Source : Reporterre Marie Astier
Un tiers des exploitations agricoles françaises sont des « petites fermes ». « Archaïques », « condamnées à disparaître »,
les préjugés qu’elles subissent ont la vie rude. Pourtant, en
favorisant la biodiversité, créant de l’emploi ou maintenant le tissu
social, les petites fermes montrent le chemin aux plus grandes.
- Claye-Souilly (Seine-et-Marne), reportage
En cette fin février, la ferme n’accueille plus qu’une seule petite « bande » de 90 poules pondeuses. Bientôt arriveront de nouveaux poussins pour les volailles de chair, qui viendront remplir les deux autres poulaillers : la ferme produit également 600 poulets, oies, canards et pintades par an. Tout ce petit monde n’est nourri qu’avec des céréales produites sur place.
Cet effectif est une broutille comparée aux exploitations de milliers de volatiles qui donnent à la France son rang de cinquième productrice mondiale de volailles. « Tous les jours, quand je viens donner à manger, je vérifie l’état des fientes. Avoir de petits poulaillers permet d’être très attentif à l’état sanitaire de chacun, et de pouvoir les soigner en préventif », précise l’agricultrice. Ainsi, elle évite les antibiotiques, bien qu’ils soient autorisés à petite dose en bio. Autre avantage, ses poules sont bien plus aventureuses que celles des élevages classiques, et mènent réellement leur vie dehors. « J’ai planté des arbres et aménagé des abris, car, en fait, ce sont des animaux qui n’aiment pas être en terrain dégagé », montre-t-elle. Avantage, les pommiers ont même permis de faire du jus l’année passée.
- Les volailles d’Isabelle Godard.
La terre autrefois en monoculture redevient un havre de biodiversité
Devant les serres s’alignent des arbres encore dénudés. « On a un hectare, la plus grande exploitation de noyers de Seine-et-Marne », s’amuse la paysanne. C’est en fait la seule du département. Ses yeux se plissent sous son bonnet : « Ils ont été plantés par mon père. »- L’alignement des noyers.
Passionnée par les bactéries qui s’épanouissent sous nos pieds, l’ex-biochimiste est inépuisable sur le sujet. À la ferme, tout est pensé pour assurer une fertilité maximale : « Je me bats pour le modèle de la polyculture-élevage, pour la complémentarité végétal-animal. » Les volailles fournissent la matière organique pour les champs, où poussent les céréales. Les poules, friandes d’insectes, limitent de ce fait les indésirables autour des serres et mangent les déchets de légumes et les céréales.
- Toutes les semaines, des Amapiens viennent donner un coup de main.
Volailles, maraîchage, céréales et même un peu de fruits : peu de fermes en Île-de-France affichent une telle diversité sur une aussi petite surface. Située juste à la périphérie de l’agglomération parisienne, la situation semble idéale : « Le circuit de distribution est énorme, on peut tout faire si on a la chance d’avoir des terrains dans la région », reconnaît la fermière. L’exploitation pourrait aisément fournir un deuxième emploi à plein temps, en plus des saisonniers qui viennent prêter main-forte l’été. La quantité de légumes produite et distribuée en Amap pourrait être multipliée par quatre. « Mais, mon problème est humain, je ne trouve pas d’associé ! » s’étonne-t-elle. La banlieue parisienne a apparemment du mal à séduire les futurs agriculteurs.
- La ferme d’Isabelle Godard.
« Les petits exploitants font preuve de créativité et sont innovants »
Selon le modèle agricole dominant en France, une ferme telle que celle d’Isabelle ne devrait pas pouvoir exister. Improductives, dépassées, archaïques, vouées à péricliter, non concurrentielles… Les préjugés sur les petites fermes ont la vie dure dans le monde agricole. « Dans les années 1960, on a dit que la modernité imposait que les fermes s’agrandissent. On est resté dans cette idée : une petite ferme, soit elle disparaît, soit elle s’agrandit », dit Pauline Lécole. Doctorante en agronomie, elle prépare une thèse sur les petites exploitations.Effectivement, les politiques, le temps et l’organisation du système agricole ont fait — en partie — leur œuvre : les dernières études en date montrent qu’environ un tiers des petites fermes ont disparu entre 2000 et 2007. Les derniers chiffres du recensement agricole indiquent une poursuite du déclin : 8 % du total des exploitations ont disparu entre 2010 et 2013, mais seulement 1 % parmi les moyennes et grandes fermes. Le rythme est donc bien plus soutenu chez les petites.
- Pause-café dans la serre.
Et toutes ne sont pas au bord de l’agonie, loin de là. « En tant qu’économiste, j’ai été surpris de constater à quel point les petits exploitants font preuve de créativité et sont innovants », observe Jean-François Le Clanche, docteur en économie. Sur les 170 petits exploitants rencontrés pour son étude, un tiers appartenaient à la catégorie de ceux qu’il qualifie « d’entrepreneurs » : « Ils n’hésitent pas à sortir des sentiers battus, vendent en direct, transforment leur produit, sont passionnés et ont un projet de vie autour de leur exploitation. »
- Le bouc de l’exploitation.
Jacques Caplat, aussi agronome, préfère pour sa part parler de « fermes à taille humaine » : « Il faut que la ferme soit cohérente du point de vue agronomique. Par exemple, pour des vaches laitières, qu’il y ait adéquation entre le nombre de vaches et les prairies disponibles, mais aussi que la distance des prairies à la salle de traite soit adaptée à ce que peut parcourir une vache en une journée. Et puis, l’agriculteur doit pouvoir créer une relation avec son troupeau, l’observer. » Du côté économique, « il faut qu’il soit autonome en intrants, et dispose de différents circuits d’écoulement de ses produits pour ne pas être dépendant », poursuit l’agronome.
« Elles maintiennent un paysage agricole plus diversifié »
Pour autant, toutes les petites fermes ne correspondent pas à ce modèle idyllique. Chez les agriculteurs rencontrés par Jean-François Le Clanche, il y en avait aussi proches de la retraite, ayant renoncé à investir dans leur exploitation. Ou d’autres n’attendant que l’occasion de s’agrandir. Une étude complétée par celle — effectuée à partir de statistiques sur toute la France — de l’agroéconomiste Philippe Perrier-Cornet. « La France des petites exploitations est celle des montagnes et des zones défavorisées », résume-t-il.Globalement, il constate que peu mettent en œuvre les stratégies qui permettent aux petites fermes de survivre : diversification des cultures, passage en bio, labels de qualité, transformation des produits, ou vente directe. « Les petits agriculteurs sont souvent isolés et peu formés », explique-t-il. Il distingue cependant deux catégories : « Les exploitants d’origine agricole, qui se maintiennent grâce aux aides “montagne” de la Politique agricole commune ; et une petite frange de néoruraux qui s’installent sur de petites surfaces en raison de la concurrence pour le foncier. »
Dans la diversité des petites fermes, faut-il donc laisser tomber celles qui n’auraient pas le capital — éducatif, social, financier — pour faire évoluer leur ferme, et ne garder que les plus dynamiques ? Cela semble être la logique des politiques demandées par la FNSEA, principal syndicat agricole, et mises en œuvre par le gouvernement face à la crise agricole. Devant une masse de grandes fermes, les petites — plébiscitées par les consommateurs — serviraient avant tout de paravent bucolique.
- Le champ de la petite ferme d’Isabelle Godard.
Du point de vue environnemental, les petites fermes ont plus de chances de favoriser la biodiversité. « Si on a une trentaine de fermes plutôt qu’une seule, il y aura plus de fossés, de bords de champs, d’interfaces intéressantes du point de vue écologique », explique François Léger, aussi écologue. « Autre avantage : elles peuvent plus facilement sortir du modèle industriel », poursuit-il. Ou encore se transmettre aux jeunes agriculteurs.
« Il faut redonner confiance aux petites fermes »
Autant de services qui ne sont pas reconnus pas les politiques publiques. « Au moins 80 % des aides versées à l’agriculture sont indexées à la taille des exploitations », regrette Michel Berocoirigoin, président de la Chambre d’agriculture alternative du Pays basque et militant de la Confédération paysanne.« Dans les statistiques européennes, on ne garde que les moyennes et grandes fermes. Ce qui veut dire que les données sur la Politique agricole commune n’incluent pas les petites », confirme Pauline Lécole. Comme Philippe Perrier-Cornet, elle juge nécessaire d’au moins maintenir les quelques aides que les petites fermes reçoivent — principalement celles destinées aux zones défavorisées en montagne —, et d’imaginer une répartition des aides qui leur serait plus favorable.
Du côté syndical, Michel Berocoirigoin plaide pour une majoration des aides aux premiers hectares, mais aussi pour la suppression des planchers d’accès à certaines subventions, qui excluent les petites fermes, ou encore une adaptation des normes d’hygiènes et de commercialisations pensées pour les plus gros. Autant de sujets qui concernent l’Union européenne, où les discussions sont en cours pour définir la prochaine Politique agricole commune, qui s’appliquera à partir de 2020. « Il faut redonner confiance aux petites fermes », dit le paysan.
Puisque vous êtes ici… … nous avons une faveur à vous demander. Il n’y a jamais eu autant de monde à lire Reporterre, mais nos revenus ne sont pourtant pas assurés.
Contrairement à une majorité de médias, nous n’affichons aucune publicité, et laissons tous nos articles en libre accès, afin qu’ils restent consultables par tous. Vous pouvez donc voir pourquoi nous avons besoin de votre aide. Le journalisme indépendant, avec enquêtes et investigations, demande du temps, de l'argent, et un travail acharné. Nous le faisons car nous croyons que notre vision, celle de l’environnement et de l’écologie comme sujets majeurs de société, compte — car cette vision est aussi peut-être la vôtre.
Reporterre est indépendant sur le plan éditorial ; le journal, sans propriétaire ni actionnaire, est géré par une association à but non lucratif. Personne ne dicte notre opinion. C'est important car cela nous permet de donner une voix à ceux qui ne sont pas audibles, de défier les puissants et de les mettre face à leurs responsabilités. C’est ce qui nous différencie de tant d’autres médias, à un moment où des reportages factuels et honnêtes sont essentiels.
Si toutes les personnes qui lisent et apprécient nos articles contribuent financièrement, la vie du journal sera pérennisée. Même pour 1 €, vous pouvez soutenir Reporterre — et cela ne prend qu’une minute. Merci.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire