Source : Le courrier
Jean-Claude Juncker avait donné le ton à la fin janvier: «Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens», avertissait le président de la Commission européenne, quatre jours après le vote des Grecs. Cinq mois plus tard, la vérité apparaît encore plus crue: aucun gouvernement ne sera toléré s’il ne respecte pas l’agenda néolibéral que s’est fixé l’Europe et auquel la crise de la dette va servir de levier. Du Sud au Nord, le modèle social européen sera démantelé pour rendre les travailleurs plus «compétitifs». Coupable de résister à ce projet, le gouvernement de Syriza doit se soumettre ou s’en aller!
Exagérations? Malheureusement pas. Car c’est bien à une tentative de coup d’Etat larvé à l’encontre d’Alexis Tsipras que l’on assiste. Le rejet mercredi du plan d’austérité proposé par Athènes – 8 milliards d’euros sur deux ans, pesant principalement sur les gros revenus et les entreprises – l’a mis en exergue de façon spectaculaire: le remboursement de la dette est aujourd’hui secondaire pour Bruxelles et Berlin, ce qui importe c’est d’étouffer toute velléité de suivre une voie alternative à la «flexibilisation» du marché du travail, à la baisse des revenus sociaux et aux privatisations.
Et pour acculer Tsipras, tous les moyens sont bons. Comme, par exemple, de multiplier les propos alarmistes afin de provoquer la panique chez les épargnants et causer une crise de liquidités. Ou, comme l’a fait la patronne du FMI, Christine Lagarde, de menacer de déclarer le défaut grec le 1er juillet, alors que les usages admettent un délai de grâce d’un mois.
A ce chantage financier s’ajoutent désormais des méthodes de déstabilisation politique dignes des pires puissances impériales. Ainsi, la volonté d’humilier publiquement le premier ministre grec, en le convoquant mercredi matin pour – prétendument – affiner le compromis mais, en réalité, lui signifier le veto des créanciers. A l’élève Tsipras, on rendit même une copie de son plan, raturée et commentée en rouge vif, du plus bel effet… Une vexation qui fait écho aux propos de Mme Lagarde, une semaine plus tôt, réclamant «un dialogue avec des adultes dans la pièce».
Comme par enchantement, cet être de raison est apparu quatre jours plus tard à Bruxelles, sous les traits de Stavros Theodorakis, leader de To Potami, un petit parti d’opposition de «centre gauche» pesant 6% de l’électorat, invité en grande pompe au dîner des chefs d’Etat lundi soir à Bruxelles, avant de rencontrer le lendemain le commissaire européen Pierre Moscovici. De quoi alimenter les rumeurs savamment distillées quant à la préparation d’un gouvernement d’«union nationale» sans Tsipras, alors que celui-ci dispose pourtant de la majorité au parlement...
Bien sûr, le gouvernement de Syriza ne s’effondrera pas pour si peu. Mais il faut travailler l’opinion, suggérer qu’une page se tourne et placer des pions pour la suite.
La prétendue «généreuse» proposition communiquée hier par les créanciers s’inscrit dans ce même élan. Inadmissible pour la majorité de Syriza (retraite à 67 ans, baisse des rentes pour les plus pauvres) comme pour ses alliés souverainistes (hausse de la TVA sur les îles, seconde coupe dans l’armée), elle vise à isoler Tsipras et à le jeter dans les bras de To Potami et du Pasok, ruinant le projet alternatif porté au pouvoir en janvier. Ou, au moins, à lui faire porter le chapeau de la rupture et de ses conséquences.
Quarante ans après les pays du tiers-monde, l’Europe ne fait pas seulement connaissance avec les plans d’ajustement structurels mais aussi avec les méthodes de coercition politique qui ont servi à les imposer, avant la Grèce, en Amérique latine et en Afrique. Sous les yeux impassibles de millions d’Européens d’ores et déjà soumis à la dictature invisible des marchés.
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