... Et pendant ce temps là, juste de l'autre côté des Pyrénées : la rébellion se fait mater !
L'ancien vice-président catalan Oriol Junqueras encourt 30 ans de prison pour la tentative de sécession de 2017.
Jeudi, Junqueras, qui reste président d'Esquerra republicana de Catalunya (ERC, centre gauche), l'une des deux principales forces souverainistes, rivale de celle de l'ex-président régional, Carles Puigdemont, doit être transféré de la prison de Lledoners, en Catalogne, où Le Figaro l'a rencontré le 16 janvier, à la Cour suprême. Le Haut Tribunal, dont le siège est à Madrid, s'apprête à le juger pour rébellion, un délit passible de 30 ans de rétention. Onze autres responsables indépendantistes occuperont le même banc des accusés, mais, en l'absence de Carles Puigdemont, installé en Belgique pour éviter l'action de la justice espagnole, Junqueras est le plus haut responsable qui fera face aux juges. Il a, dans ce dialogue avec le journaliste, l'une des dernières opportunités de s'exprimer en dehors d'une salle d'audience.
De la première phrase, cette salutation de taulard, jusqu'à la dernière tirade, des considérations sur la philosophie politique, le «junquérisme» et l'amour, le politique cherche à séduire. Entre son léger embonpoint et sa paupière droite qui, depuis sa naissance, ne s'ouvre qu'à moitié, ce n'est pas lui faire injure que de dire que ses meilleurs atouts ne sont pas extérieurs. Docteur en histoire et spécialiste du Vatican, Junqueras préfère manier le verbe, mobiliser l'humour, ou déterrer une référence historique. Et ne rechigne pas à la provocation. À la directrice du quotidien Ara, qui participe à la conversation et qu'il connaît davantage, le leader indépendantiste lance en souriant qu'il ne lit jamais son journal, pourtant proche des thèses sécessionnistes.
La carte de l'apaisement
L'amabilité indéniable n'exclut pas des convictions bien trempées. Une idéologie étroite et aveuglante, préfèrent dire ses adversaires. À un expatrié français très au fait de l'actualité catalane, qui le rencontrait alors qu'il était vice-président régional pour la première fois, il décrit la Catalogne comme une espèce d'Arcadie de prospérité, de progressisme et de liberté. Son interlocuteur l'interrompt: «Mais, si tout va si bien, pourquoi donc vouloir quitter l'Espagne?» Junqueras, tout de go: «Pour la même raison que les Français ne veulent pas devenir allemands.»On ne peut pas accuser Junqueras d'avoir découvert l'indépendantisme sur le tard, comme on reproche à certains sécessionnistes de trouver leur chemin de Damas après des années d'accommodement avec Madrid. Lui dit soutenir la «République catalane» depuis ses 8 ans. Âgé aujourd'hui de 49 ans, il a attendu d'en avoir 38 pour se lancer en politique. D'abord au niveau local, à Sant Vicenç dels Horts, un fief qu'il ravit aux socialistes. Ensuite en Europe, tête de liste en 2009 d'ERC, dont il n'avait pas encore la carte. Enfin dans son «pays», quand il obtint la présidence du parti en 2011.
Ses rivaux chez les indépendantistes, les proches de Puigdemont, n'ont toujours pas digéré son comportement au plus fort de la crise. L'un d'entre eux rappelle régulièrement que quatre semaines après le référendum, lorsque Puigdemont devait arbitrer entre la convocation d'élections anticipées - qui aurait dû éviter la mise sous tutelle de la région - et la déclaration d'indépendance, le dirigeant d'ERC défendait la seconde option. Et se disait prêt à prendre la place de Puigdemont s'il ne se sentait pas l'étoffe d'un héros national. La même source apprécie modérément que Junqueras joue aujourd'hui l'apaisement face au jusqu'au boutiste Puigdemont.
Ambition contrariée
Ce dernier a lancé le week-end dernier, épaulé par son successeur Quim Torra et l'activiste et prisonnier Jordi Sanchez, un nouveau parti, baptisé La Crida («L'appel»). Son ambition, aussi vite contrariée qu'annoncée, est de rassembler l'ensemble de la famille indépendantiste. ERC s'est dépêchée de dire qu'elle n'était pas intéressée. Et même le PDeCat (centre droit indépendantiste), le parti héritier de Convergencia, dont est issu Puigdemont, se débat sur le sujet. La coïncidence des calendriers fait tiquer Joan Marcet, ancien député socialiste et professeur de science politique à l'Université autonome de Barcelone. «Quand le procès commencera, tous les médias catalans ne parleront plus que de cela. Et Puigdemont sera mécaniquement poussé en dehors de la lumière. Il ne peut même pas aller au tribunal en tant que témoin, il serait immédiatement arrêté!»L'ambition du politique n'a pas disparu en même temps que sa liberté. Comment tient-il? «C'est très dur, répond Junqueras, mais avoir la conscience tranquille est une grande aide psychologique.» Une interlocutrice occasionnelle a une autre explication: «Il considère son incarcération comme un investissement à moyen terme. S'il prend quatre ou cinq ans, entre la préventive et les remises de peine, il sera bientôt dehors, accueilli en grand leader de l'indépendantisme.» Le procureur réclame 25 ans.
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