Menacés de perdre leurs allocations, les demandeurs d'emploi se tournent souvent vers Pôle emploi pour implorer sa clémence. La réalisatrice Nora Philippe a compilé une trentaine de leurs lettres, comme autant de fragiles bouteilles à la mer.
"Bonjour ou bonsoir selon le temps et les circonstances où vous recevez mon information", lance, en guise de salut, un chômeur à Pôle emploi. "J'ai pas l'habitude de rater les rendez-vous", poursuit-il dans sa lettre. Pour une fois, pourtant, il ne se présentera pas à l'entretien prévu. Le motif? "Je vous informe que je vais chez mon frère à Bruxelles pour voir mon père qui est venu spécialement pour faire une opération médicale, et comme je ne l'ai pas vu déjà ça fait 6 ans, je vais partir pour le voir."Le courrier de ce demandeur d'emploi anonyme compte parmi la trentaine de missives compilées dans Cher Pôle emploi. Lettres de chômeurs entre détresse et contestation*, à paraître fin mai aux éditions Textuel. La réalisatrice Nora Philippe a profité du tournage de son documentaire Pôle emploi, ne quittez pas!, à l'agence de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), pour collecter ces quelques feuilles volantes. Souvent manuscrites, parfois raturées, elles "ne cessent de remplir la boîte aux lettres de l'entrée et les sacs des coursiers". La plupart tentent de justifier une absence à une convocation, principale cause de radiation, et donc, pour les chômeurs indemnisés, de suspension des allocations. Ces lettres deviennent alors des bouteilles à la mer, fragiles tentatives pour éviter la sanction face à une administration débordée, qui prendra à peine le temps d'y prêter attention.
"Il y a presque trois cents ans, on écrivait au souverain pour lui demander son aide, sa clémence, sa miséricorde, observe l'historien et directeur de recherches au CNRS Philippe Artières, en postface du livre; l'homme du peuple empruntait le vocabulaire du pouvoir pour s'adresser à son souverain; avec maladresse, dans ces mots trop grands, avec ces formules étrangères à son quotidien, souvent soufflées par un écrivain public, un homme, une femme écrivaient à leur roi pour sauver leur vie." Le trône est aujourd'hui occupé par un monstre bureaucratique. Mais les chômeurs nourrissent le même espoir que le bas peuple d'autrefois, quand "l'écrit avait ce pouvoir de faire croire que quelques lignes tracées sur une page, une série de signes fébrilement inscrits, pouvaient changer le cours des choses".
Pour gagner la mansuétude de Pôle emploi, les chômeurs n'ont d'autres choix que de se mettre à nu. Il faut "toucher 'juste' son interlocuteur", "ni en rajouter, ni minimiser les conséquences que pourrait avoir [la] radiation des listes", analyse Philippe Artières. Les lettres dévoilent souvent des vies familiales chaotiques qui parasitent la recherche d'un travail, comme cette femme dont le conjoint vient d'être incarcéré. "Mon frère est décédé donc j'ai oublié plein de choses", confie aussi un anonyme. Un second dit vivre "dans un milieu désorganisé". "A la recherche d'une boîte postale", un troisième assure que sa mère, qui partage son logement, déchire ses courriers.
Au détour des mots d'excuses, apparaissent aussi ce que les experts nomment des "freins périphériques à l'emploi": l'enclavement géographique, qui impose des heures de transports pour se rendre à l'agence, ou l'absence de solutions de garde d'enfants. "La communication entre Pôle emploi et ses inscrits, dans l'absolu et en particulier dans une zone comme celle de Livry-Gargan, se caractérise par l'empêchement, la perturbation", pointe Nora Philippe en introduction. Bien souvent, les courriers n'arrivent pas à leurs destinataires, ou bien sur des e-mails et autres "espaces personnels" que les chômeurs n'ont pas les moyens de consulter. Des lettres contradictoires se croisent, laissant les chômeurs impuissants.
"Ce n'est pas une excuse valable à vos yeux"
Certains courriers prêtent à sourire par leur bon sens maladroit. "Je me suis prise d'une grippe et je n'ai donc pas pu me rendre à cette convocation. Je ne peux vous fournir un certificat médical car je me suis automédiqué", assure un auteur, quand un autre tient à s'excuser "de [son] absence au RDV pour le motif suivant: 'oubli du RDV'". "J'ai le plaisir à vous informer que je voyage pour Portugal car mes parents sont malades", tente un troisième dans une courte missive.Tous semblent pourtant avoir une conscience aigüe du risque encouru, comme du soupçon d'oisiveté qui pèse sur eux à l'heure où Pôle emploi s'apprête à durcir ses contrôles. "Ce n'est pas une excuse valable à vos yeux, je m'en excuse sincèrement", anticipe une femme qui a raté un rendez-vous pour cause de "pertes de mémoire dues à [sa] dépression". Mais "si je perds mes indemnités, je vais complètement m'effondrer, implore-t-elle. Etre au chômage ne me convient pas, je préférerais avoir un emploi pour avancer et exaucer mes projets."
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