Source : Bastamag
De
plus en plus soumises aux « lois du marché », les forêts publiques
françaises vont-elles être abîmées dans l’indifférence générale ? Gardes
forestiers, salariés et syndicalistes de l’historique Office nationale
des forêts (ONF) ne s’y résignent pas. Face à la menace de
surexploitation qui pèse sur ce bien commun, face à la mutation de leur
métier qui leur impose d’être financièrement rentables plutôt que de
préserver les écosystèmes, face au profond malaise social qui les ronge,
les forestiers organisent à partir du 17 septembre une grande marche
pour la forêt. Voici les raisons de leur révolte.
Les garde-forestiers de l’Office national des forêts (ONF) organisent à partir de ce 17 septembre une grande marche à travers la France
pour dénoncer l’industrialisation qui menace la gestion des forêts
publiques. Celles-ci couvrent près de 4,6 millions d’hectares, soit
l’équivalent de la région Bourgogne Franche-Comté. Partant de Mulhouse,
Valence, Perpignan ou Strasbourg, les forestiers se donnent pour
objectif de rejoindre à pied, d’ici le 25 octobre, la forêt de Tronçais,
dans l’Allier, l’une des plus belles futaies de chênes en France
plantée au 17ème siècle. Un grand rassemblement s’y déroulera le même
jour.
Cette mobilisation s’inscrit dans la droite ligne d’une lutte qui oppose depuis des années les agents de l’ONF à leur direction nationale. Moins visibles que les cheminots ou les postiers, les forestiers subissent pourtant des réformes en tous points similaires : baisse des effectifs, dégradation des conditions de travail, prédominance des exigences de rentabilité… Ici, dans les sous-bois et les clairières, ce ne sont pas des lignes de train ou des bureaux de poste de proximité qui sont soumis à l’ordre gestionnaire et productiviste, mais des écosystèmes entiers.
C’est au tournant de l’an 2000 que l’institution forestière française entame sa mue néolibérale. La grande tempête de 1999 a engendré un traumatisme économique au sein de la filière et coûté plus de 500 millions d’euros à la forêt publique [2]. « La tempête a servi de prétexte. Elle a accéléré le processus. Mais le ver était déjà dans le fruit, nuance Philippe Canal, porte-parole du Snupfen, le principal syndicat de l’ONF. Depuis sa création en 1964, l’ONF a un mode de financement bancal qui dépend de la vente de bois. D’où une pression toujours plus forte pour en couper davantage et délaisser certaines missions jugées non rentables, comme celles liées à l’environnement, à l’accueil du public ou à la surveillance ». Depuis quatre décennies, le volume de bois récolté a augmenté d’un tiers alors que les recettes provenant de ces ventes ont baissé de 35 %. « C’est un fonctionnement suicidaire ! Le financement de l’ONF devrait être libéré des contraintes du marché du bois », juge Philippe Canal.
L’exploitation et la commercialisation de bois ont toujours fait partie des missions de l’ONF, mais la consécration des exigences de rentabilité amorce une transformation en profondeur de l’institution. La bataille qui commence alors est aussi sémantique. « Tout un vocabulaire nous envahit et transforme la philosophie de notre métier. Nous ne devions plus nous appeler "garde forestier", mais "agent patrimonial" », illustre Jérôme [4]. Pour cet homme des forêts qui travaille depuis plus de trente ans au sein de l’établissement, la modification n’est pas anodine. « Elle transforme notre identité. Alors qu’un garde forestier protège les milieux naturels, prend soin d’un territoire, un agent patrimonial s’occupe d’une forêt comme un conseiller bancaire gère des portefeuilles. »
Ce changement imposé dans la manière d’aborder la forêt, le professionnel le ressent comme une perte de sens. « Nous avons perdu ce qui faisait notre fierté : le regard global sur la forêt, la polyvalence et la diversité de notre métier. Nous devenons de simples techniciens. C’est une forme pernicieuse de taylorisme. » Cette tendance productiviste s’est accompagnée de coupes claires dans les effectifs. Entre 2002 et 2016, un quart des effectifs a été supprimé, rappelait le directeur de l’ONF, Christian Dubreuil, devant le Sénat en mars 2018. « Ces trente dernières années, l’ONF est passé de 15 000 à 9000 employés. 4 emploi sur 10 ont été supprimés, déplore Frédéric Bedel, du Snupfen. Nous avons vécu avant l’heure la Révision générale des politiques publiques », dit-il, en référence à la fameuse « RGPP », politique de réduction du nombre de fonctionnaires lancée par Nicolas Sarkozy en 2007.
« Avec des hommes broyés, il y a de forte chance que la forêt soit, elle-même, transformée en pellet. » Il y a de l’ironie dans la formule de Thomas, jeune forestier, mais aussi beaucoup d’amertume. Le management néolibéral s’accompagne d’une poussée productiviste. Avec des conséquences directes sur les forêts publiques. La surface que doit gérer un garde forestier a doublé, selon le syndicaliste Philippe Bedel. « Et ce, dans des espaces de plus en plus grands, éclatés, déconnectés. Le forestier perd ainsi le lien affectif avec son territoire. C’est alors plus difficile de faire un travail de qualité », souligne-t-il. Sur le marché du bois, les forêts publiques, plus grandes et souvent plus faciles à exploiter, fournissent 40% du bois français, alors qu’elles ne représentent qu’un quart de la surface forestière [5]. La pression économique devrait encore s’y accentuer.
De fait, l’office subordonne ses activités aux appétits de l’industrie. Elle se retrouve même au cœur des dérives de la biomasse. L’institution forestière a ainsi fourni la centrale de Gardanne, qui produit de l’électricité à partir de la biomasse, avec du bois jurassien coupé à 500 kilomètres de distance de l’usine. « On vend l’ONF aux marchands de bois », déplore Michel, un retraité de l’office inscrit à la CGT. Les syndicats pointent de récents recrutements de responsables commerciaux qui sont également grossistes et gérants d’entreprises dans la filière bois privée. Selon eux, « ce type d’embauche pourrait provoquer de graves conflits d’intérêts et menacer une gestion durable des forêts publiques ».
Selon les syndicats, l’ONF souffrerait même d’une tendance à l’autoritarisme. Ils reprochent à la direction plusieurs limogeages — dont celui du directeur financier et de la directrice générale adjointe — survenus depuis la nomination du nouveau directeur général. « Le climat social délétère » dénoncé par l’intersyndicale a poussé en septembre 2017 cinq syndicats à démissionner des instances représentatives de l’Office. « Il n’y a plus de dialogue possible. La direction est sourde et aveugle. C’est un management par la terreur », relate Corinne Larenaudie, syndiquée à l’Unsa, lors d’une manifestation des forestiers en juin dernier.
Pire, l’étude montrait les traumatismes que la mutation de l’office a engendrés : démotivation au travail, niveau de stress élevé, perte de sens, risque important de troubles psychosociaux, perte de repères, sentiment d’isolement… Le 12 février 2013, sur l’île de la Réunion, un agent de l’ONF exécute son DRH en pleine discussion de travail avant de retourner l’arme contre lui pour se donner la mort. La communication officielle nie alors tout lien entre ce drame et le malaise social au sein de l’établissement.
Mais deux agents se sont encore suicidés en mars et avril de cette même année 2013. Et au moins trois suicides avaient endeuillé l’office en 2011. Sur les quinze dernières années, l’ONF a compté plus de 40 suicides parmi ses agents. « C’est proportionnellement autant qu’à France télécom, mais personne n’en parle, soupire un forestier. La souffrance au travail est absente des discussions au sein de l’établissement. Nous avons choisi ce métier par vocation. Or, si votre passion est déréglée, logiquement vous perdez pied. » À chaque fois, la direction évoque la fragilité et la solitude des victimes, elle individualise et psychologise le problème. Parfois, elle propose un numéro vert d’assistance. Pour le syndicat Snupfen, « cette obstination à ne pas se remettre en cause relève de la mise en danger d’autrui ».
Le feu qui couve à l’ONF pourrait donc très bien se répandre. « Nous devons dépasser les corporatismes pour créer un mouvement large de défense des forêts », dit un syndicaliste. Une association, SOS Forêt, s’est justement créée il y a cinq ans pour rassembler citoyens, associations environnementales et professionnels du bois. Pour Jérôme, le jeune agent de l’ONF, « il y a quelque chose d’inédit qui s’invente ici. Une forme d’écologie sociale qui relie les luttes syndicales aux questions environnementales, qui pose la question de l’emploi autant que celle de la préservation des écosystèmes. Les forêts, ce sont les luttes de demain. »
Gaspard D’Allens
En photos : Plateau du Vercors / CC ImAges ImprObables - Forêt du Tronçais dans l’Allier / CC Hale-Bopp - Forêt de Brocéliande en Bretagne / CC Catherine Reznitchenko
Lire aussi notre entretien avec Jean-Baptiste Vidalou, auteur de Être forêts, habiter des territoires en lutte : « Il va bien falloir prendre parti dans la guerre en cours, entre les managers et les alliés du vivant »
Cette mobilisation s’inscrit dans la droite ligne d’une lutte qui oppose depuis des années les agents de l’ONF à leur direction nationale. Moins visibles que les cheminots ou les postiers, les forestiers subissent pourtant des réformes en tous points similaires : baisse des effectifs, dégradation des conditions de travail, prédominance des exigences de rentabilité… Ici, dans les sous-bois et les clairières, ce ne sont pas des lignes de train ou des bureaux de poste de proximité qui sont soumis à l’ordre gestionnaire et productiviste, mais des écosystèmes entiers.
Un tournant libéral dans les années 2000
« Notre bien commun est en danger », alertent les responsables syndicaux de l’Office, qui ont enchainé les grèves et les manifestations ces derniers mois [1]. Le 17 mai 2018, une manifestation a rassemblé plus de 1000 fonctionnaires et salariés de droit privé de l’ONF dans plusieurs villes de France. Le mouvement, même s’il peine à se faire entendre, reste déterminé et bien structuré autour d’une intersyndicale solidaire.C’est au tournant de l’an 2000 que l’institution forestière française entame sa mue néolibérale. La grande tempête de 1999 a engendré un traumatisme économique au sein de la filière et coûté plus de 500 millions d’euros à la forêt publique [2]. « La tempête a servi de prétexte. Elle a accéléré le processus. Mais le ver était déjà dans le fruit, nuance Philippe Canal, porte-parole du Snupfen, le principal syndicat de l’ONF. Depuis sa création en 1964, l’ONF a un mode de financement bancal qui dépend de la vente de bois. D’où une pression toujours plus forte pour en couper davantage et délaisser certaines missions jugées non rentables, comme celles liées à l’environnement, à l’accueil du public ou à la surveillance ». Depuis quatre décennies, le volume de bois récolté a augmenté d’un tiers alors que les recettes provenant de ces ventes ont baissé de 35 %. « C’est un fonctionnement suicidaire ! Le financement de l’ONF devrait être libéré des contraintes du marché du bois », juge Philippe Canal.
S’occuper d’une forêt « comme un conseiller bancaire gère des portefeuilles »
En 2002, les forestiers voient arriver de drôles de collègues, sans bottes ni uniforme vert, mais affublés de cravates et abusant des tableaux Excel. « Des cabinets d’audit international comme Deloitte & Touche ont été mandatés par la direction pour proposer des réformes, rapporte un syndicaliste. Fortement influencés par l’univers concurrentiel et la gestion telle qu’elle se pratique dans les entreprises privées, ces consultants ont calqué ce qu’ils connaissaient pour le plaquer tel quel sur le service public. » Le « Projet pour l’office » qui est ressorti des analyses de ces consultants exige un gain de productivité de 30% en cinq ans et une baisse des effectifs [3]. Un coup dur pour les forestiers.L’exploitation et la commercialisation de bois ont toujours fait partie des missions de l’ONF, mais la consécration des exigences de rentabilité amorce une transformation en profondeur de l’institution. La bataille qui commence alors est aussi sémantique. « Tout un vocabulaire nous envahit et transforme la philosophie de notre métier. Nous ne devions plus nous appeler "garde forestier", mais "agent patrimonial" », illustre Jérôme [4]. Pour cet homme des forêts qui travaille depuis plus de trente ans au sein de l’établissement, la modification n’est pas anodine. « Elle transforme notre identité. Alors qu’un garde forestier protège les milieux naturels, prend soin d’un territoire, un agent patrimonial s’occupe d’une forêt comme un conseiller bancaire gère des portefeuilles. »
« Nous avons perdu ce qui faisait notre fierté : le regard global sur la forêt »
« Contrat », « performance », « feuille de route », « cible », le quotidien des forestiers s’est ensuite peuplé de ces mots qui ont plus à voir avec le CAC40 qu’avec la protection de la nature. « Ce n’est pas seulement idéologique, cela a un impact réel sur nos vies et nos journée de travail, que l’on passe de plus en plus derrière l’écran, à devoir se justifier, poursuit Jérôme. On nous demande de classer nos activités en "grands domaines fonctionnels", plus ou moins rentables. On sectorise. D’un côté on créé un service "forêt", de l’autre un service "bois". À partir du moment où l’arbre est couché, ce n’est plus le même service qui en est chargé, alors que les arbres sont pour nous des ressources gérées sur des décennies, voir des siècles. Aujourd’hui, quand nous nous promenons en forêt, nous ne sommes plus censés voir que les futures grumes [le tronc de l’arbre abattu et ébranché, ndlr], pas la qualité du sol, ni l’humus, ni les arbres morts, ni la nidification. Pour cela, nous avons maintenant des responsables environnementaux dédiés. »Ce changement imposé dans la manière d’aborder la forêt, le professionnel le ressent comme une perte de sens. « Nous avons perdu ce qui faisait notre fierté : le regard global sur la forêt, la polyvalence et la diversité de notre métier. Nous devenons de simples techniciens. C’est une forme pernicieuse de taylorisme. » Cette tendance productiviste s’est accompagnée de coupes claires dans les effectifs. Entre 2002 et 2016, un quart des effectifs a été supprimé, rappelait le directeur de l’ONF, Christian Dubreuil, devant le Sénat en mars 2018. « Ces trente dernières années, l’ONF est passé de 15 000 à 9000 employés. 4 emploi sur 10 ont été supprimés, déplore Frédéric Bedel, du Snupfen. Nous avons vécu avant l’heure la Révision générale des politiques publiques », dit-il, en référence à la fameuse « RGPP », politique de réduction du nombre de fonctionnaires lancée par Nicolas Sarkozy en 2007.
Vers une surexploitation des forêts publiques
Résultat : de plus en plus des contractuels sont embauchés. « C’est une privatisation rampante. En 2018, aucun fonctionnaire ne sera recruté. Ce ne seront que des salariés de droit privé, explique Philippe Canal. Les fonctionnaires ne représentent plus que 60 % des effectifs. Dans quelques années, nous serons minoritaires, et le statut de l’établissement changera. » Christian Dubreuil, l’énarque à la tête de l’ONF, ne s’en cache pas. « Comme l’avait préconisé la Cour des comptes, l’Office remplace les 200 fonctionnaires qui partent en retraite chaque année par 70 % de fonctionnaires et 30 % de salariés de droit privé », affirmait-il aux sénateurs il y a quelques mois. Il évoquait aussi une « substitution progressive » des fonctionnaires par des salariés de droit privé, pour faire baisser le coût de la masse salariale.« Avec des hommes broyés, il y a de forte chance que la forêt soit, elle-même, transformée en pellet. » Il y a de l’ironie dans la formule de Thomas, jeune forestier, mais aussi beaucoup d’amertume. Le management néolibéral s’accompagne d’une poussée productiviste. Avec des conséquences directes sur les forêts publiques. La surface que doit gérer un garde forestier a doublé, selon le syndicaliste Philippe Bedel. « Et ce, dans des espaces de plus en plus grands, éclatés, déconnectés. Le forestier perd ainsi le lien affectif avec son territoire. C’est alors plus difficile de faire un travail de qualité », souligne-t-il. Sur le marché du bois, les forêts publiques, plus grandes et souvent plus faciles à exploiter, fournissent 40% du bois français, alors qu’elles ne représentent qu’un quart de la surface forestière [5]. La pression économique devrait encore s’y accentuer.
Des tags « non aux forêts mortes » apparaissent dans les sous-bois
En 2016, la direction de l’ONF signe avec l’État son contrat d’objectif et de performance pluriannuel. Ce document est rejeté par l’ensemble des organisations syndicales ainsi que par France nature environnement : Il prévoit, en cumulant forêts domaniales (propriétés de l’État) et forêts communales, de prélever en 2020 environ un million de mètres-cube de bois supplémentaires par rapport à 2014. Le document précise aussi que l’ONF devra mener « des actions de sensibilisation du public de façon à améliorer l’acceptation sociale des récoltes de bois ». Face à ces objectifs, sur le terrain, le malaise est grands parmi les forestiers et la population. Dans la forêt de Compiègne, des tags « non aux forêts mortes » apparaissent [6]. Face aux coupes qu’elles jugent excessives dans la forêt de Mormal, près de Maubeuge dans le Nord, des associations citoyennes ont attaqué l’ONF en justice. Elle n’ont pas eu gain de cause. Mais au sein même de la profession, « de nombreux salariés considèrent devoir protéger la forêt contre l’ONF », dit Philippe Canal.De fait, l’office subordonne ses activités aux appétits de l’industrie. Elle se retrouve même au cœur des dérives de la biomasse. L’institution forestière a ainsi fourni la centrale de Gardanne, qui produit de l’électricité à partir de la biomasse, avec du bois jurassien coupé à 500 kilomètres de distance de l’usine. « On vend l’ONF aux marchands de bois », déplore Michel, un retraité de l’office inscrit à la CGT. Les syndicats pointent de récents recrutements de responsables commerciaux qui sont également grossistes et gérants d’entreprises dans la filière bois privée. Selon eux, « ce type d’embauche pourrait provoquer de graves conflits d’intérêts et menacer une gestion durable des forêts publiques ».
Mise en cause d’un management brutal
« Toutes ces politiques vont à l’encontre de mes convictions, juge un jeune garde forestier de 26 ans. Je ne suis pas qu’un "coupeur de bois". Je considère que je travaille davantage pour les arbres que pour un patron ou pour une entreprise. » Récemment, un autre garde forestier, Daniel Pons, a été condamné par sa hiérarchie pour avoir proposé « une sylviculture douce » à une commune dont il assure le suivi, en Haute-Garonne. Selon lui, le terme a déplu à son directeur. Le forestier raconte : « S’il y a une sylviculture douce, cela veut dire qu’il y aurait aussi une sylviculture violente, m’avait répondu le directeur. » Ce dernier a préféré engager une enquête disciplinaire et punir d’un avertissement son collaborateur. « C’était une manière de me museler », estime Daniel Pons, très impliqué syndicalement.Selon les syndicats, l’ONF souffrerait même d’une tendance à l’autoritarisme. Ils reprochent à la direction plusieurs limogeages — dont celui du directeur financier et de la directrice générale adjointe — survenus depuis la nomination du nouveau directeur général. « Le climat social délétère » dénoncé par l’intersyndicale a poussé en septembre 2017 cinq syndicats à démissionner des instances représentatives de l’Office. « Il n’y a plus de dialogue possible. La direction est sourde et aveugle. C’est un management par la terreur », relate Corinne Larenaudie, syndiquée à l’Unsa, lors d’une manifestation des forestiers en juin dernier.
Démotivation, stress, perte de sens et suicides
En 2012, un audit interne commandé par l’ONF révélait « une situation préoccupante » sur le plan social, « ainsi que du point de vue de la santé psychologique des personnes ». Seuls 16% du personnel disaient alors avoir confiance en la direction générale. Les trois quart jugeaient les réformes de manière négative. Bref, une situation de défiance.Pire, l’étude montrait les traumatismes que la mutation de l’office a engendrés : démotivation au travail, niveau de stress élevé, perte de sens, risque important de troubles psychosociaux, perte de repères, sentiment d’isolement… Le 12 février 2013, sur l’île de la Réunion, un agent de l’ONF exécute son DRH en pleine discussion de travail avant de retourner l’arme contre lui pour se donner la mort. La communication officielle nie alors tout lien entre ce drame et le malaise social au sein de l’établissement.
Mais deux agents se sont encore suicidés en mars et avril de cette même année 2013. Et au moins trois suicides avaient endeuillé l’office en 2011. Sur les quinze dernières années, l’ONF a compté plus de 40 suicides parmi ses agents. « C’est proportionnellement autant qu’à France télécom, mais personne n’en parle, soupire un forestier. La souffrance au travail est absente des discussions au sein de l’établissement. Nous avons choisi ce métier par vocation. Or, si votre passion est déréglée, logiquement vous perdez pied. » À chaque fois, la direction évoque la fragilité et la solitude des victimes, elle individualise et psychologise le problème. Parfois, elle propose un numéro vert d’assistance. Pour le syndicat Snupfen, « cette obstination à ne pas se remettre en cause relève de la mise en danger d’autrui ».
Rassembler l’écologie et les luttes sociales
Si aujourd’hui les personnels sortent du bois pour entamer leur longue marche à travers la France, le rapport de force reste précaire. « Nous ne sommes pas Sud-rail. Nous n’avons pas une tradition de lutte offensive. Et face à nous, la direction avance comme un bulldozer, reconnait un forestier. Mais la bataille continuera à se jouer de manière plus souterraine et discrète. Pour l’instant c’est toujours nous qui avons le marteau » — l’outil auparavant utilisé pour « marteler », c’est-à-dire marquer les arbres à abattre. Certains forestiers appellent à la grève du zèle, d’autres à ne pas facturer des prestations faites aux communes.Le feu qui couve à l’ONF pourrait donc très bien se répandre. « Nous devons dépasser les corporatismes pour créer un mouvement large de défense des forêts », dit un syndicaliste. Une association, SOS Forêt, s’est justement créée il y a cinq ans pour rassembler citoyens, associations environnementales et professionnels du bois. Pour Jérôme, le jeune agent de l’ONF, « il y a quelque chose d’inédit qui s’invente ici. Une forme d’écologie sociale qui relie les luttes syndicales aux questions environnementales, qui pose la question de l’emploi autant que celle de la préservation des écosystèmes. Les forêts, ce sont les luttes de demain. »
Gaspard D’Allens
En photos : Plateau du Vercors / CC ImAges ImprObables - Forêt du Tronçais dans l’Allier / CC Hale-Bopp - Forêt de Brocéliande en Bretagne / CC Catherine Reznitchenko
Lire aussi notre entretien avec Jean-Baptiste Vidalou, auteur de Être forêts, habiter des territoires en lutte : « Il va bien falloir prendre parti dans la guerre en cours, entre les managers et les alliés du vivant »
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