SOURCE : Assistants sociaux en colère
« Moi, Daniel Blake » est un film du
réalisateur Kenneth Loach, spécialisé dans le « docu -fiction » centré
sur le système précarisant anglo-saxon. C’est l’histoire d’un sénior,
veuf, avec des problèmes de santé ne lui permettant plus de travailler,
qui tombe dans la précarité. En parallèle, il y a cette jeune femme
seule avec deux enfants, qui a dû tout quitter, sans emploi, en
situation de grande précarité.
Ce film mérite qu’on s’y arrête, car il parle … de la précarité. Il met en exergue un système sclérosé et sclérosant, stigmatisant, et tout sauf aidant.
Ce film mérite qu’on s’y arrête, car il parle … de la précarité. Il met en exergue un système sclérosé et sclérosant, stigmatisant, et tout sauf aidant.
Ce film anglais décrit le système social
anglo-saxon. Un modèle, à la fois, en avance et en recule, en
comparaison à notre modèle social français. Pourtant, de nombreuses
aberrations et critiques faites de notre système social français sont
dépeintes dans ce film : robotisation et inhumanité de l’administration,
maltraitance institutionnelle, fracture numérique, effets du mal
logement sur les enfants, la gentrification, les conséquences de la
précarité entre vol et prostitution, le temps administratif vs le temps
de la survie, la stigmatisation, chômeur=coupable, la perte de sens du
travail administratif, la santé, la mort, la privatisation du service
public, jusqu’au mini-job à 5€….
Comme quoi, on n’invente jamais rien, on prend les mêmes (erreurs) et on recommence.
Comme quoi, on n’invente jamais rien, on prend les mêmes (erreurs) et on recommence.
Le film démarre par un « dialogue
unilatéral » entre Daniel Blake et l’agent administratif du service des
indemnisations pour incapacité de travailler, se comportant comme un
robot, dénué d’appareil auditif humanisé. Quand en France on forme
pendant 3 ans les assistant sociaux dans des instituts de formation
professionnalisés et professionnalisant, c’est pour éviter ça ! Le coeur
du métier, c’est l’écoute. A travers elle, ce sont les éléments
importants de l’histoire de la personne en difficulté qui sont captés
pour proposer une aide adaptée, empathique, au rythme de la personne et
en respectant ses choix de (sur)vie.
Le service pour l’emploi au Royaume Uni,
quant à lui, est privatisé. On y voit des agents instructeurs en rang
d’oignons, « accueillant » les personnes dans des minis box les uns
derrière les autres, à la chaîne. C’est l’usine, l’abattage. Quand en
France on se bat pour avoir au moins 45 minutes pour un entretien dans
un bureau digne d’un accueil social pour personnes en difficulté, là
bas, au Royaume Uni, si la vie ne vous a pas (assez) frappée, on vous
abat !
L’institution fait souvent voile entre le
salarié et la personne aidée. Rarement il est question de la vie de la
personne. On se contente de son problème, celui qu’on veut bien entendre
et traiter à coup de formulaire, et seulement pour les maux qui peuvent
entrer dans les bonnes cases. L’assistant social a (encore) cette
possibilité de faire des visites à domicile, de s’immiscer dans les
vicissitudes de l’existence des personnes accompagnées. C’est aussi dans
le cadre d’un accompagnement global, qui permet d’aborder plusieurs
problématiques et sujets, souvent transverses, qui font ponts les uns
avec les autres, que l’assistant social travaille. Comment pourrait-il
le faire dans un service privatisé où la rentabilité, la recherche d’efficacité de résultats génèrent spécialisation, cloisonnement, enfermement.
Comme en France, en revanche, si vous
êtes chômeur, vous devrez signer un contrat, vous engageant à rechercher
un emploi. Comme en France vous serez présumé coupable avant d’avoir
signé. On vous demandera, avec sévérité, de prouver vos actes de
recherche, un selfie, une video… bref, tout et n’importe quoi.
Avant tout ça, il aura fallu braver les
algorythmes du web, avoir franchi cette (mal)foutue fracture numérique.
En anglais ou en français, sans les codes, vous serez tout aussi mal
barré ! Soyez rapide, le chronomètre est lancé, tic tac tic tac, vous
aurez 10 min pour tout comprendre et avoir tout complété, sans erreur.
Comme si la vie ne vous stresse pas assez, on vous presse et stresse
jusqu’à la crise de nerfs. De quoi vous donnez envie de ne plus revenir,
de fuir. De mourir ? Les statistiques n’en seront que meilleures, alors
bon vent !
Heureusement, il y a des agents de
l’administration qui ont une conscience, une déontologie, une éthique.
Malheureusement ce ne sont pas ceux qu’on écoute et récompense. Au
contraire, le film montre une logique institutionnelle éteignant la
moindre lueur d’humanité et de progrès social au travail. #burnout
On parle souvent de perte de sens dans
l’action publique et plus généralement dans l’administration. Pourquoi
ce service public de l’emploi a t-il été créé ? Pour aider ou pour
sanctionner ? Quand on entend un ministre du travail faire la chasse aux
demandeurs d’emploi chaque mois, jongler avec les lettres A B C D E,
il est légitime de se demander si le politique ne devrait pas, parfois,
souvent, tout le temps, laisser travailler l’administration, avec ses
lois, ses règlements, ses valeurs, ses grands principes, qui
sanctuarisent le respect du citoyen, loin de toutes logiques
statisticiennes politiciennes…
Après avoir décrit les méandres
administratifs, le film pointe les effets néfastes de la précarité.
Quand on est pauvre, on est condamné à la double peine à perpétuité.
Les logements trop petits peuvent avoir
des conséquences sur l’équilibre familial ou pire sur le développement
des enfants. Les politiques de gentrification, qui procèdent à
l’évacuation des pauvres des villes car ces derniers « coûtent trop
chers », peuvent être responsables de mise en danger, à l’image de cette
mère seule qui doit voler et se prostituer pour survivre avec ses deux
enfants.
On n’en parle pas assez mais la précarité n’est pas une finalité, c’est une porte d’entrée vers des drames.
Le film montre une épicerie sociale tenue
par des bénévoles, qui font preuve de non jugement. Le monde à
l’envers. Alors que c’est à l’Etat d’aider ses citoyens, de proposer une
écoute, un accueil sans jugement… Ce sont les associations qui doivent
combler tous ces manques, dégageant presque l’Etat de sa responsabilité.
N’oublions jamais que les associations ne sont pas un service public
obligatoire, mais qu’il s’agit de l’oeuvre de personnes le plus souvent
altruistes, bénévoles, qui font ce qui manque, ce qui n’existe pas,
jusqu’à la serviette hygiénique. En fait, ce que l’Etat, les politiques,
ne font pas. Et la décentralisation n’aide pas, aggravant souvent les
inégalités territoriales entre les collectivités généreuses responsables, et les autres.
Oublié l’article 21 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?
« Article 21. – Les secours
publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux
citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant
les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. »
Le film (s’) achève par la mort de Daniel
Blake. Mort avant d’avoir reçu une réponse favorable pour ses
indemnités d’incapacité de travailler alors qu’il l’avait attendue des
mois et des mois durant. Il y a une justice sociale à deux vitesses.
D’un côté il y a le temps de l’administration, et elle le prend ! De
l’autre côté, il y a l’urgence qui au départ n’est pas, mais qui naît
parfois au fil des démarches administratives.
Ce film permet de nous interroger sur le
modèle social, que nous souhaitons (préserver). Encore plus en ces
périodes électorales où la vente aux enchères de notre service public
est lancée !
Daniel Blake ce n’est malheureusement
pas une fiction, c’est une situation réelle, qui porte des noms
différents, mais c’est une histoire qui se finit toujours mal.
Ce film rappelle que la précarité peut toucher tout le monde, que la vie ne tient parfois qu’à un fil…
Parmi toutes ces histoires tragiques, il y avait celle de Monsieur B : https://assistantsocialencolere.com/2016/01/29/assistant-social-vs-administration/
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