Regards
Dans la rue comme sur le plan politique, le gouvernement semble vouloir opposer entre elles les forces engagées contre la loi travail. Dimanche à Paris, cette stratégie de la division s’est au contraire soldée par un échec cuisant. Récit.
Les dispositifs d’encadrement sécuritaire massifs, de même que les violences policières systématiques au cours des manifestations contre la loi travail ou des rassemblements de Nuit debout, ont-ils pour objectif de faire monter la tension pour provoquer la cassure du mouvement ? Durant les défilés des derniers jours à Paris, les forces de l’ordre ont isolé par deux fois la tête du cortège, allant jusqu’à bloquer plusieurs milliers de personnes au cours de la manifestation du 1er mai. Ce même jour, loin d’aboutir à l’effet recherché – celui d’une désolidarisation d’une partie du cortège vis-à-vis d’une autre – cette stratégie a renforcé l’hostilité vis-à-vis des forces de l’ordre, et engendré leur déroute sur la fin de la manifestation.
Devant, de nombreux militants ont couvert leur tête, leurs yeux et leur visage pour se protéger des gaz et ne pas être reconnus. Un peu plus loin, la police filme en permanence le déroulement des opérations. Pendant plus d’une heure, le cortège avance péniblement, au rythme des assauts des uns, des contre-attaques des autres. Puis vers 16h, une unité de gendarmes mobiles arrive par la rue de Chaligny et coupe le trajet des manifestants, isolant ainsi la tête de la manif. Un peu plus haut, au niveau de la rue de Reuilly, le boulevard Diderot est déjà bloqué : plusieurs milliers de personnes sont ainsi prises au piège, et le cortège coupé en deux parties.
De part et d’autre du cordon, la situation devient vite très tendue. Dans la nasse, des affrontements se poursuivent, accompagnés d’un épandage massif de gaz lacrymogènes. En aval, le reste de la manifestation arrive peu à peu jusqu’à former un bloc très compact face aux gendarmes mobiles qui lui interdisent d’avancer, n’hésitant pas à gazer généreusement et à utiliser leurs matraques sur les premiers rangs. Les forces de l’ordre font alors pression – y compris plus en arrière sur les syndicats – pour diriger le reste de la manif en direction des rues adjacentes, afin de contourner la tête qui s’en serait trouvée abandonnée à son sort. Mais au lieu d’obtempérer, le cortège fait bloc, se montrant de plus en plus menaçant vis-à-vis du barrage de gendarmes mobiles. Jusqu’à obliger ces derniers à se retirer.
Photos et vidéos Thomas Clerget. @Thomas_Clerget
Dans la rue comme sur le plan politique, le gouvernement semble vouloir opposer entre elles les forces engagées contre la loi travail. Dimanche à Paris, cette stratégie de la division s’est au contraire soldée par un échec cuisant. Récit.
Les dispositifs d’encadrement sécuritaire massifs, de même que les violences policières systématiques au cours des manifestations contre la loi travail ou des rassemblements de Nuit debout, ont-ils pour objectif de faire monter la tension pour provoquer la cassure du mouvement ? Durant les défilés des derniers jours à Paris, les forces de l’ordre ont isolé par deux fois la tête du cortège, allant jusqu’à bloquer plusieurs milliers de personnes au cours de la manifestation du 1er mai. Ce même jour, loin d’aboutir à l’effet recherché – celui d’une désolidarisation d’une partie du cortège vis-à-vis d’une autre – cette stratégie a renforcé l’hostilité vis-à-vis des forces de l’ordre, et engendré leur déroute sur la fin de la manifestation.
Durant la manifestation du 1er mai à Paris.
La tonalité du jour, plutôt inédite pour un défilé traditionnellement
festif, avait été donnée peu de temps après le départ de Bastille. Un
groupe d’une dizaine de policiers en civil, casqués et encapuchonnés,
tente alors de se faufiler sur la gauche du cortège, au pied de la
Coulée verte. Vite repérés, ils font l’amère expérience de l’extrême
hostilité des manifestants. Une mèche est allumée, un pétard s’envole,
explose avec fracas au beau milieu des agents. Ces derniers rentrent
alors la tête dans les épaules, se bouchent les oreilles, battent en
retraite sous les huées. Ils ne réapparaîtront plus avant la Nation.
Des "casseurs" ? Non, des policiers en civil.
Pendant ce temps, comme d’usage depuis le 31 mars, la tête de la manifestation, composée de mouvements autonomes comme le MILI,
de lycéens, d’étudiants de plusieurs universités parisiennes, mais
aussi de militants syndicaux et de simples manifestants, est encadrée de
près par plusieurs cordons de CRS : un sur la gauche, un sur la droite,
une rangée sur le devant de la manif. Les premiers affrontements ne
tardent pas : d’un côté, bouteilles, pétards, quelques feu d’artifices
et plusieurs bombes agricoles s’abattent sur les policiers. En face, des
grenades assourdissantes, de nombreuses salves de lacrymogène.
Derrière, on continue à chanter.Devant, de nombreux militants ont couvert leur tête, leurs yeux et leur visage pour se protéger des gaz et ne pas être reconnus. Un peu plus loin, la police filme en permanence le déroulement des opérations. Pendant plus d’une heure, le cortège avance péniblement, au rythme des assauts des uns, des contre-attaques des autres. Puis vers 16h, une unité de gendarmes mobiles arrive par la rue de Chaligny et coupe le trajet des manifestants, isolant ainsi la tête de la manif. Un peu plus haut, au niveau de la rue de Reuilly, le boulevard Diderot est déjà bloqué : plusieurs milliers de personnes sont ainsi prises au piège, et le cortège coupé en deux parties.
De part et d’autre du cordon, la situation devient vite très tendue. Dans la nasse, des affrontements se poursuivent, accompagnés d’un épandage massif de gaz lacrymogènes. En aval, le reste de la manifestation arrive peu à peu jusqu’à former un bloc très compact face aux gendarmes mobiles qui lui interdisent d’avancer, n’hésitant pas à gazer généreusement et à utiliser leurs matraques sur les premiers rangs. Les forces de l’ordre font alors pression – y compris plus en arrière sur les syndicats – pour diriger le reste de la manif en direction des rues adjacentes, afin de contourner la tête qui s’en serait trouvée abandonnée à son sort. Mais au lieu d’obtempérer, le cortège fait bloc, se montrant de plus en plus menaçant vis-à-vis du barrage de gendarmes mobiles. Jusqu’à obliger ces derniers à se retirer.
Le haut de la manifestation juste après la jonction.
Entre temps, les manifestants pris en sandwich ont été repoussés une
centaine de mètres plus haut par une autre ligne de gendarmes, qui voit
maintenant le reste de la manifestation lui fondre dessus par l’arrière.
Pris en tenaille, les gendarmes s’écartent pour laisser les
manifestants opérer la jonction, puis se tassent les uns contre les
autres de chaque côté du boulevard, isolés de tous renforts. Une charge
très brutale menée par une partie des manifestants les refoule ensuite
dans les rues adjacentes. Encaissant bouteilles, gravas, mobilier
urbain, feux d’artifice, les gendarmes reculent et disparaissent de la
vue des manifestants.
Les gendarmes mobiles sont "nassés" à leur tour.
Pendant cet affrontement, les marcheurs situés un peu plus en arrière
ont retenu la leçon : ils continuent à faire bloc, avancent pour éviter
qu’un cordon de CRS ne puisse s’immiscer et scinder à nouveau le
cortège. Coupée en deux l’espace d’une heure, la première partie de la
manifestation apparaît alors très soudée. Au milieu d’un nuage de
lacrymogènes, les plus expérimentés donnent des conseils à ceux qui
n’ont pas l’habitude de ces conditions extrêmes : « Continuez à marcher, respirez lentement ! »
Plus aucun policier n’encadre désormais la manifestation, qui a le
champ totalement libre et termine sa route en chantant jusqu’à Nation : « Et la rue elle est à qui ? Elle – est – à – nous ! »
Sur le parcours de la manif.
Comment expliquer cet usage massif et systématique de la force,
également observé ces derniers jours sur la place de la République ? Cité par Le Monde, le politologue Olivier Fillieule observe : « Ce
qui paraît frappant, c’est ce qui ressemble à une stratégie délibérée
de l’autorité civile, consistant à déroger à de nombreux préceptes du
maintien de l’ordre, par une présence trop massive d’effectifs, par des
manœuvres à contretemps, par la bride ouvertement lâchée sur le cou des
hommes du rang (...). Les raisons d’une telle stratégie sont ouvertes à
interprétation. Mais la recherche délibérée d’un pourrissement de la
situation est très difficilement contestable ».
Sitôt la manif terminée, la place est "évacuée".
À l’occasion des manifestations en cours, le gouvernement espère-il
matérialiser dans la rue ce qu’il s’évertue à obtenir sur le plan
politique ? À savoir une division du mouvements entre, d’un côté, les
organisations syndicales et, de l’autre, les mouvements plus autonomes –
tels que les coordinations nationales étudiante et lycéenne et,
surtout, la Nuit debout – qui aiguillonnent le mouvement et cherchent
actuellement à construire un rapport de forces plus appuyé sur le
terrain. Les opposants à la loi travail ont à nouveau rendez-vous dans
la rue aujourd’hui, pour le début de l’examen du texte par l’Assemblée
nationale. Un meeting unitaire doit avoir lieu à partir de midi sur
l’esplanade des invalides, précédée d’une manifestation étudiante au
départ de Montparnasse.Photos et vidéos Thomas Clerget. @Thomas_Clerget
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