TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Médiapart - 14 septembre 2013
Par Jade Lindgaard
La fiscalité écologique nest pas quun joujou
politique entre socialistes et verts, cest aussi une vraie politique
redistributive et de verdissement des comportements. Enfin, avec un peu de bonne
volonté.
En juillet dernier, le comité pour la fiscalité
écologique (CFE), présidé par léconomiste Christian de Perthuis, remettait son
rapport détape au gouvernement. Cétait il y a un siècle. Et il semble ne plus
rester grand monde au sein de la majorité socialiste pour se remémorer ce
lointain épisode. Cet épais document (toujours en ligne ici) contient pourtant
les clés de la fiscalité carbone qui attise aujourdhui la discorde entre PS et
EELV. Il décrit en détail comment progressivement taxer les émissions de CO2 et
raboter la niche fiscale du diesel.
Pierre Moscovici à l'université du PS de la Rochelle, 23 août 2013 (Reuters/Stéphane Mahé).
Pierre Moscovici à l'université du PS de la Rochelle, 23 août 2013 (Reuters/Stéphane Mahé).
Car, cest le premier malentendu de ces derniers jours, les deux causes sont liées. Le rattrapage fiscal entre le gazole et lessence est avant tout un enjeu de santé publique (voir ici la rapport de lOMS sur les risques de cancer induits par lémission des micro particules) mais pas un outil de lutte contre le dérèglement climatique : les moteurs au diesel, moins consommateurs, émettent moins de CO2 au kilomètre que ceux roulant à lessence. Or cest bien pour réduire lémission de gaz à effet de serre que les écologistes veulent renchérir le coût des carburants.
Il serait donc bancal de mettre en uvre une « contribution climat énergie », comme lavait annoncé Philippe Martin cet été (voir ici) et la confirmé Pierre Moscovici jeudi soir (voir là), sans dans le même temps sattaquer au régime de faveur dont bénéficie le diesel depuis les années 80 en partie concédé pour aider le transport routier de marchandises. Une action ne peut se substituer à lautre, elles sont complémentaires. Doù la sortie de Pascal Canfin mercredi, apprenant le possible report de la modification de la taxation du gazole : « c'est un cancérigène certain, on ne peut pas ne rien faire sur ce carburant comme on n'a rien fait sur l'amiante. »
Le principal apport du rapport de Perthuis est de plaider pour une « assiette carbone » et non une taxe carbone, comme lavait proposé Nicolas Sarkozy en 2009. La différence, cest que la « base carbone » de 2013 se contente de modifier la structure de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE), sans créer de toute pièce un nouvel étage fiscal. Cette astuce devrait écarter le risque dune censure par le Conseil constitutionnel.
Selon ce nouveau mode de calcul, le CO2 est taxé à 7 euros la tonne lannée de sa mis en uvre (contre 17 euros la tonne pour la taxe carbone de 2009), puis augmentera progressivement. La première année, limpact est nul, la composante classique de la TIC étant réduite pour compenser la création de lassiette carbone. Contrairement à la contribution climat énergie que défendent les ONG depuis le « pacte écologique » de Nicolas Hulot en 2007, cette base carbone ne touche pas au prix de lélectricité. Elle concerne les carburants et les modes de chauffage (fioul, gaz) de particuliers, des administrations, et des entreprises, ainsi que les rares cas de recours au charbon.
Mais la commission de Perthuis sest divisée au fil des mois, et au final, le collège a refusé le projet de son président : trop pénalisant pour les ménages selon la CGT et FO, trop légère pour les ONG. Sauf que les échanges nen sont pas restés là et que la séquence qui démarre ensuite prend aujourd'hui un intérêt particulier.
La contribution climat énergie des ONG, version 2013 (Rapport Perthuis).
La contribution climat énergie des ONG, version 2013 (Rapport Perthuis).
À linitiative de la Fondation pour la nature et pour lhomme (FNH) et du Réseau action climat (RAC), une autre proposition est mise sur la table : elle introduit elle aussi une assiette carbone dans la TICPE, qui démarre elle aussi à 7 euros la tonne en 2007, mais augmente beaucoup plus vite pour atteindre 40 euros la tonne en 2020, contre 20 euros dans le scénario de Perthuis. Le diesel augmente de 2 centimes par litre et par an (contre 1 centime). En contrepartie, les ménages bénéficient dune aide à la rénovation de leur logement, dune prime de reconversion de leur véhicule sous condition de ressources et dun chèque vert pour les ménages les plus démunis (le tiers des Français dont le revenu est le plus bas). Au total, la première année de mise en uvre du dispositif, le coût total atteint 30 euros pour les particuliers, avant compensation.
« Plus intelligent que la taxe carbone de Sarkozy »
Quant au diesel, une hausse d'un centime par litre représente entre 5 et 10 euros au bout dun an pour un ménage, selon lestimation de FNH (voir les détails de ce calcul sous longlet Prolonger). Soit léquivalent de deux à cinq cafés dans un bistrot parisien. Pas de quoi hurler au matraquage fiscal. La rétribution des entreprises passe par le crédit dimpôt compétitivité emploi (CICE), conformément à la doctrine initiale du gouvernement (qui fera partie des points chauds du PLF 2014). « Cest redistributif, plus intelligent et plus social que la taxe carbone de Sarkozy », défend Mathieu Orphelin, porte-parole de FNH.
Proposition de rattrapage diesel-essence par les ONG, 2013 (rapport de Perthuis).
Proposition de rattrapage diesel-essence par les ONG, 2013 (rapport de Perthuis).
Si bien que, sans grimper de joie aux rideaux, plusieurs organisations se sont ralliées à la contribution carbone des écologistes : la CFDT, à condition dopter pour une hausse plus progressive de la tonne de CO2, lUnion nationale des associations familiales (Unaf), et lUFC-Que choisir, mitigée sur le prix de lessence. Mais aussi lassociation des régions de France, lassemblée des communautés de France (Adcf, le réseau des intercommunaulités), ainsi que le Conseil économique, social et environnemental. De son côté, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol reconnaît que les comportements doivent changer « et quil faut accompagner les citoyens dans ce changement ». Pour sa collègue UMP Fabienne Keller, « le dispositif proposé est adapté aux circonstances de crise ». « Pourquoi le gouvernement ne se saisit-il pas de ce scénario de compromis, livré clé en main ? se désole Mathieu Orphelin. Le vrai problème, cest que le gouvernement ne pense pas lintroduction de la fiscalité écologique comme un basculement plus global vers un autre système. »
Dautres pistes sont sur la table. Guillaume Sainteny, spécialiste en écofiscalité et auteur dun rapport sur les aides publiques dommageables à la biodiversité (voir ici), considère qu« en termes sanitaires et environnementaux, une baisse du prix du super ou un mix de hausse du prix du gazole et de baisse de prix du super entraînerait les mêmes améliorations quune hausse du prix du diesel. En outre, cela aurait des avantages sociaux en ne pénalisant pas le pouvoir dachat. Mais évidemment comme la logique budgétaire lemporte, ces pistes alternatives sont esquivées ». Au passage, il ouvre une autre piste : la réforme du bonus-malus automobile, « qui aboutit aujourd'hui à subventionner des véhicules diesel à lachat ! Ce que personne ne dit. Réformer ce bonus-malus serait simple et nentraînerait pas de conséquences sociales puisque cela toucherait les nouveaux véhicules ».
En 2009, des chercheurs du Cired, eux aussi en lien avec la CFDT, avaient planché sur lhypothèse dune taxation du carbone, couplée à lallègement de certaines cotisations sociales et de mesures daccompagnement pour les ménages (voir ici).
Si le débat sur la fiscalité écologique est si difficile à mener, cest quil suppose une vision à long terme, vers le futur mais aussi rétrospectivement. La taxation du carbone ne se résume pas à un enjeu écologique de préservation des ressources naturelles. Elle doit aussi permettre aux ménages et entreprises de se prémunir contre les hausses à venir des prix de lénergie, quil sagisse du pétrole, du gaz ou de lélectricité. Coûteuse à court et moyen terme, elle ne peut se comprendre et saccepter que si elle est vue pour ce quelle est également : un investissement pour éviter de plus lourdes dépenses dans les dix ans qui viennent.
Mais elle sapparente aussi au rattrapage dun dérapage historique que peu dobservateurs ont noté. Depuis une quinzaine dannées, la fiscalité de lénergie baisse en France. Le produit des taxes sur lénergie décline depuis 2006, signale Guillaume Sainteny dans son Plaidoyer pour lécofiscalité. « Les prélèvements obligatoires pesant sur lénergie ont diminué de 2,3 milliards deuros entre 1999 et 2009 en euros constants, les taux de taxe progressant moins vite que linflation. Entre 1995 et 2009, le produit des taxes sur lénergie passe de 2 % à 1,45 % du PIB, et de 4,68 % à 3,5 % de lensemble des recettes fiscales et sociales. » On constate même une stabilité de la fiscalité par litre de carburant depuis 1960, « voire même une légère baisse en euros constants ».
Le problème, cest quen pleine crise économique et sociale, cette expertise et cette patiente construction de compromis idéologiques devient inaudible, sans portage politique fort et constant. La cacophonie gouvernementale sur le sujet depuis un mois étouffe à petit feu lintelligibilité de tout projet de fiscalité écologique ambitieuse.
Pierre Moscovici à l'université du PS de la Rochelle, 23 août 2013 (Reuters/Stéphane Mahé).
Pierre Moscovici à l'université du PS de la Rochelle, 23 août 2013 (Reuters/Stéphane Mahé).
Car, cest le premier malentendu de ces derniers jours, les deux causes sont liées. Le rattrapage fiscal entre le gazole et lessence est avant tout un enjeu de santé publique (voir ici la rapport de lOMS sur les risques de cancer induits par lémission des micro particules) mais pas un outil de lutte contre le dérèglement climatique : les moteurs au diesel, moins consommateurs, émettent moins de CO2 au kilomètre que ceux roulant à lessence. Or cest bien pour réduire lémission de gaz à effet de serre que les écologistes veulent renchérir le coût des carburants.
Il serait donc bancal de mettre en uvre une « contribution climat énergie », comme lavait annoncé Philippe Martin cet été (voir ici) et la confirmé Pierre Moscovici jeudi soir (voir là), sans dans le même temps sattaquer au régime de faveur dont bénéficie le diesel depuis les années 80 en partie concédé pour aider le transport routier de marchandises. Une action ne peut se substituer à lautre, elles sont complémentaires. Doù la sortie de Pascal Canfin mercredi, apprenant le possible report de la modification de la taxation du gazole : « c'est un cancérigène certain, on ne peut pas ne rien faire sur ce carburant comme on n'a rien fait sur l'amiante. »
Le principal apport du rapport de Perthuis est de plaider pour une « assiette carbone » et non une taxe carbone, comme lavait proposé Nicolas Sarkozy en 2009. La différence, cest que la « base carbone » de 2013 se contente de modifier la structure de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE), sans créer de toute pièce un nouvel étage fiscal. Cette astuce devrait écarter le risque dune censure par le Conseil constitutionnel.
Selon ce nouveau mode de calcul, le CO2 est taxé à 7 euros la tonne lannée de sa mis en uvre (contre 17 euros la tonne pour la taxe carbone de 2009), puis augmentera progressivement. La première année, limpact est nul, la composante classique de la TIC étant réduite pour compenser la création de lassiette carbone. Contrairement à la contribution climat énergie que défendent les ONG depuis le « pacte écologique » de Nicolas Hulot en 2007, cette base carbone ne touche pas au prix de lélectricité. Elle concerne les carburants et les modes de chauffage (fioul, gaz) de particuliers, des administrations, et des entreprises, ainsi que les rares cas de recours au charbon.
Mais la commission de Perthuis sest divisée au fil des mois, et au final, le collège a refusé le projet de son président : trop pénalisant pour les ménages selon la CGT et FO, trop légère pour les ONG. Sauf que les échanges nen sont pas restés là et que la séquence qui démarre ensuite prend aujourd'hui un intérêt particulier.
La contribution climat énergie des ONG, version 2013 (Rapport Perthuis).
La contribution climat énergie des ONG, version 2013 (Rapport Perthuis).
À linitiative de la Fondation pour la nature et pour lhomme (FNH) et du Réseau action climat (RAC), une autre proposition est mise sur la table : elle introduit elle aussi une assiette carbone dans la TICPE, qui démarre elle aussi à 7 euros la tonne en 2007, mais augmente beaucoup plus vite pour atteindre 40 euros la tonne en 2020, contre 20 euros dans le scénario de Perthuis. Le diesel augmente de 2 centimes par litre et par an (contre 1 centime). En contrepartie, les ménages bénéficient dune aide à la rénovation de leur logement, dune prime de reconversion de leur véhicule sous condition de ressources et dun chèque vert pour les ménages les plus démunis (le tiers des Français dont le revenu est le plus bas). Au total, la première année de mise en uvre du dispositif, le coût total atteint 30 euros pour les particuliers, avant compensation.
« Plus intelligent que la taxe carbone de Sarkozy »
Quant au diesel, une hausse d'un centime par litre représente entre 5 et 10 euros au bout dun an pour un ménage, selon lestimation de FNH (voir les détails de ce calcul sous longlet Prolonger). Soit léquivalent de deux à cinq cafés dans un bistrot parisien. Pas de quoi hurler au matraquage fiscal. La rétribution des entreprises passe par le crédit dimpôt compétitivité emploi (CICE), conformément à la doctrine initiale du gouvernement (qui fera partie des points chauds du PLF 2014). « Cest redistributif, plus intelligent et plus social que la taxe carbone de Sarkozy », défend Mathieu Orphelin, porte-parole de FNH.
Proposition de rattrapage diesel-essence par les ONG, 2013 (rapport de Perthuis).
Proposition de rattrapage diesel-essence par les ONG, 2013 (rapport de Perthuis).
Si bien que, sans grimper de joie aux rideaux, plusieurs organisations se sont ralliées à la contribution carbone des écologistes : la CFDT, à condition dopter pour une hausse plus progressive de la tonne de CO2, lUnion nationale des associations familiales (Unaf), et lUFC-Que choisir, mitigée sur le prix de lessence. Mais aussi lassociation des régions de France, lassemblée des communautés de France (Adcf, le réseau des intercommunaulités), ainsi que le Conseil économique, social et environnemental. De son côté, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol reconnaît que les comportements doivent changer « et quil faut accompagner les citoyens dans ce changement ». Pour sa collègue UMP Fabienne Keller, « le dispositif proposé est adapté aux circonstances de crise ». « Pourquoi le gouvernement ne se saisit-il pas de ce scénario de compromis, livré clé en main ? se désole Mathieu Orphelin. Le vrai problème, cest que le gouvernement ne pense pas lintroduction de la fiscalité écologique comme un basculement plus global vers un autre système. »
Dautres pistes sont sur la table. Guillaume Sainteny, spécialiste en écofiscalité et auteur dun rapport sur les aides publiques dommageables à la biodiversité (voir ici), considère qu« en termes sanitaires et environnementaux, une baisse du prix du super ou un mix de hausse du prix du gazole et de baisse de prix du super entraînerait les mêmes améliorations quune hausse du prix du diesel. En outre, cela aurait des avantages sociaux en ne pénalisant pas le pouvoir dachat. Mais évidemment comme la logique budgétaire lemporte, ces pistes alternatives sont esquivées ». Au passage, il ouvre une autre piste : la réforme du bonus-malus automobile, « qui aboutit aujourd'hui à subventionner des véhicules diesel à lachat ! Ce que personne ne dit. Réformer ce bonus-malus serait simple et nentraînerait pas de conséquences sociales puisque cela toucherait les nouveaux véhicules ».
En 2009, des chercheurs du Cired, eux aussi en lien avec la CFDT, avaient planché sur lhypothèse dune taxation du carbone, couplée à lallègement de certaines cotisations sociales et de mesures daccompagnement pour les ménages (voir ici).
Si le débat sur la fiscalité écologique est si difficile à mener, cest quil suppose une vision à long terme, vers le futur mais aussi rétrospectivement. La taxation du carbone ne se résume pas à un enjeu écologique de préservation des ressources naturelles. Elle doit aussi permettre aux ménages et entreprises de se prémunir contre les hausses à venir des prix de lénergie, quil sagisse du pétrole, du gaz ou de lélectricité. Coûteuse à court et moyen terme, elle ne peut se comprendre et saccepter que si elle est vue pour ce quelle est également : un investissement pour éviter de plus lourdes dépenses dans les dix ans qui viennent.
Mais elle sapparente aussi au rattrapage dun dérapage historique que peu dobservateurs ont noté. Depuis une quinzaine dannées, la fiscalité de lénergie baisse en France. Le produit des taxes sur lénergie décline depuis 2006, signale Guillaume Sainteny dans son Plaidoyer pour lécofiscalité. « Les prélèvements obligatoires pesant sur lénergie ont diminué de 2,3 milliards deuros entre 1999 et 2009 en euros constants, les taux de taxe progressant moins vite que linflation. Entre 1995 et 2009, le produit des taxes sur lénergie passe de 2 % à 1,45 % du PIB, et de 4,68 % à 3,5 % de lensemble des recettes fiscales et sociales. » On constate même une stabilité de la fiscalité par litre de carburant depuis 1960, « voire même une légère baisse en euros constants ».
Le problème, cest quen pleine crise économique et sociale, cette expertise et cette patiente construction de compromis idéologiques devient inaudible, sans portage politique fort et constant. La cacophonie gouvernementale sur le sujet depuis un mois étouffe à petit feu lintelligibilité de tout projet de fiscalité écologique ambitieuse.
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