations. Or la pension retraite est calculée sur les 25 meilleures années — toute réduction de la paie en fin de carrière se paie cher par la suite.
Quant au financement, le gouvernement prévoit une mini-taxe interprofessionnelle financée par toutes les entreprises, et une autre acquittée par celles qui imposent des conditions de travail déplorables. De quoi inciter à une organisation moins coûteuse pour la santé des salariés. Alors que le patronat est vent debout, le pouvoir ira t-il jusqu’au bout ?
La République des experts
La réforme aboutira enfin à la création d’une Commission de pilotage des retraites, aux cotés du Conseil d’orientation des retraites (COR). Si ce dernier comprend tous les syndicats et le patronat, ceux de la Commission seront désignés, mais on ignore par qui et selon quels principes. Le précédent du Haut conseil des finances publiques ne prête guère à l’optimisme : sur les onze membres de cette docte assemblée, neuf ont ouvertement pris position pour une réduction des dépenses publiques. Les autres sont tenus au secret des délibérations. Le COR n’était certainement pas un modèle de démocratie, mais au moins pouvait-on prendre connaissance des arguments des uns et des autres. Le risque est grand de voir corseter les pensions, sans le début d’un débat public. On a l’impression que pour l’élite (de gauche ou de droite), plus les réformes sont nocives, plus la démocratie fait peur.
(2) Si l’on prend la base 100 en 1950, la
productivité du travail atteint 275 en 1970 et 723 en 2010, selon l’Insee.
Autrement dit, un travailleur qui produisait 100 en 1950, produisait
l’équivalent de 275 unités en 1970 et 723 quarante ans plus tard.
(3) « Retraites : le scepticisme croissant de
Bruxelles »,
lemonde.fr, 6 septembre 2013.
(4) « La réforme des retraites positive mais
insuffisante, juge Fitch », lesechos.fr, 6 septembre 2013.
(5) Chiffre cité par Jean-François
Couvrat (@dechiffrages sur Twitter) le 12 mars 2013, à partir
des comptes nationaux de l’Institut national de la statistique et des
études-économiques (Insee).
(6) Même source.
(7) Le nombre de trimestres validés n’est
pas établi en fonction de la durée de travail réalisé mais en fonction du
montant de la rémunération annuelle soumise à cotisation. Chaque paquet de
200 heures de travail rémunérées au SMIC permettait de valider un trimestre
(jusqu’à concurrence de 4 trimestres par an). Le paquet est, à partir de
2014, de 150 heures.
(8) Calcul réalisé par Christiane Marty
pour le Conseil scientifique d’Attac et la Fondation Copernic.
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