Source : Marianne
Du
"Monde" au "Figaro", de "l'Opinion" aux "Echos", en passant par "le
Journal du dimanche", les éditorialistes de la presse parisienne sont
tous d'accord pour dire que la Grèce n'a qu'une voie pour s'en sortir :
celle de la soumission, bien évidemment. Et pour appuyer leurs propos,
ils n'hésitent pas, au passage, à qualifier le recours au référendum de
"populiste" et Alexis Tsipras de "maître chanteur"...
Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA
A
croire que ce week-end, nos éditorialistes se sont passé le mot. Celui
de « maître chanteur » a fait, semble-t-il, l’unanimité pour qualifier
Alexis Tsipras. Pour le JDD,
dans un portrait plus nuancé que le titre de l’article ne le laisse
suggérer, le Premier ministre grec n’est donc rien d’autre qu’un « maître chanteur ».
En fait, une longue vie politique et militante à l’extrême gauche
durant laquelle Tsipras a largement eu le temps de se familiariser avec
l’art de la joute politique et de la négociation. Le portrait n’échappe
pourtant pas au cliché charcutier au moment d’aborder les derniers
rounds des négociations avec les créanciers du pays : « Alexis
Tsipras a choisi de suivre un chemin dangereux pour son pays et de
mettre le couteau sous la gorge des leaders européens ». Une
faculté de renverser la charge de la preuve que l'on retrouve aussi chez
la plupart des chroniqueurs. Ce serait ainsi la Grèce qui saignerait
l'Europe depuis des années et non l'inverse...
"Tout cela témoigne de l’incompétence, de l’irresponsabilité voire de la malhonnêteté de Syriza",
Luc de Barochez, "L'Opinion"Luc De Barochez dans l’Opinion tranche également dans le vif : « Face à des maîtres chanteurs, seule la fermeté paye ». Et il décrète, du haut de toute sa « science » politique, que « le référendum convoqué par Alexis Tsipras dévoie la démocratie ». Quand il s'agit en fait de réintroduire de la démocratie où il n'y en a plus... En outre, « appeler à voter non sur des propositions devenues caduques du fait même de la rupture, tout cela témoigne de l’incompétence, de l’irresponsabilité voire de la malhonnêteté de Syriza ». Autant de perversion politique décodée dans un simple appel au peuple, c'est fort. On en viendrait presque à se demander si pour nos élites journalistiques (qui ne sont jamais très loin d’intenter un procès en illégitimité à Syriza) le vrai danger démocratique ne résiderait pas dans cet ultime recours au peuple.
Derrière, Luc de Barochez enchaîne les perles en affirmant par exemple que « rembourser son dû est au fondement de l’Etat de droit ». Admettons. Ce serait décréter que les plus grandes puissances mondiales n'appartiennent pas à ce club restreint. Pourquoi pas ? Les Etats-Unis en seraient les derniers de la classe. La dette publique américaine s’élevait en mars 2015 à 18 000 milliards de dollars, 110 % du PIB national et une augmentation de 70 % depuis l’arrivée de Barack Obama aux affaires. Autant dire impossible à rembourser, mais jamais personne ne réclamera son dû à l’Oncle Sam.
Dans le Figaro, Jacques-Olivier Martin fait le constat d’un dialogue impossible entre deux interlocuteurs mais dont la responsabilité incomberait... au seul acteur grec : « Derrière les discours politiques, personne n’est dupe. Cette tragédie qui tire en longueur tient au fait que la Grèce n’a jamais eu sa place dans la zone euro. Qu’elle y est entrée par manque de discernement des institutions européennes et des grands pays, la France et l’Allemagne en tête ».
La mince critique des institutions européennes ne vise qu’à mieux retomber sur ses pattes libérales. Car l’objet est toujours le même : justifier sans vergogne le choix de la monnaie unique et de la politique d’austérité qui l’accompagne : « les masques sont donc tombés en Grèce, mais aussi en Irlande, au Portugal, en Espagne. Tous, à l’exception d’Athènes ont choisi de se réformer au pas de charges pour tenter de conserver la monnaie européenne. Les efforts et le courage ont payé. La seule question est désormais de savoir si la Grèce peut gagner sa place dans la zone euro », interroge sans trop vouloir y croire l’éditorialiste du Figaro. Le verdict est sans appel : il n’y a qu’une voie unique selon Le Fig', poursuivre les réformes urgentes et douloureuses qui permettront d’équilibrer le budget. Celle précisément que Tsipras n’a pas choisi, lui préférant une option démocratique.
"En Europe, aucun dirigeant politique n’a pris le taureau grec par les cornes"
Jean-Marc Vittori, Les EchosDe son côté, Le Monde répète ses classiques, sans jamais se lasser de sa prose prévisible : « La Grèce est au bord du précipice », « se rapproche dangereusement de l’abîme ». Mais le quotidien de référence croit, lui aussi, pouvoir discerner encore une voie possible, la seule, l’unique, la même que tous ses autres collègues : se soumettre encore ! « Que M. Tsipras donne, enfin, à ses créanciers européens les gages d’une volonté réelle d’engager la modernisation de l’Etat grec. (…) Qu’il appelle, ensuite, ses électeurs à voter oui au référendum ». Ce ne serait donc qu’en suivant la ligne tracée par le quotidien du soir que Tsipras épargnera à son peuple « la catastrophe » annoncée pour faire preuve « enfin, de responsabilité ».
Dans Les Echos, Jean Marc Vittori voit, lui, resurgir le spectre des années 30 avec une « Grèce sur la pente fatale » et des gouvernants européens qui fuient devant leurs responsabilités : « Jamais depuis les années 30, leur lâcheté n’a été aussi éclatante. En Grèce, le gouvernement a été incapable de tenir la double promesse sur laquelle il s’est fait élire il y a à peine six mois — rejeter l’austérité et garder l’euro. (…) Et ailleurs en Europe, aucun dirigeant politique n’a pris le taureau grec par les cornes. Les négociations et les décisions ont donc été plus techniques que politiques. Cette Europe-là ne peut pas réussir. Elle est condamnée aux errements, à l’impuissance, aux déchirements. Ce n’est pas seulement la Grèce qui est sur une pente fatale, c’est l’Europe toute entière qui risque de se désintégrer ».
La Grèce comme révélateur des faiblesses structurelles et institutionnelles de la zone euro ? L’hypothèse est bien plus séduisante. D’autant qu’elle est loin d’être absurde, à ceci près que sous la plume de Jean-Marc Vittori, cette pente fatale nous mènerait droit à une nouvelle « crise des années 30 », désordres économiques et incertitudes politiques compris. Etonnant, c’est précisément de ce type de soubresauts dont la « solide » construction européenne était censée nous préserver à jamais…
"Tout cela témoigne de l’incompétence, de l’irresponsabilité voire de la malhonnêteté de Syriza",
Luc de Barochez, "L'Opinion"Luc De Barochez dans l’Opinion tranche également dans le vif : « Face à des maîtres chanteurs, seule la fermeté paye ». Et il décrète, du haut de toute sa « science » politique, que « le référendum convoqué par Alexis Tsipras dévoie la démocratie ». Quand il s'agit en fait de réintroduire de la démocratie où il n'y en a plus... En outre, « appeler à voter non sur des propositions devenues caduques du fait même de la rupture, tout cela témoigne de l’incompétence, de l’irresponsabilité voire de la malhonnêteté de Syriza ». Autant de perversion politique décodée dans un simple appel au peuple, c'est fort. On en viendrait presque à se demander si pour nos élites journalistiques (qui ne sont jamais très loin d’intenter un procès en illégitimité à Syriza) le vrai danger démocratique ne résiderait pas dans cet ultime recours au peuple.
Derrière, Luc de Barochez enchaîne les perles en affirmant par exemple que « rembourser son dû est au fondement de l’Etat de droit ». Admettons. Ce serait décréter que les plus grandes puissances mondiales n'appartiennent pas à ce club restreint. Pourquoi pas ? Les Etats-Unis en seraient les derniers de la classe. La dette publique américaine s’élevait en mars 2015 à 18 000 milliards de dollars, 110 % du PIB national et une augmentation de 70 % depuis l’arrivée de Barack Obama aux affaires. Autant dire impossible à rembourser, mais jamais personne ne réclamera son dû à l’Oncle Sam.
Dans le Figaro, Jacques-Olivier Martin fait le constat d’un dialogue impossible entre deux interlocuteurs mais dont la responsabilité incomberait... au seul acteur grec : « Derrière les discours politiques, personne n’est dupe. Cette tragédie qui tire en longueur tient au fait que la Grèce n’a jamais eu sa place dans la zone euro. Qu’elle y est entrée par manque de discernement des institutions européennes et des grands pays, la France et l’Allemagne en tête ».
La mince critique des institutions européennes ne vise qu’à mieux retomber sur ses pattes libérales. Car l’objet est toujours le même : justifier sans vergogne le choix de la monnaie unique et de la politique d’austérité qui l’accompagne : « les masques sont donc tombés en Grèce, mais aussi en Irlande, au Portugal, en Espagne. Tous, à l’exception d’Athènes ont choisi de se réformer au pas de charges pour tenter de conserver la monnaie européenne. Les efforts et le courage ont payé. La seule question est désormais de savoir si la Grèce peut gagner sa place dans la zone euro », interroge sans trop vouloir y croire l’éditorialiste du Figaro. Le verdict est sans appel : il n’y a qu’une voie unique selon Le Fig', poursuivre les réformes urgentes et douloureuses qui permettront d’équilibrer le budget. Celle précisément que Tsipras n’a pas choisi, lui préférant une option démocratique.
"En Europe, aucun dirigeant politique n’a pris le taureau grec par les cornes"
Jean-Marc Vittori, Les EchosDe son côté, Le Monde répète ses classiques, sans jamais se lasser de sa prose prévisible : « La Grèce est au bord du précipice », « se rapproche dangereusement de l’abîme ». Mais le quotidien de référence croit, lui aussi, pouvoir discerner encore une voie possible, la seule, l’unique, la même que tous ses autres collègues : se soumettre encore ! « Que M. Tsipras donne, enfin, à ses créanciers européens les gages d’une volonté réelle d’engager la modernisation de l’Etat grec. (…) Qu’il appelle, ensuite, ses électeurs à voter oui au référendum ». Ce ne serait donc qu’en suivant la ligne tracée par le quotidien du soir que Tsipras épargnera à son peuple « la catastrophe » annoncée pour faire preuve « enfin, de responsabilité ».
Dans Les Echos, Jean Marc Vittori voit, lui, resurgir le spectre des années 30 avec une « Grèce sur la pente fatale » et des gouvernants européens qui fuient devant leurs responsabilités : « Jamais depuis les années 30, leur lâcheté n’a été aussi éclatante. En Grèce, le gouvernement a été incapable de tenir la double promesse sur laquelle il s’est fait élire il y a à peine six mois — rejeter l’austérité et garder l’euro. (…) Et ailleurs en Europe, aucun dirigeant politique n’a pris le taureau grec par les cornes. Les négociations et les décisions ont donc été plus techniques que politiques. Cette Europe-là ne peut pas réussir. Elle est condamnée aux errements, à l’impuissance, aux déchirements. Ce n’est pas seulement la Grèce qui est sur une pente fatale, c’est l’Europe toute entière qui risque de se désintégrer ».
La Grèce comme révélateur des faiblesses structurelles et institutionnelles de la zone euro ? L’hypothèse est bien plus séduisante. D’autant qu’elle est loin d’être absurde, à ceci près que sous la plume de Jean-Marc Vittori, cette pente fatale nous mènerait droit à une nouvelle « crise des années 30 », désordres économiques et incertitudes politiques compris. Etonnant, c’est précisément de ce type de soubresauts dont la « solide » construction européenne était censée nous préserver à jamais…
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