19 septembre 2018 / Jean-Claude Richard (Revue Silence)
La manière dont
une coopérative autogérée décide de s’organiser est éminemment
politique. La preuve avec Diony-Coop, en Seine-Saint-Denis, qui bouscule
les idées reçues sur le fonctionnement d’un collectif de plusieurs
centaines de personnes.
Les Diony-Coop
s’inscrivent dans un parcours commencé en 2007 à l’initiative des
membres du groupe militant Henry-Poulaille, de la Fédération anarchiste.
Il s’agissait alors de créer une université populaire, lieu de partage
des connaissances. La Dionyversité a réuni plusieurs milliers de
personnes et favorisé l’émergence de cours organisés par le public
lui-même.
En 2010, le même collectif a porté l’émergence d’une Amap qui a trouvé au bout de deux ans son rythme de croisière avec deux maraîchers distribuant 250 paniers de légumes par semaine. L’ Amap Court-Circuit se voulait un espace où les principes et idéaux libertaires auraient à s’exprimer avec un large public nullement prédisposé à adhérer à ces principes. Les 70 personnes prêtes à rejoindre l’ Amap en formation ont accepté d’expérimenter un certain nombre de règles collectives en rupture avec nos habitudes sociales.
Ainsi, l’association créée pour répondre aux contraintes institutionnelles (assurances, bail, compte en banque) ne devait avoir aucune activité dans le collectif (il n’y a pas de bureau et jamais d’assemblée générale). La responsabilité individuelle des membres de l’ Amap devait être le maître mot de notre fonctionnement (si personne ne sent le besoin de préparer les paniers de légumes, c’est que l’ Amap n’a pas de sens et alors il vaut mieux la fermer). Ces pratiques simples entraînent un sentiment fort d’être membre d’un collectif porteur de confiance et d’entraide : clés du local en libre service, absence de contrôle dans la prise des paniers, espace de produits à la vente avec paiement direct dans une boîte et sans aucun contrôle.
À partir de ces expériences concrètes, une quarantaine de membres de l’ Amap Court-Circuit ont pris l’initiative de créer un certain nombre de « commissions » où se sont retrouvés celles et ceux qui avaient envie de mettre en forme l’organisation d’une coopérative alimentaire : une commission administrative et financière, une commission fournisseurs, une commission aménagement des locaux, une commission communication.
Il est important de signaler que ces commissions n’ont fonctionné que le temps de la réflexion et de la mise en pratique des décisions qu’elles avaient prises, ces décisions étant vues comme des expérimentations pouvant être modifiées au fur et à mesure des mises en pratique.
Cette méthode est en rupture radicale avec nos habitudes dans la mesure où elle privilégie les prises de responsabilité individuelle ou de groupe en acceptant les risques d’erreur. Elle évite aussi les discussions inutiles portées par celles et ceux qui ne font pas grand-chose mais ont des idées sur tout, et particulièrement en assemblée générale.
Il a été admis que la commande directe à des product·rices via l’intervention de coopérat·rices devait être le maître mot d’un collectif fondé sur l’entraide et la responsabilité individuelle. En d’autres termes, tout membre des Diony-Coop peut, de sa propre initiative et sans en référer à une quelconque « commission produits » ni à l’ensemble du collectif, passer une commande à un producteur.
Cette commande repose sur un certain nombre de principes relevant de bases communes : privilégier les produits bio ou de qualité, privilégier les petits producteurs, privilégier la production de proximité, payer la commande à la livraison.
Sur ce dernier point, il convient donc de demander l’accord du trésorier sur le montant à dépenser puisque tous les produits sont payés lors de l’achat. Le trésorier doit alors prendre sa décision sur l’aspect financier, sans tenir compte de la nature des produits commandés.
Le coopérateur devient le référent du produit dans la coopérative : il doit alors assurer la réception, la mise en rayons, l’étiquetage et le réapprovisionnement.
Aujourd’hui, en application de ces principes, 58 coopérateurs et coopératrices interviennent occasionnellement auprès des producteurs et 49 passent toutes les trois semaines les commandes aux grossistes et « gros » producteurs.
Cette prise en charge des achats par plus d’une centaine de membres — sur un effectif global de 492 inscrits — est remarquable. Elle tend à confirmer l’importance que l’on doit donner à la responsabilité individuelle si l’on veut répartir le plus largement possible la charge de travail liée aux achats.
Pendant trois ans, les 250 familles amapiennes avaient eu la possibilité d’acheter des produits bio et du commerce équitable via trois armoires mises à leur disposition dans le local de Court-Circuit. Le paiement des produits était assuré directement par les amapien·nes, sans contrôle. Dans la foulée de cette expérience, les membres de la commission ont décidé de rompre définitivement avec le système commercial classique en abandonnant le principe de la caisse par laquelle devrait passer chaque coopérat·rice, afin d’établir la valeur de ses achats.
À Diony-Coop, chaque coopérateur et chaque coopératrice est responsable de ses achats et doit lui- ou elle-même en calculer le montant.
Autre point fort, la commission a décidé d’abandonner l’outil informatique pour revenir à une gestion manuelle, sur papier, des données financières.
Chaque coopérat·rice dépose sur son compte, matérialisé par une fiche cartonnée, un montant par chèque afin de pouvoir participer à l’achat du stock.
Aujourd’hui, de nouvelles coopératives alimentaires autogérées sont nées à Sète (Hérault), Sauxillanges (Puy-de-Dôme), Grasse (Alpes-Maritimes), Amiens (Somme), Cergy-Pontoise et Enghien-les-Bains (Val-d’Oise), Châteaufort (Yvelines), Pantin et l’Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Lans-en-Vercors (Isère).
D’autres sont en cours de création à Asnières, Gennevilliers, Antony, Fontenay-aux-Roses et Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), Besançon (Doubs), Saint-Georges-d’Oléron (Charente-Maritime) et Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Parallèlement, une fédération des coopératives alimentaires autogérées est en cours de création. Son objet est simplement de mettre en ligne le maximum d’informations sur les coopératives alimentaires existantes, ainsi que des conseils et des adresses utiles.
En 2010, le même collectif a porté l’émergence d’une Amap qui a trouvé au bout de deux ans son rythme de croisière avec deux maraîchers distribuant 250 paniers de légumes par semaine. L’ Amap Court-Circuit se voulait un espace où les principes et idéaux libertaires auraient à s’exprimer avec un large public nullement prédisposé à adhérer à ces principes. Les 70 personnes prêtes à rejoindre l’ Amap en formation ont accepté d’expérimenter un certain nombre de règles collectives en rupture avec nos habitudes sociales.
Ainsi, l’association créée pour répondre aux contraintes institutionnelles (assurances, bail, compte en banque) ne devait avoir aucune activité dans le collectif (il n’y a pas de bureau et jamais d’assemblée générale). La responsabilité individuelle des membres de l’ Amap devait être le maître mot de notre fonctionnement (si personne ne sent le besoin de préparer les paniers de légumes, c’est que l’ Amap n’a pas de sens et alors il vaut mieux la fermer). Ces pratiques simples entraînent un sentiment fort d’être membre d’un collectif porteur de confiance et d’entraide : clés du local en libre service, absence de contrôle dans la prise des paniers, espace de produits à la vente avec paiement direct dans une boîte et sans aucun contrôle.
Privilégier la responsabilité individuelle ou de groupes
En janvier 2015, une rencontre entre une dizaine de coopératives alimentaires à la coopérative l’Indépendante, à Paris, a permis de faire l’inventaire de ce qui était fait ici et là en matière d’organisation, de gestion et de décisions.À partir de ces expériences concrètes, une quarantaine de membres de l’ Amap Court-Circuit ont pris l’initiative de créer un certain nombre de « commissions » où se sont retrouvés celles et ceux qui avaient envie de mettre en forme l’organisation d’une coopérative alimentaire : une commission administrative et financière, une commission fournisseurs, une commission aménagement des locaux, une commission communication.
Il est important de signaler que ces commissions n’ont fonctionné que le temps de la réflexion et de la mise en pratique des décisions qu’elles avaient prises, ces décisions étant vues comme des expérimentations pouvant être modifiées au fur et à mesure des mises en pratique.
- L’ Amap Court-Circuit.
Cette méthode est en rupture radicale avec nos habitudes dans la mesure où elle privilégie les prises de responsabilité individuelle ou de groupe en acceptant les risques d’erreur. Elle évite aussi les discussions inutiles portées par celles et ceux qui ne font pas grand-chose mais ont des idées sur tout, et particulièrement en assemblée générale.
Tout membre des Diony-Coop peut, de sa propre initiative, passer une commande à un producteur
Si la commission fournisseurs a repris à son compte des éléments majeurs des pratiques mises en œuvre par plusieurs coopératives alimentaires déjà existantes — produits bio et/ou de qualité, produits issus du commerce équitable et de proximité —, la stratégie globale a consisté à chercher la conciliation entre les attentes des coopérateurs et coopératrices en matière de nombre de produits proposés (900 références après trois ans d’existence), ainsi que leur implication dans la recherche de fournisseu·ses et de product·rices.Il a été admis que la commande directe à des product·rices via l’intervention de coopérat·rices devait être le maître mot d’un collectif fondé sur l’entraide et la responsabilité individuelle. En d’autres termes, tout membre des Diony-Coop peut, de sa propre initiative et sans en référer à une quelconque « commission produits » ni à l’ensemble du collectif, passer une commande à un producteur.
Cette commande repose sur un certain nombre de principes relevant de bases communes : privilégier les produits bio ou de qualité, privilégier les petits producteurs, privilégier la production de proximité, payer la commande à la livraison.
Sur ce dernier point, il convient donc de demander l’accord du trésorier sur le montant à dépenser puisque tous les produits sont payés lors de l’achat. Le trésorier doit alors prendre sa décision sur l’aspect financier, sans tenir compte de la nature des produits commandés.
Le coopérateur devient le référent du produit dans la coopérative : il doit alors assurer la réception, la mise en rayons, l’étiquetage et le réapprovisionnement.
Aujourd’hui, en application de ces principes, 58 coopérateurs et coopératrices interviennent occasionnellement auprès des producteurs et 49 passent toutes les trois semaines les commandes aux grossistes et « gros » producteurs.
Cette prise en charge des achats par plus d’une centaine de membres — sur un effectif global de 492 inscrits — est remarquable. Elle tend à confirmer l’importance que l’on doit donner à la responsabilité individuelle si l’on veut répartir le plus largement possible la charge de travail liée aux achats.
Pas de contrôle ni d’informatique
Cette commission a bien entendu mis en place des procédures favorisant la responsabilité individuelle, déjà maître mot du fonctionnement de l’ Amap Court-Circuit.Pendant trois ans, les 250 familles amapiennes avaient eu la possibilité d’acheter des produits bio et du commerce équitable via trois armoires mises à leur disposition dans le local de Court-Circuit. Le paiement des produits était assuré directement par les amapien·nes, sans contrôle. Dans la foulée de cette expérience, les membres de la commission ont décidé de rompre définitivement avec le système commercial classique en abandonnant le principe de la caisse par laquelle devrait passer chaque coopérat·rice, afin d’établir la valeur de ses achats.
À Diony-Coop, chaque coopérateur et chaque coopératrice est responsable de ses achats et doit lui- ou elle-même en calculer le montant.
Autre point fort, la commission a décidé d’abandonner l’outil informatique pour revenir à une gestion manuelle, sur papier, des données financières.
Chaque coopérat·rice dépose sur son compte, matérialisé par une fiche cartonnée, un montant par chèque afin de pouvoir participer à l’achat du stock.
L’ESSOR DES COOPÉRATIVES ALIMENTAIRES AUTOGÉRÉES
Si en 2015, il n’y avait que quelques précurseurs comme l’Indépendante, Coopaparis, Coopali et les Gases, la situation a beaucoup changé et l’avenir est prometteur. En septembre 2017, une rencontre nationale des coopératives alimentaires autogérées s’est tenue à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Une dizaine de coopératives avaient été invitées à présenter leur fonctionnement et leurs particularités.Aujourd’hui, de nouvelles coopératives alimentaires autogérées sont nées à Sète (Hérault), Sauxillanges (Puy-de-Dôme), Grasse (Alpes-Maritimes), Amiens (Somme), Cergy-Pontoise et Enghien-les-Bains (Val-d’Oise), Châteaufort (Yvelines), Pantin et l’Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Lans-en-Vercors (Isère).
D’autres sont en cours de création à Asnières, Gennevilliers, Antony, Fontenay-aux-Roses et Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), Besançon (Doubs), Saint-Georges-d’Oléron (Charente-Maritime) et Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Parallèlement, une fédération des coopératives alimentaires autogérées est en cours de création. Son objet est simplement de mettre en ligne le maximum d’informations sur les coopératives alimentaires existantes, ainsi que des conseils et des adresses utiles.
- Diony-Coop, des coopératives alimentaires autogérées dans le 9-3, ou quelques conseils et informations qui vous permettront d’ouvrir une coopérative alimentaire dans votre ville, de Jean-Claude Richard, Éditions libertaires, 2018, 96 p., 9,50 €.
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Lire aussi : À Saint-Denis, l’Amap est anarchiste et ça marche très bien
Source et photos : Article transmis amicalement à Reporterre par Silence.
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