mardi 17 septembre 2013

Les vraies recettes de l’'assiette carbone

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Médiapart - 14 septembre 2013 
Par Jade Lindgaard
 
La fiscalité écologique n’est pas qu’un joujou politique entre socialistes et verts, c’est aussi une vraie politique redistributive et de verdissement des comportements. Enfin, avec un peu de bonne volonté.
En juillet dernier, le comité pour la fiscalité écologique (CFE), présidé par l’économiste Christian de Perthuis, remettait son rapport d’étape au gouvernement. C’était il y a un siècle. Et il semble ne plus rester grand monde au sein de la majorité socialiste pour se remémorer ce lointain épisode. Cet épais document (toujours en ligne ici) contient pourtant les clés de la fiscalité carbone qui attise aujourd’hui la discorde entre PS et EELV. Il décrit en détail comment progressivement taxer les émissions de CO2 et raboter la niche fiscale du diesel.
Pierre Moscovici à l'université du PS de la Rochelle, 23 août 2013 (Reuters/Stéphane Mahé).
Pierre Moscovici à l'université du PS de la Rochelle, 23 août 2013 (Reuters/Stéphane Mahé).
Car, c’est le premier malentendu de ces derniers jours, les deux causes sont liées. Le rattrapage fiscal entre le gazole et l’essence est avant tout un enjeu de santé publique (voir ici la rapport de l’OMS sur les risques de cancer induits par l’émission des micro particules) mais pas un outil de lutte contre le dérèglement climatique : les moteurs au diesel, moins consommateurs, émettent moins de CO2 au kilomètre que ceux roulant à l’essence. Or c’est bien pour réduire l’émission de gaz à effet de serre que les écologistes veulent renchérir le coût des carburants.
Il serait donc bancal de mettre en œuvre une « contribution climat énergie », comme l’avait annoncé Philippe Martin cet été (voir ici) et l’a confirmé Pierre Moscovici jeudi soir (voir là), sans dans le même temps s’attaquer au régime de faveur dont bénéficie le diesel depuis les années 80 – en partie concédé pour aider le transport routier de marchandises. Une action ne peut se substituer à l’autre, elles sont complémentaires. D’où la sortie de Pascal Canfin mercredi, apprenant le possible report de la modification de la taxation du gazole : « c'est un cancérigène certain, on ne peut pas ne rien faire sur ce carburant comme on n'a rien fait sur l'amiante. »
Le principal apport du rapport de Perthuis est de plaider pour une « assiette carbone » et non une taxe carbone, comme l’avait proposé Nicolas Sarkozy en 2009. La différence, c’est que la « base carbone » de 2013 se contente de modifier la structure de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE), sans créer de toute pièce un nouvel étage fiscal. Cette astuce devrait écarter le risque d’une censure par le Conseil constitutionnel.
Selon ce nouveau mode de calcul, le CO2 est taxé à 7 euros la tonne l’année de sa mis en œuvre (contre 17 euros la tonne pour la taxe carbone de 2009), puis augmentera progressivement. La première année, l’impact est nul, la composante classique de la TIC étant réduite pour compenser la création de l’assiette carbone. Contrairement à la contribution climat énergie que défendent les ONG depuis le « pacte écologique » de Nicolas Hulot en 2007, cette base carbone ne touche pas au prix de l’électricité. Elle concerne les carburants et les modes de chauffage (fioul, gaz) de particuliers, des administrations, et des entreprises, ainsi que les rares cas de recours au charbon.
Mais la commission de Perthuis s’est divisée au fil des mois, et au final, le collège a refusé le projet de son président : trop pénalisant pour les ménages selon la CGT et FO, trop légère pour les ONG. Sauf que les échanges n’en sont pas restés là et que la séquence qui démarre ensuite prend aujourd'hui un intérêt particulier.
La contribution climat énergie des ONG, version 2013 (Rapport Perthuis).
La contribution climat énergie des ONG, version 2013 (Rapport Perthuis).
À l’initiative de la Fondation pour la nature et pour l’homme (FNH) et du Réseau action climat (RAC), une autre proposition est mise sur la table : elle introduit elle aussi une assiette carbone dans la TICPE, qui démarre elle aussi à 7 euros la tonne en 2007, mais augmente beaucoup plus vite pour atteindre 40 euros la tonne en 2020, contre 20 euros dans le scénario de Perthuis. Le diesel augmente de 2 centimes par litre et par an (contre 1 centime). En contrepartie, les ménages bénéficient d’une aide à la rénovation de leur logement, d’une prime de reconversion de leur véhicule sous condition de ressources et d’un chèque vert pour les ménages les plus démunis (le tiers des Français dont le revenu est le plus bas). Au total, la première année de mise en œuvre du dispositif, le coût total atteint 30 euros pour les particuliers, avant compensation.
« Plus intelligent que la taxe carbone de Sarkozy »
Quant au diesel, une hausse d'un centime par litre représente entre 5 et 10 euros au bout d’un an pour un ménage, selon l’estimation de FNH (voir les détails de ce calcul sous l’onglet Prolonger). Soit l’équivalent de deux à cinq cafés dans un bistrot parisien. Pas de quoi hurler au matraquage fiscal. La rétribution des entreprises passe par le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), conformément à la doctrine initiale du gouvernement (qui fera partie des points chauds du PLF 2014). « C’est redistributif, plus intelligent et plus social que la taxe carbone de Sarkozy », défend Mathieu Orphelin, porte-parole de FNH.
Proposition de rattrapage diesel-essence par les ONG, 2013 (rapport de Perthuis).
Proposition de rattrapage diesel-essence par les ONG, 2013 (rapport de Perthuis).
Si bien que, sans grimper de joie aux rideaux, plusieurs organisations se sont ralliées à la contribution carbone des écologistes : la CFDT, à condition d’opter pour une hausse plus progressive de la tonne de CO2, l’Union nationale des associations familiales (Unaf), et l’UFC-Que choisir, mitigée sur le prix de l’essence. Mais aussi l’association des régions de France, l’assemblée des communautés de France (Adcf, le réseau des intercommunaulités), ainsi que le Conseil économique, social et environnemental. De son côté, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol reconnaît que les comportements doivent changer « et qu’il faut accompagner les citoyens dans ce changement ». Pour sa collègue UMP Fabienne Keller, « le dispositif proposé est adapté aux circonstances de crise ». « Pourquoi le gouvernement ne se saisit-il pas de ce scénario de compromis, livré clé en main ? se désole Mathieu Orphelin. Le vrai problème, c’est que le gouvernement ne pense pas l’introduction de la fiscalité écologique comme un basculement plus global vers un autre système. »
D’autres pistes sont sur la table. Guillaume Sainteny, spécialiste en écofiscalité et auteur d’un rapport sur les aides publiques dommageables à la biodiversité (voir ici), considère qu’« en termes sanitaires et environnementaux, une baisse du prix du super ou un mix de hausse du prix du gazole et de baisse de prix du super entraînerait les mêmes améliorations qu’une hausse du prix du diesel. En outre, cela aurait des avantages sociaux en ne pénalisant pas le pouvoir d’achat. Mais évidemment comme la logique budgétaire l’emporte, ces pistes alternatives sont esquivées ». Au passage, il ouvre une autre piste : la réforme du bonus-malus automobile, « qui aboutit aujourd'hui à subventionner des véhicules diesel à l’achat ! Ce que personne ne dit. Réformer ce bonus-malus serait simple et n’entraînerait pas de conséquences sociales puisque cela toucherait les nouveaux véhicules ».
En 2009, des chercheurs du Cired, eux aussi en lien avec la CFDT, avaient planché sur l’hypothèse d’une taxation du carbone, couplée à l’allègement de certaines cotisations sociales et de mesures d’accompagnement pour les ménages (voir ici).
Si le débat sur la fiscalité écologique est si difficile à mener, c’est qu’il suppose une vision à long terme, vers le futur mais aussi rétrospectivement. La taxation du carbone ne se résume pas à un enjeu écologique de préservation des ressources naturelles. Elle doit aussi permettre aux ménages et entreprises de se prémunir contre les hausses à venir des prix de l’énergie, qu’il s’agisse du pétrole, du gaz ou de l’électricité. Coûteuse à court et moyen terme, elle ne peut se comprendre et s’accepter que si elle est vue pour ce qu’elle est également : un investissement pour éviter de plus lourdes dépenses dans les dix ans qui viennent.
Mais elle s’apparente aussi au rattrapage d’un dérapage historique que peu d’observateurs ont noté. Depuis une quinzaine d’années, la fiscalité de l’énergie baisse en France. Le produit des taxes sur l’énergie décline depuis 2006, signale Guillaume Sainteny dans son Plaidoyer pour l’écofiscalité. « Les prélèvements obligatoires pesant sur l’énergie ont diminué de 2,3 milliards d’euros entre 1999 et 2009 en euros constants, les taux de taxe progressant moins vite que l’inflation. Entre 1995 et 2009, le produit des taxes sur l’énergie passe de 2 % à 1,45 % du PIB, et de 4,68 % à 3,5 % de l’ensemble des recettes fiscales et sociales. » On constate même une stabilité de la fiscalité par litre de carburant depuis 1960, « voire même une légère baisse en euros constants ». 
Le problème, c’est qu’en pleine crise économique et sociale, cette expertise et cette patiente construction de compromis idéologiques devient inaudible, sans portage politique fort et constant. La cacophonie gouvernementale sur le sujet depuis un mois étouffe à petit feu l’intelligibilité de tout projet de fiscalité écologique ambitieuse.
 

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