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lundi 11 février 2013
Notre civilisation pourrait-elle s'effondrer ? Personne ne veut y croire
Publié par : LE MONDE
Le : 09.02.13
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Le biologiste américain Paul Ehrlich se demande depuis quatre décennies
comment éviter un effondrement de notre monde. De plus en plus d'études
vont dans le même sens. Pourtant, décideurs et médias les taisent par
peur du catastrophisme
our son élection à la Royal Society de Londres, Paul Ehrlich tenait à
mettre sur la table une question abrupte sur la marche du monde. Cette
question, elle ne cesse de le travailler depuis quatre décennies : « Un
effondrement de la civilisation globale peut-il être évité ? » C'est
donc le titre que le célèbre biologiste américain a choisi pour la
longue tribune qu'il a rédigée à l'invitation de la plus vénérable des
académies des sciences et qui vient d'être publiée dans Proceedings of
the Royal Society B - l'une des revues qu'elle édite. Hélas ! Cette
interrogation, qui ne soulevait guère, jusqu'à récemment, que des
haussements d'épaules, est désormais de plus en plus sérieusement
considérée par la communauté scientifique.
Les premières phrases de Paul Ehrlich, toujours membre, à plus de 80
ans, du département de biologie de l'université Stanford (Californie),
ont servi d'entrée en matière à un colloque sur la biodiversité et la
croissance économique, le 31 janvier, à l'Ecole des mines de Paris.
Elles donnent le ton. « A peu près toutes les civilisations passées ont
subi un effondrement, c'est-à-dire une perte de complexité politique et
socio-économique, généralement accompagnée d'un déclin drastique de la
démographie, écrivent le biologiste américain et sa compagne, Anne
Ehrlich, également professeur à Stanford. Certaines, comme en Egypte ou
en Chine, se sont remises de situations d'effondrement mais d'autres
non, comme la civilisation de l'île de Pâques, ou les Mayas classiques.
(...) Dans bien des cas - sinon la plupart - la surexploitation de
l'environnement a été en cause. »
La nouveauté du problème est sa dimension globale. Jadis, l'écroulement
des sociétés n'a jamais été qu'un phénomène local ou régional. A
quelques centaines de kilomètres des lieux où se tramait le délitement
de sociétés structurées, rien de tangible ne se produisait. Les hommes
continuaient à vivre paisiblement. « Mais, aujourd'hui, pour la première
fois, une civilisation humaine globale - la société technologique, de
plus en plus interconnectée, dans laquelle nous sommes tous embarqués à
un degré ou à un autre - est menacée d'effondrement par un ensemble de
problèmes environnementaux », poursuit l'auteur.
Ces problèmes sont connus. Ils sont au centre d'une somme considérable
de travaux de recherche ; ils ont tous en commun d'affecter les
écosystèmes et, en conséquence, de menacer les services qu'ils offrent
gracieusement aux économies. C'est-à-dire aux hommes. La liste
qu'égrènent Anne et Paul Ehrlich est longue. Erosion rapide de la
biodiversité ; exploitation irraisonnée des océans ; destruction
accélérée des insectes pollinisateurs, qui assurent la reproduction de
80 % du règne végétal ; épuisement des sols et des eaux souterraines ;
formation de vastes zones mortes dans les océans, à l'embouchure des
grands fleuves qui charrient les effluents agricoles. Avec, surplombant
et déterminant partiellement le tout, deux phénomènes globaux liés à nos
émissions de gaz à effet de serre : le réchauffement climatique et
l'acidification des océans. L'humanité a donc devant elle un certain
nombre de difficultés...
Pour tous ceux qui s'intéressent à l'écologie scientifique et à la
biologie de la conservation, Paul Ehrlich est connu comme le loup blanc.
En 1968 - cinq ans avant Les Limites à la croissance, rapport du Club de
Rome, qui fait date -, il publiait The Population Bomb, un ouvrage grand
public dont il vendit quelque deux millions d'exemplaires.
« Paul Ehrlich a toujours eu comme idée que la démographie est au centre
de tout, que nous sommes trop sur la planète et qu'il fallait trouver
des moyens pour être moins nombreux », résume le biologiste Gilles
Boeuf, président du Muséum national d'histoire naturelle. « A sa
publication, ce livre a reçu beaucoup d'attention, se souvient James
Brown, professeur à l'université du Nouveau-Mexique, aux Etats-Unis, et
membre de l'Académie des sciences américaine. On commençait à prendre
conscience qu'une croissance exponentielle ne pourrait pas continuer
indéfiniment sur une Terre finie. Je crois que beaucoup étaient
cependant sceptiques sur l'horizon de temps auquel Paul Ehrlich
prévoyait un effondrement. »
De fait, le biologiste augurait de vastes famines dans les années 1990 -
elles n'ont pas eu lieu. « Ce qui est souvent décrit comme des
prévisions «fausses» n'était que des scénarios, clairement présentés
comme des histoires qui devaient aider à penser le futur et dont
certaines ne se réaliseraient pas, répond Paul Ehrlich. Mais la
principale erreur du livre est de sous-estimer la vitesse à laquelle la
«révolution verte» [modernisation des techniques agricoles] s'est
propagée dans les pays pauvres. Cela a sauvé beaucoup de vies, mais nous
a aussi mis sur les rails où nous sommes désormais, vers de plus vastes
famines. »
L'effondrement, c'est d'abord la faim. Ce qui tourmente Paul Ehrlich
depuis quarante ans est avant tout une question d'agriculture, de
nourriture et d'estomacs à remplir. Cette crainte, rétorquent les
détracteurs du néomalthusianisme, ne serait qu'une vieille lune puisant
dans un millénarisme irrationnel, remontant à bien avant Thomas Malthus
(1766-1834) lui-même. On trouve, de fait, trace de cette préoccupation
aux toutes premières heures de l'Histoire. Le plus ancien texte de
l'humanité, L'Epopée de Gilgamesh, le célèbre conte mésopotamien dont la
composition remonte à la fin du IIIe millénaire avant notre ère, ne
met-il pas en scène un aréopage de divinités décidées à punir l'humanité
pour sa propension à la multitude ?
« La Terre peut nourrir neuf milliards d'individus sans problème »,
rétorquent ainsi les adversaires de Paul Ehrlich. Mais ceux qui ont le
privilège d'écrire que les famines ne sont pas un « problème » nesont
jamais ceux qui ont eu faim. « Je trouve l'optimisme de beaucoup
d'analystes assez perturbant, sachant qu'aujourd'hui presque un milliard
d'humains souffrent de la faim et que des millions d'entre eux en
meurent chaque année, ajoute le biologiste américain. Si c'est si
facile, pourquoi tout le monde n'est-il pas correctement nourri ? Il y a
sans doute plus de personnes souffrant de faim et de malnutrition
aujourd'hui qu'en 1968 », lors de la parution de The Population Bomb. Il
n'y avait, alors, que trois milliards et demi d'humains sur Terre - nous
sommes aujourd'hui plus du double.
« Ce que souligne Paul Ehrlich, c'est que, même si, dans la situation
actuelle, on calcule que la Terre pourrait nourrir neuf milliards
d'humains, nous ne sommes absolument pas sûrs que cela soit encore
possible dans quelques décennies, redoute le biologiste Gilles Boeuf.
Simplement parce que le système de production va commencer à subir les
effets des perturbations que nous avons introduites dans le système, à
commencer par le changement climatique. » Dans de nombreuses régions du
monde et pour certaines grandes cultures, « les rendements agricoles
n'augmentent plus depuis sept à huit ans », précise le président du
Muséum. En France, par exemple, les effets du changement climatique sur
le blé se font sentir depuis 1996 : en dépit des progrès agronomiques,
les rendements stagnent, après un demi-siècle de croissance continue.
C'est le cas dans la majeure partie de l'Europe.
L'agriculture ne sera pas le seul système affecté. Les pêcheries
souffrent également : depuis le milieu des années 1990, les prises
mondiales déclinent, en dépit d'un effort de pêche toujours accru.
Toujours plus de bateaux sont armés, traquent la ressource de plus en
plus loin et de plus en plus profond, mais le produit de la pêche
mondiale décline inexorablement. La tendance pourrait être encore
aggravée par le réchauffement des eaux superficielles de l'océan et,
surtout, par leur acidification. La manière dont les écosystèmes marins
peuvent s'adapter à ce phénomène est largement inconnue, puisque ce
dernier se produit à un rythme inédit depuis au moins 300 millions
d'années, selon une récente étude publiée dans la revue Science.
Au chapitre des courbes qui plafonnent, celle de la production
pétrolière n'est pas la moindre. Entre 2004 et 2011, malgré une demande
explosive, elle a stagné, selon la BP Statistical Review of World
Energy, entre 80 et 83 millions de barils par jour... Et ce, en comptant
les ressources non conventionnelles (huile de schiste, sables
bitumineux, etc.). « La «bombe» et les «limites», commente James Brown
en référence à l'ouvrage de Paul Ehrlich et au rapport du Club de Rome,
deviennent probablement une réalité en ce moment même. »
Dans le dernier tiers du XXe siècle, la question de la finitude du monde
est demeurée marginale dans la communauté scientifique. Elle n'a pas
suscité une école de pensée structurée, comme la physique des
semi-conducteurs, la génomique ou la climatologie. L'opinion et les
craintes de Paul Ehrlich sont-elles désormais partagées par tous ? «
Non, il est toujours critiqué et considéré comme trop pessimiste, estime
James Brown. La majorité de la communauté scientifique ne reconnaît pas
ce qu'Ehrlich ou encore mon groupe de recherche et moi considérons comme
une urgence critique. »
Chez les chercheurs qui travaillent spécifiquement sur le fonctionnement
des écosystèmes, la réalité est peut-être différente. « Ce n'est pas un
tableau très joyeux qu'il dépeint, confie Franck Courchamp, chercheur au
laboratoire Ecologie, systématique et évolution (CNRS/université
Paris-Sud), mais malheureusement je pense qu'il écrit tout haut ce que
la plupart des écologues pensent tout bas. » La prestigieuse revue
Nature a par exemple publié, au printemps 2012, deux vastes synthèses de
la littérature scientifique, menées collectivement par une quarantaine
de spécialistes du fonctionnement des écosystèmes. Leurs conclusions
sont glaçantes : non seulement l'ensemble de la biosphère terrestre
connaîtra une « bascule abrupte et irréversible » dans les prochaines
décennies, du fait des transformations apportées par l'homme à
l'environnement, mais les services rendus aux économies par ce dernier
vont perdre en efficacité du fait de l'érosion de la biodiversité.
Probablement trop déprimantes, ces deux synthèses de la littérature,
résumant le savoir accumulé par des centaines d'études, ont été
relativement ignorées par les médias. Elles sont passées inaperçues. A
peu près autant que l'avis commun rendu en juin 2012 par les 106
académies des sciences, intitulé « Population et consommation » et qui,
en termes prudents, n'en valide pas moins les inquiétudes anciennes de
Paul Ehrlich. « Les accroissements simultanés de la population et de la
consommation non durable font que le monde se trouve face à deux de ses
plus grands défis, assurent les académies des sciences. La population
mondiale est de 7 milliards d'habitants, et la plupart des projections
indiquent qu'elle sera de 7 à 11 milliards en 2050, sachant que
l'accroissement de la population se fera surtout dans les régions à
faible revenu. Globalement, les niveaux de consommation sont à un niveau
jamais atteint, largement en raison de la forte consommation par
individu dans les pays développés. »
Au sein de l'establishment scientifique, les idées du biologiste
américain commencent donc à faire leur chemin. Il suffit, pour s'en
rendre compte, de relever le nombre de fois que The Population Bomb est
cité dans la littérature scientifique. Entre 1968 et 1995, il n'y est
fait référence que deux fois. Autant dire que l'ouvrage, malgré son
succès auprès du public, est poliment ignoré. Mais dans la décennie
suivante, entre 1995 et 2005, il est cité de dix à vingt fois par an,
puis de vingt à quarante fois par an depuis 2005.
Pourtant, si elle apparaît comme une préoccupation de plus en plus
partagée chez les scientifiques, l'impossibilité d'une croissance
exponentielle éternellement entretenue dans un monde fini reste
largement ignorée dans les cercles dirigeants, parmi les économistes et
dans l'opinion. Le gouffre est en effet énorme entre les centaines
d'études alarmantes et le « climat » général des réactions. «Il y a
dans la communauté scientifique une retenue sur ces sujets qui m'a
toujours étonné, ajoute M. Courchamp. Même dans les instances
nationales, les scientifiques spécialistes ont toujours peur d'être
accusés de catastrophisme, d'opinions militantes ou exagérées. »
Les médias, eux aussi, sont souvent réticents à traiter pleinement ces
sujets, souvent jugés trop anxiogènes. La connaissance accumulée sur
l'état de tension entre le système technique humain et la biosphère
demeure ainsi confinée à un petit nombre de spécialistes. « Certains
essayent [de communiquer], mais les scientifiques ne sont pas formés
pour parler au public et les normes de la science et la discipline de la
pratique scientifique militent contre le fait d'aller vers le public,
explique Paul Ehrlich. Mais plusieurs d'entre nous, tous des ‘‘vieux
briscards'', s'engagent : James Hansen, le plus titré des climatologues
fédéraux [directeur du Goddard Institute for Space Studies de la NASA],
a même été incarcéré pour avoir manifesté contre la construction d'une
centrale à charbon. »
L'ignorance, par le plus grand nombre, de la situation telle que la
perçoivent les spécialistes compte au nombre des grandes préoccupations
du biologiste américain. « Pour éviter un effondrement, le plus grand
défi est peut-être de convaincre l'opinion, en particulier les hommes
politiques et les économistes », écrit-il. Une grande part des
communautés scientifiques et techniques investies dans la recherche et
le développement sont aussi toujours rétives à l'idée d'une finitude du
monde. « Je le vois dans mes conférences : il y a encore un déni
incroyable à propos de notre situation, relève Gilles Boeuf. Parfois, ce
sont même des scientifiques qui me disent : «On ne croit pas à ce que
vous dites» ! »
Sur le terrain du déni, la France occupe une place à part. D'abord,
ingénieurs et scientifiques passent souvent par des formations communes.
Ensuite, la langue française a mis dans le même mot - « écologie » - une
science et un mouvement politique. Du coup, les faits scientifiques qui
relèvent de la première sont sans cesse relativisés et discutés comme le
seraient les postures idéologiques du second. « Nous avons un vrai
problème avec ça, confie Gilles Boeuf. Nous ne sommes pas écologistes,
nous sommes écologues ! » Il ne faut pas sous-estimer la force de la
confusion des mots. La France est par exemple le dernier pays dont
l'Académie des sciences, en dépit des textes internationaux qu'elle a
signés, estime incertaine l'origine anthropique du changement climatique...
Or, lorsqu'un problème environnemental semble très incertain, il n'y a
nulle raison de chercher à le résoudre. Surtout si sa résolution demande
des efforts colossaux. Le sera-t-il jamais ? Au terme de leur longue
tribune dans Proceedings of the Royal Society B, Paul et Anne Ehrlich
répondent, de manière étonnante, oui : « L'effondrement de la
civilisation globale » peut être évité, « car la société moderne a
montré de la capacité à traiter les menaces de long terme, si elles sont
évidentes et continuellement portées à notre attention ». Mais cette
note d'espoir est vite remise à sa place. « Nous estimons que la
probabilité d'éviter l'effondrement n'est que d'environ 10 %, précise
Paul Ehrlich. Et nous pensons que, pour le bénéfice des générations
futures, cela vaut le coup de se battre pour monter cette probabilité à
11 %. »
La principale incertitude ne repose sans doute pas sur les grands
changements d'état de la biosphère et la raréfaction des ressources.
Elle tient plutôt au fait de savoir ce qu'est un « effondrement »,
c'est-à-dire de quelle manière les sociétés réagiront à ces changements.
Appauvrissement brutal des populations ? Perte de contrôle des Etats sur
leur territoire ? Incapacité à assurer les besoins de base de la
population ? Généralisation de la violence ? Ou réduction graduelle et
pacifique de la consommation matérielle, accompagnée d'une plus forte
cohésion sociale ? Ces questions restent ouvertes et ne sont pas du
ressort des sciences de la nature. Mais le spectacle qu'offre un pays
comme la Grèce n'incite guère à l'optimisme.
Stéphane Foucart
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