La Chronique de Philippe Meyer
France Culture - 5 septembre 2013
France Culture - 5 septembre 2013
Désopilant !
Pour écouter :
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Le Peuple Breton – Juin 2008 Leurre de vérité
Panne
d’imaginaire
Ouf ! Les remémorations
en tous genres de Mai 68 dont le quarantième anniversaire étaient le prétexte
convenu sont enfin derrière nous. Les récits des anciens combattants qui vécurent
le mémorable évènement de l’intérieur et les diatribes enflammées de ceux qui
ne cessent depuis quatre décennies d’exécrer les fâcheuses conséquences de Mai
révèlent tous le même enseignement : notre époque est cruellement en panne
d’imaginaire quand nos turbulents prédécesseurs voulaient la mettre au pouvoir.
Qu’ils aient été acteurs
flamboyants ou dénonciateurs forcenés de « la chienlit », tous ces
commentateurs commémoratifs claironnent à l’unisson que le rêve n’est
aujourd’hui plus de mise. Après avoir barboté joyeusement dans la nécessité du
réalisme politique à partir du début des années quatre-vingts, ils ont
désormais sombré avec goinfrerie dans la vulgarité du réalisme économique. Ils
ont fait superbement litière du désir d’un autre monde. Ils ont confortablement
préféré se couler dans l’ère du temps qui passe. Comme ils ont collaboré sans
honte à la construction d’une société bridant chaque jour davantage l’imagination,
leurs rejetons sont fort dépourvus quand les tempêtes sont partout annoncées.
On connaît les deux
mamelles de ce réalisme triomphant. Ils ont ravalé le politique au rang de
simple serviteur zélé des forces du Marché seules à même, à les en croire, de
nous conduire au bonheur pour tous. Ils ont enfermé l’imaginaire collectif dans
le marketing tentaculaire et prescriptif. Ainsi, ce réalisme-là rime
affreusement avec fatalisme et formalisme. Vous pouvez rêver mais ne quittez
pas la route bornée par la Croissance et le Progrès. Tout espoir d’un autre
chemin possible est calamiteux, réminiscence d’une époque à jamais révolue. Laissez
donc les publicitaires vous forger une identité lisse et radieuse. Toute
singularité quittant les sentiers rebattus par l’Audimat et les slogans
poussant au grégarisme consommationniste sera regardée avec suspicion.
Qu’importe de ne plus être puisque l’essentiel est de paraître.
Parlons de la jeunesse, la
jeunesse maintenant si obéissante à la prescription, si peu encline à se
révolter contre ses aînés. Certes, les jeunes ne sont pas tous pareils. Ils
sont de plusieurs classes si nous osons encore usiter ce vocable d’un autre
temps. Pourtant, comme chacune d’elle est prompte à renvoyer au miroir de la
société l’image que celle-ci attend ! Toute tentation de manichéisme
excessif écartée, comment ne pas être saisi par la banale conformité des
groupes repérables à l’égard des modèles qui leur sont respectivement
prescrits ? Jeunes « bobos » et jeunes « des cités »
sont clairement identifiables et ne nous surprennent en rien tellement leurs
comportements se rapprochent de ce que nous attendons et qui nous a été inoculé
par la médiasphère omniprésente. Tenue vestimentaire nécessairement de marque
et langage affecté juste ce qu’il faut afin de ne pas être trop moqué pour les
uns. Visière de casquette sur la nuque, uniforme plus que décontracté et parler
au phrasé rapiste pour les autres. Bien sûr, tout ça n’est qu’apparence. Pour
ce qui est de « l’agir ensemble » on repassera, l’individualisme –
pour ne pas dire l’égoïsme – forgé par le néolibéralisme outrancier reprend
tous ses droits.
Au jeu des apparences, et
au risque d’être accusé d’utiliser les travers de la société communicationnelle
à l’appui d’une démonstration, constatons que certains détails de notre
environnement sont symptomatiques de la confusion des valeurs contemporaines.
Ainsi, on ne va plus faire ses courses chez Monoprix, activité par trop
triviale, mais on fréquente le Monop’, lieu de démarcation branché.
L’entreprise lucrative nous fait la vie belle. Elle s’insinue dans chaque
recoin de notre existence, nous injecte à petites doses journalières
l’imagination qui nous était hier donnée par le partage vrai de désirs communs
suffisamment séparés de l’espace de la marchandise.
Le problème est que ce
monde-là attire à défaut de faire rêver vraiment. Les jeunes, à qui il
reviendra de construire la société de demain, s’y engouffrent en cohortes
nombreuses. Les écoles de commerce, petites et grandes, font florès quand les
études artistiques ou scientifiques sont désertées. Si nous ne sommes plus très
sûrs que les imaginaires de l’artiste et du chercheur sont encore totalement
préservés de l’esprit de lucre, ils existent néanmoins et doivent participer au
futur du monde. Il n’y a en revanche franchement rien de remarquable à dire à
propos de l’imaginaire du faiseur d’image publicitaire. Sa vision du monde
n’est pas celle que nous affectionnons. Elle est pourtant aujourd’hui
dominante. On ne construira demain qu’au prix de la dégradation de sa valeur.
Sous la pub la plage !
Yann Fiévet
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