Source : Bastamag
La
loi Elan sur le logement doit être définitivement votée au Parlement
mi-septembre. En plus de pousser à la privatisation du logement social
et de faciliter les expulsions, cette loi risque de rendre encore plus
difficile l’accès au logement pour les personnes handicapées. Si elle
est adoptée, seulement un dixième des logements neufs pourront
accueillir des personnes en fauteuil roulant. Pourtant, l’accessibilité
concerne aussi les personnes âgées et les familles avec des enfants en
bas âge. Qu’importe, le gouvernement Macron préfère satisfaire le lobby
des promoteurs immobiliers aux dépens des citoyens.
« Nous sommes absolument furieux ».
Telle est la réaction de Nicolas Mérille, conseiller national de
l’Association des paralysés de France (APF France handicap), à la loi
Elan sur le logement. La loi « sur l’évolution du logement, de
l’aménagement et du numérique » a été votée fin juin à l’Assemblée, puis
fin juillet au Sénat. Son adoption définitive est prévue mi-septembre.
Un article de la loi a provoqué la colère de l’ensemble des associations
françaises représentant les personnes handicapées. L’article 18 prévoit
que, dans les programmes de construction d’habitat neuf, « un
dixième de leurs logements, et au moins un logement, est accessible
tandis que leurs autres logements, évolutifs, peuvent être rendus
accessibles à l’issue de travaux simples ».
Il s’agit bel et bien d’un « assouplissement des normes d’accessibilité » comme le dit très clairement la présentation du projet de loi sur le site de l’Assemblée nationale. Les sénateurs ont certes ramené le quota de logements accessibles à 30 % [1]. Mais il est des plus probables que les députés de la majorité reviennent au seuil des 10 % en deuxième lecture. Or, ce sont eux qui auront le dernier mot. L’instauration d’un tel quota réduira drastiquement l’offre de logements accessibles aux personnes handicapées, comme l’ont dénoncé le défenseur des droits (voir ici) et le Conseil national consultatif des personnes handicapées (voir ici).
Samia souffre d’amyotrophie spinale depuis la naissance. Elle n’a jamais pu marcher. Elle habitait autrefois au sixième étage d’un immeuble dont l’ascenseur s’arrêtait au cinquième. Lorsqu’il fonctionnait (« rarement » déclare-t-elle), son père devait la porter. Le fauteuil automatique de 120 kg, impossible à porter, restait chez son frère, qui habitait à 30 minutes de chez elle. Chaque sortie impliquait d’aller chercher le fauteuil et chaque retour d’aller le déposer. Après 14 ans d’attente, sa famille a fini par être logée dans un appartement en rez-de-chaussée. ©Tien Tran.
Pour les personnes handicapées, moins de logements accessibles, c’est moins de logements dans lesquels elles pourront vivre. C’est aussi moins d’appartements qu’elles pourront louer quelques jours pour des vacances, moins de proches, amis ou familles, qu’elles pourront visiter, chez qui aller dîner… « Chers amis handicapés du futur, tout comme notre génération à nous, pour vous, les fêtes en famille où l’on se réunit tous dans une maison, pour le week-end chez les uns ou les autres, se passeront sans vous, le week-end en Airbnb avec vos potes, ce sera sans vous. Chers étudiants handicapés du futur, vous aurez, en plus de tout le reste, toujours la galère du logement quand vous voudrez partir étudier. Vous y renoncerez peut-être, d’ailleurs », résumait Elena Chamorro, du Clhee.
Pour Stéphane Lenoir, du Groupement pour l’insertion des personnes handicapées physiques (Gihp), la ligne de défense du gouvernement est irrecevable. « L’argumentation du gouvernement est de dire qu’il y a en fait peu de personnes qui ont besoin d’un logement accessible. Déjà, il y a peu de chiffres disponibles en matière de handicap, souligne le responsable. Mais surtout, dire, comme le fait cette loi, qu’une personne, parce qu’elle est handicapée, aura un choix moindre dans sa recherche de logement, c’est tout simplement de la discrimination. Le problème, sur le terrain, c’est que les personnes handicapées ne trouvent pas de logement, tout simplement. »
Les associations ne sont pas plus rassurées par le tour de passe-passe de l’article 18 : si seuls 10 % des logements seront accessibles, celui-ci énonce que les 90 % restants devront être « évolutifs », c’est-à-dire pouvoir être rendus accessibles « à l’issue de travaux simples ». « Déjà, qu’est ce cela veut-il dire, “à l’issue de travaux simples“ ? questionne Henri Galy. Si pour louer à un locataire handicapé, un propriétaire doit faire des travaux et attendre plusieurs mois pour recevoir des aides pour les faire, évidemment, il va privilégier le locataire valide. Cela aboutira à une discrimination institutionnalisée des locataires handicapés. »
Pour les associations, la loi Elan constitue ainsi un nouveau recul en matière d’accessibilité. Le principe du quota légal de logements accessibles réintroduit par la loi n’existait plus dans le droit français depuis longtemps. La grande loi sur le handicap de 2005 avait instauré un principe d’universalité d’accès au logement et aux bâtiments publics pour les personnes handicapées. « Les dispositions architecturales, les aménagements et équipements intérieurs et extérieurs des locaux d’habitation, qu’ils soient la propriété de personnes privées ou publiques, des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des lieux de travail doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap », stipule le texte de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » [7].
Odile est atteinte du syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie génétique rare touchant moins d’une personne sur 2000, dont elle souffre depuis plus de 20 ans. La douleur liée à la station debout l’empêche de marcher plus de quelques pas. L’accès à la douche par fauteuil est rendu impossible par une marche. Pour l’instant, elle peut encore se lever et parcourir les quelques pas qui l’amène au bac à douche où elle s’assoit. Mais son handicap va probablement s’aggraver, l’empêchant bientôt totalement d’y avoir accès. ©Tien Tran.
La première loi qui a inscrit dans le droit français une obligation d’accessibilité des bâtiments publics et d’habitation date en fait de… 1975. Nous la devons à Simone Veil, alors ministre de la Santé [9]. C’est cette loi qui avait, déjà, rompu avec les règles de quotas de logements adaptés. La loi Elan représente donc un retour de plus de 40 ans en arrière. « Il y a eu la loi de 1975, puis celle de 2005 qui disait que la France devait devenir accessible en dix ans, retrace Stéphane Lenoir. Mais cette disposition n’a pas été portée politiquement. Les moyens financiers n’y étaient pas. Alors, il y a eu un constat d’échec, et une désillusion progressive des associations. »
Cette grande loi sur le handicap avait été adoptée sous la présidence de Jacques Chirac. « Quand Sarkozy est arrivé au pouvoir, en 2007, il n’avait aucune appétence pour mettre en œuvre la loi, alors que c’était à ce moment là qu’il aurait fallu enclencher les politiques publiques. En 2012, on savait déjà que les délais allaient être allongés vu que presque rien n’avait avancé », rapporte Nicolas Mérille.
« Du point de vue des personnes handicapées, on voyait des avancées, certes trop lentes et timides, mais globalement, les choses progressaient. L’ordonnance de 2014 a inversé la tendance, juge Henri Galy. La loi Elan, c’est le deuxième coup porté à l’accessibilité. On recule. Nous nous attendons à encore pire. Par exemple, la SNCF doit rendre ses trains accessibles pour 2023. Mais si en 2022, ce n’est pas le cas, va t-on lui accorder, encore une fois, de nouveaux délais ? » Mi-août, un étudiant handicapé qui avait intenté un procès à la SNCF pour manque d’accessibilité de ses trains a été débouté par la justice. Pourquoi ? Parce que la SNCF fait partie des structures qui avaient obtenu un délai supplémentaire pour se mettre en accord avec la loi de 2005.
Pour Stéphane Lenoir, c’est toute l’approche du handicap qu’il faut changer pour avancer. « Si on continue à penser que le handicap est attaché à la personne, on n’arrivera pas à avancer. Le handicap est avant tout créé par l’environnement. Au final, c’est le fait qu’un logement n’est pas accessible qui crée le handicap. » Les associations ne se déclarent pas vaincues. Elle préparent un recours constitutionnel contre l’article 18 de la loi Elan [11]. Pour elles, cet article contrevient à la Convention internationale des droits des personnes handicapées, ainsi qu’à l’article premier de la constitution française, qui dit bien que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens ». Handicapés ou pas.
Texte : Rachel Knaebel
Photos : ©Tien Tran
Lire aussi : Expulsions accélérées, peines de prison : la loi « Elan » sur le logement s’apprête à criminaliser les plus précaires
« Nous décidons que vous avez droit à 10 % de notre liberté »
En résumé, à l’avenir, seulement 10 % de logements neufs devront désormais être accessibles aux personnes handicapées. « Avec le vote de la loi Elan, les députés de ce pays ont envoyé un message très clair aux personnes handicapées : nous avons décidé de la place que vous devez avoir dans cette société et cette place n’est pas parmi nous. Vous avez tout naturellement moins de droits. Nous décidons que vous ne serez pas à égalité avec nous et nous décidons que vous avez droit à 10 % de notre liberté », avait réagi Elena Chamorro, l’une des animatrices du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation (Clhee).Il s’agit bel et bien d’un « assouplissement des normes d’accessibilité » comme le dit très clairement la présentation du projet de loi sur le site de l’Assemblée nationale. Les sénateurs ont certes ramené le quota de logements accessibles à 30 % [1]. Mais il est des plus probables que les députés de la majorité reviennent au seuil des 10 % en deuxième lecture. Or, ce sont eux qui auront le dernier mot. L’instauration d’un tel quota réduira drastiquement l’offre de logements accessibles aux personnes handicapées, comme l’ont dénoncé le défenseur des droits (voir ici) et le Conseil national consultatif des personnes handicapées (voir ici).
Samia souffre d’amyotrophie spinale depuis la naissance. Elle n’a jamais pu marcher. Elle habitait autrefois au sixième étage d’un immeuble dont l’ascenseur s’arrêtait au cinquième. Lorsqu’il fonctionnait (« rarement » déclare-t-elle), son père devait la porter. Le fauteuil automatique de 120 kg, impossible à porter, restait chez son frère, qui habitait à 30 minutes de chez elle. Chaque sortie impliquait d’aller chercher le fauteuil et chaque retour d’aller le déposer. Après 14 ans d’attente, sa famille a fini par être logée dans un appartement en rez-de-chaussée. ©Tien Tran.
Le lobby du bâtiment obtient gain de cause
Cet assouplissement des règles d’accessibilité est réclamé depuis cinq ans par la Fédération française du bâtiment (FFB). Dans un rapport de 2013, sur l’évolution des coûts dans le secteur, la FFB préconise « de limiter le respect du cadre réglementaire pour 10 % des logements » pour les bâtiments avec ascenseurs. La demande a manifestement trouvé une oreille attentive du côté du gouvernement et des députés LREM [2]. « Il y a aussi un lobbying des promoteurs privés, pour qui l’objectif est de réduire le nombre de mètres carré des appartements », analyse Stéphane Lenoir.
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La fédération des promoteurs immobilier s’est félicité en juin de la « simplification des règles d’accessibilité » comme étant une « avancée importante » de la loi Elan [3]. S’il fallait bien « donner une meilleure accessibilité aux personnes vieillissantes, à mobilité réduite ou handicapées », cela ne devait pas se faire « au détriment du bon sens et du plus grand nombre », écrit de son côté la Fédération française du bâtiment, qui a donc vu ses préconisations suivies à la lettre [4]. Voilà donc quelle est la conception de l’accès au logement pour les entreprises du bâtiment.Soutenez l’indépendance de Basta! en faisant un don.
« Le nombre de logements construits accessibles va encore être divisé par dix »
« Il faut bien comprendre que la règle d’accessibilité actuelle s’applique déjà seulement aux appartement qui se trouvent soit en rez-de-chaussée, soit dans des immeubles avec ascenseurs [les immeubles neufs sont obligés d’avoir un ascenseur à partir de quatre étages, ndlr] », rappelle Henri Galy, président du Comité pour le droit au travail des handicapés et l’égalité des droits (CDTHED). Cela représente environ 40 % des logements construits chaque année. « Donc, le 100 % de logements neufs accessibles n’a jamais existé. Au rythme actuel de la construction de logements en France, environ 300 000 par an, il faudrait encore des décennies de construction de logement accessibles pour que les personnes handicapées puissent chercher un logement dans les mêmes conditions que les valides. Le résultat de cette nouvelle mesure, c’est que le nombre de logements construits accessibles va encore être divisé par dix », résume Henri Galy.Pour les personnes handicapées, moins de logements accessibles, c’est moins de logements dans lesquels elles pourront vivre. C’est aussi moins d’appartements qu’elles pourront louer quelques jours pour des vacances, moins de proches, amis ou familles, qu’elles pourront visiter, chez qui aller dîner… « Chers amis handicapés du futur, tout comme notre génération à nous, pour vous, les fêtes en famille où l’on se réunit tous dans une maison, pour le week-end chez les uns ou les autres, se passeront sans vous, le week-end en Airbnb avec vos potes, ce sera sans vous. Chers étudiants handicapés du futur, vous aurez, en plus de tout le reste, toujours la galère du logement quand vous voudrez partir étudier. Vous y renoncerez peut-être, d’ailleurs », résumait Elena Chamorro, du Clhee.
Un ministre qui « parle des personnes handicapées comme d’un minorité nuisible »
Face à ces critiques, qu’a répondu le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard ? « Je rappelle que 2 % de nos concitoyens se trouvent en situation de handicap », avait-il lancé, le 16 mai, à l’Assemblée nationale [5]. Selon le ministre, il ne faudrait donc pas plus de 10 % de logements accessibles puisque seulement 2 % de la population est en situation de handicap. Le 19 juillet au Sénat, le ministre, qui aime manifestement les pourcentages, déclare même que « dans un F3 par exemple, 5 à 6 m2 par logement sont perdus, bloqués par les normes au détriment de 100 % de nos concitoyens » [6]. Le ministre ne compte-t-il pas les personnes handicapées parmi les citoyens français ? « On voit bien que le ministre ne s’intéresse pas du tout au dossier, déplore le président du comité pour l’égalité des droits Henry Galy. Mézard parle des personnes handicapées comme d’une minorité nuisible. »Pour Stéphane Lenoir, du Groupement pour l’insertion des personnes handicapées physiques (Gihp), la ligne de défense du gouvernement est irrecevable. « L’argumentation du gouvernement est de dire qu’il y a en fait peu de personnes qui ont besoin d’un logement accessible. Déjà, il y a peu de chiffres disponibles en matière de handicap, souligne le responsable. Mais surtout, dire, comme le fait cette loi, qu’une personne, parce qu’elle est handicapée, aura un choix moindre dans sa recherche de logement, c’est tout simplement de la discrimination. Le problème, sur le terrain, c’est que les personnes handicapées ne trouvent pas de logement, tout simplement. »
Quid des personnes âgées et des familles avec des enfants en bas âge
Le coordinateur du Gihp rappelle aussi qu’« un logement accessible ne l’est pas seulement pour les personnes en fauteuil roulant, il l’est aussi pour les personnes âgées, les familles avec des petits enfants en poussette… Est-ce qu’une salle de bain assez grande pour s’y déplacer en fauteuil n’est pas aussi adaptée à une famille avec trois enfants ? » interroge le responsable.Les associations ne sont pas plus rassurées par le tour de passe-passe de l’article 18 : si seuls 10 % des logements seront accessibles, celui-ci énonce que les 90 % restants devront être « évolutifs », c’est-à-dire pouvoir être rendus accessibles « à l’issue de travaux simples ». « Déjà, qu’est ce cela veut-il dire, “à l’issue de travaux simples“ ? questionne Henri Galy. Si pour louer à un locataire handicapé, un propriétaire doit faire des travaux et attendre plusieurs mois pour recevoir des aides pour les faire, évidemment, il va privilégier le locataire valide. Cela aboutira à une discrimination institutionnalisée des locataires handicapés. »
Un débat de société plus large qui concerne tout le monde
« La notion de logement évolutif peut être intéressante s’il s’agit de reconfigurer les espaces de vie pour accueillir un aîné quand il devient dépendant, pour les familles recomposées, les jeunes adultes qui doivent revenir un temps chez leurs parents… , juge Nicolas Mérille de APF France handicap. Mais ici, le logement évolutif est considéré exclusivement sur le volet de l’accessibilité, et de manière régressive, sans aucune ouverture sur un débat de société plus large qui concernerait tout le monde, pas seulement les personnes handicapées. »Pour les associations, la loi Elan constitue ainsi un nouveau recul en matière d’accessibilité. Le principe du quota légal de logements accessibles réintroduit par la loi n’existait plus dans le droit français depuis longtemps. La grande loi sur le handicap de 2005 avait instauré un principe d’universalité d’accès au logement et aux bâtiments publics pour les personnes handicapées. « Les dispositions architecturales, les aménagements et équipements intérieurs et extérieurs des locaux d’habitation, qu’ils soient la propriété de personnes privées ou publiques, des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des lieux de travail doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap », stipule le texte de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » [7].
Odile est atteinte du syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie génétique rare touchant moins d’une personne sur 2000, dont elle souffre depuis plus de 20 ans. La douleur liée à la station debout l’empêche de marcher plus de quelques pas. L’accès à la douche par fauteuil est rendu impossible par une marche. Pour l’instant, elle peut encore se lever et parcourir les quelques pas qui l’amène au bac à douche où elle s’assoit. Mais son handicap va probablement s’aggraver, l’empêchant bientôt totalement d’y avoir accès. ©Tien Tran.
La loi Elan : un retour en arrière de 40 ans
« Concrètement, aujourd’hui, tous les logements construits doivent respecter des règles minimales de largeur des entrées, des couloirs, de hauteurs des poignées… Les logements qui se trouvent en rez-de-chaussée ou dans des immeubles qui doivent être munis d’un ascenseur, à partir de quatre étages, doivent respecter des règles d’accessibilité plus importantes », explique un architecte qui travaille sur de nombreux projets de logements collectifs. Les règles à respecter pour ces logements dit accessibles concernent en particulier la taille des différents espaces : la salle de bain, la cuisine, la chambre, le séjour. Toutes les pièces de vie doivent être assez grandes pour pouvoir s’y déplacer en fauteuil roulant [8]. « Le problème, c’est qu’entre 2005 et aujourd’hui, la taille des logements construits n’a pas changé. Alors, ce qu’on réduit, c’est la taille du salon », précise l’architecte.La première loi qui a inscrit dans le droit français une obligation d’accessibilité des bâtiments publics et d’habitation date en fait de… 1975. Nous la devons à Simone Veil, alors ministre de la Santé [9]. C’est cette loi qui avait, déjà, rompu avec les règles de quotas de logements adaptés. La loi Elan représente donc un retour de plus de 40 ans en arrière. « Il y a eu la loi de 1975, puis celle de 2005 qui disait que la France devait devenir accessible en dix ans, retrace Stéphane Lenoir. Mais cette disposition n’a pas été portée politiquement. Les moyens financiers n’y étaient pas. Alors, il y a eu un constat d’échec, et une désillusion progressive des associations. »
Cette grande loi sur le handicap avait été adoptée sous la présidence de Jacques Chirac. « Quand Sarkozy est arrivé au pouvoir, en 2007, il n’avait aucune appétence pour mettre en œuvre la loi, alors que c’était à ce moment là qu’il aurait fallu enclencher les politiques publiques. En 2012, on savait déjà que les délais allaient être allongés vu que presque rien n’avait avancé », rapporte Nicolas Mérille.
L’accessibilité aussi revue à la baisse pour les transports publics
Résultat : en 2014, sous la présidence de François Hollande, le gouvernement adopte une ordonnance qui permet de nombreuses dérogations, et allonge les délais pour que les établissements recevant du public deviennent accessibles. Les obligations d’accessibilité sont aussi revues à la baisse pour les transports publics, les bus et les trains [10]. « Il n’y a aucun contrôle, et pas de données officielles précises sur le pourcentage d’établissements recevant du public et de transports qui sont accessibles », souligne Nicolas Mérille.« Du point de vue des personnes handicapées, on voyait des avancées, certes trop lentes et timides, mais globalement, les choses progressaient. L’ordonnance de 2014 a inversé la tendance, juge Henri Galy. La loi Elan, c’est le deuxième coup porté à l’accessibilité. On recule. Nous nous attendons à encore pire. Par exemple, la SNCF doit rendre ses trains accessibles pour 2023. Mais si en 2022, ce n’est pas le cas, va t-on lui accorder, encore une fois, de nouveaux délais ? » Mi-août, un étudiant handicapé qui avait intenté un procès à la SNCF pour manque d’accessibilité de ses trains a été débouté par la justice. Pourquoi ? Parce que la SNCF fait partie des structures qui avaient obtenu un délai supplémentaire pour se mettre en accord avec la loi de 2005.
Pour Stéphane Lenoir, c’est toute l’approche du handicap qu’il faut changer pour avancer. « Si on continue à penser que le handicap est attaché à la personne, on n’arrivera pas à avancer. Le handicap est avant tout créé par l’environnement. Au final, c’est le fait qu’un logement n’est pas accessible qui crée le handicap. » Les associations ne se déclarent pas vaincues. Elle préparent un recours constitutionnel contre l’article 18 de la loi Elan [11]. Pour elles, cet article contrevient à la Convention internationale des droits des personnes handicapées, ainsi qu’à l’article premier de la constitution française, qui dit bien que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens ». Handicapés ou pas.
Texte : Rachel Knaebel
Photos : ©Tien Tran
Lire aussi : Expulsions accélérées, peines de prison : la loi « Elan » sur le logement s’apprête à criminaliser les plus précaires
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