publié le 17 mai 2016 Par Pascal Maillard (sur le Blog de MEDIAPART)
Alors que la semaine qui commence constituera un tournant dans la mobilisation contre la loi Travail, les journées de manifestation fractionnées, avec leur lot de violences organisées par l’Etat lui-même, ont montré leurs limites. Seule une grève reconductible et des actions multiples d’occupation et de blocage de l’économie feront reculer le gouvernement.
Il n’est plus contestable que l’Etat socialiste est aujourd’hui le premier agent d’une violence sociale, politique et policière qu’il impose à notre pays tout entier, et que pas même Sarkozy n’avait osé mettre en pratique, dans ses pires dérives d’« invention sécuritaire » et de violence pure. Ainsi que l’ont démontré Eric Fassin et d'autres analystes, c’est bien l’Etat qui crée l’insécurité.
En ayant fait le choix de criminaliser le mouvement social et de détourner l’état d’urgence en procédant à des assignations à résidence et désormais en interdisant arbitrairement et illégalement à des personnes de manifester - bafouant ainsi un droit constitutionnel -, il est entré dans une dérive pré-fasciste, ou à tout le moins dans le cercle infernal d’une radicalisation volontaire : provoquer peur et violence pour légitimer la répression. J’en ai montré la logique perverse dans une précédente analyse.
A cela s’ajoute le plus grand détournement de l’action publique qu’un gouvernement ait jamais organisé en France : mettre au service de la répression d’un mouvement social le cadre juridique et les moyens policiers et de renseignement initialement destinés à lutter contre le terrorisme. Lutte légitime certes, mais dont la piètre efficacité est aujourd’hui masquée au moyen d’une immense et détestable diversion, à laquelle collaborent de trop nombreux médias.
C’est ce détournement pernicieux et cette perversion de la loi qu’il convient de dénoncer. C’est ce cercle mortifère de radicalisation/répression qu’il convient de briser. Et c’est aux citoyens déjà en lutte, et à toutes celles et tous ceux qui sont opposés à la loi Travail, bien plus éclairés que nos cyniques politiciens, qu’il revient de déjouer les manipulations d’un gouvernementdont il ne faut plus rien attendre et qui ne nous représente plus. Sans cette intelligence citoyenne et collective, le pire est à craindre : non seulement l’échec du mouvement social et la promulgation d’une loi scélérate, mais encore des morts dont les auteurs d’une politique inepte porteront l’entière responsabilité.
Trois conditions doivent être réunies pour éviter ce scénario-catastrophe, aux conséquences incalculables, et pour obliger le gouvernement à retirer la loi Travail de Valls-Macron-Hollande. Retrait qui seul permettra de retrouver une certaine paix sociale, mais ne dédouanera en rien le président et le gouvernement de leur passé et de leur passif, inscrits en lettres de trahison, de forfaiture et de sang dans l’histoire de notre pays.
La première condition est évidemment l’unité et la coordination étroite entre les acteurs principaux de la mobilisation et ses diverses composantes. Le mouvement citoyen de Nuit debout, les organisations syndicales engagées contre la loi Travail, les signataires de l'appel On bloque tout, les partis politiques de la vraie gauche et toutes les associations en lutte doivent dépasser leurs petites ou grandes divergences de conception et de conduite des actions pour unir leurs forces dans un seul et même grand mouvement de contestation populaire.La solidarité et le bien commun doivent primer les intérêts particuliers de telle ou telle organisation. La défiance des syndicats à l’endroit des collectifs relève d’une idéologie vermoulue, tout comme la crainte - bien compréhensible – de membres de Nuit debout d’être récupérés, finit par être contre-productive et prive le mouvement de certaines capacité d’organisation. C’est en partageant les expériences et en mutualisant les compétences qu’on organise les résistances.
La seconde condition est la définition d’un but commun, à portée de toutes et tous : citoyens non encore engagés, jeunes et retraités, sans emploi et précaires, acteurs de Nuit debout, syndicalistes, militants associatif et politiques. Ce but est le blocage de l’économie, seul à même de faire paniquer et reculer les donneurs d’ordre de la politique néolibérale qui accable nos concitoyens et les dépouille de leurs droits : les banquiers, les grands patrons du MEDEF, les entreprises du CAC 40. Le blocage effectif de l’économie suppose trois actions convergentes, qu’il est vain de vouloir opposer – elles sont complémentaires, même si leur temporalité n’est pas la même - : blocage des transports et de l’accès aux lieux stratégiques de production et diffusion des matières premières et des biens de consommation, grève générale du travail, grève générale de la consommation. Si cette dernière action suscite des réserves, il n’est peut-être pas inutile de relancer le débat en relisant, par exemple, Paul Ariès.
La troisième condition est le développement d’actions radicales, multiples et non violentes, aussi bien dans leurs buts que dans leurs modalités. Si les actions de blocage de l’économie par les grandes centrales syndicales constitueront un apport important au mouvement, elles ne suffiront pas à faire plier un gouvernement droit dans ses bottes, certainement prêt à faire intervenir la police et l’armée pour débloquer les lieux stratégiques. Il conviendrait dès lors de promouvoir et développer à une grande échelle des actions citoyennes d’occupations durables de lieux publics et d’occupations ponctuelles, pacifiques, ludiques, mobiles et répétées de lieux symboliques. Lieux symboliques de la finance (banques, CCI,) du pouvoir (mairies, conseils généraux et régionaux,…) et de l’économie capitaliste (grands groupes industriels et marchands). Les actions exemplaires de Rouen (Commune Saint-Nicaise) et de Toulouse (occupation festive de la FNAC) montrent la voie.
Les modalités de l'action toulousaine semblent avoir été les suivantes : détermination d'un objectif gardé secret, occupation limitée dans le temps, sortie volontaire et dispersion rapide. Le face à face avec les force de l'ordre a été évité. La constitution de petits groupes mobiles (de 20 à 50 participants) en vue d'occuper très ponctuellement et pacifiquement un lieu symbolique a trois avantages : contourner la logique d'affrontement, sensibiliser les citoyens et susciter leur adhésion à la cause défendue, limiter les risques pour les auteurs de l'action. L'occupation ponctuelle d'un lieu symbolique peut être l'occasion d'une distribution de tracts ou de toute autre forme de transmission de messages (chansons, poèmes, dessins...). L'important est de rester dans le cadre de la légalité pour laisser les forces de polices démunies et rompre le cercle de la violence attendu et provoqué par le pouvoir.
Face au piège de la violence que nous tend le gouvernement, les citoyens sont condamnés à être plus intelligents et plus inventifs que lui. Ce qui n’est pas très difficile, si l’on veut bien comparer la solitude d’un exécutif composé de quelques hommes politiques qui ne connaissent que le reniement, la manipulation et la matraque, avec la multitude féconde et la noblesse de citoyens qui prennent la parole dans de nouvelles agoras, qui se réapproprient la chose publique, qui organisent actions et manifestations depuis trois mois déjà, et qui résistent avec courage et lucidité à la violence d’un pouvoir qui tente de monter l’opinion publique contre des manifestants et des insoumis, et non des "casseurs". Toutes celles et tous ceux qui veulent simplement changer leur vie, et inventer un nouvel espoir. Pour cela ils ont compris, peut-être définitivement, qu’il faut réinventer la politique.
Pascal Maillard
Le 17 mai 2016
PS : Je dédie cet article à Pierre Douillard-Lefèvre, auteur de L’arme à l’œil, Violence d’Etat et militarisation de la police (Editions Le bord de l’eau). Ce jeune chercheur en sociologie à l’Université de Nantes s’est vu signifier, avant-hier, une interdiction de manifester, soit deux jours après la parution de son ouvrage. Il présentera son livre à la librairie Vent d’Ouest de Nantes, le 20 mai à 19h45. Si Cazeneuve le veut bien…
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