mercredi 24 avril 2019

Les États-Unis ont contribué à enfoncer le Venezuela dans le chaos et la politique de changement de régime de Trump garantira la persistance de cette situation.

Par Mark Weisbrot

Source : Les crises

Le président de l’Assemblée nationale du Venezuela, Juan Guaido, s’adresse à une foule de partisans de l’opposition lors d’une réunion publique à Caracas le 16 janvier 2019. Photo: Federico Parra/AFP/Getty Images
Washington essaie de renverser le gouvernement du Venezuela depuis au moins 17 ans, mais l’administration Trump se montre nettement plus agressive que les précédentes. La semaine passée, les responsables de l’administration sont passés à la vitesse supérieure en donnant leur aval à celui qu’ils ont choisi pour succéder au président vénézuélien Nicolas Maduros Moros avant même tout coup d’état. Juan Guaido, 35 ans, membre du congrès vénézuélien s’est proclamé président, et l’administration Trump, comme les gouvernements alliés, l’ont immédiatement reconnu comme tel – selon un plan arrangé à l’avance.
Il est évident que le Président Trump vise un changement de régime ; son administration ne s’en cache même pas. Et ses alliés, comme le vice président Mike Pence et le sénateur Marco Rubio, républicain de l’état de Floride, l’ont clairement annoncé.
Il serait très fâcheux de continuer dans cette voie. Les politiques de Trump ont non seulement aggravé les souffrances des vénézuéliens mais elles ont, en plus, rendu quasiment impossible pour le pays de sortir de la dépression économique et de l’hyperinflation.
Une résolution négociée du conflit politique au Venezuela est nécessaire, mais l’implication de l’administration de Trump dans le renversement illégal du régime en place exclut cette option.
Une résolution négociée du conflit politique au Venezuela est nécessaire, mais l’implication de l’administration de Trump dans le renversement illégal du régime en place exclut cette option. Pire même, la stratégie manifeste de Trump est d’accentuer les souffrances par des sanctions – dont la plupart n’ont été qu’annoncées – jusqu’à ce qu’une partie de l’armée initie un coup de force pour instaurer un nouveau régime pro-Washington.
La régularité des élections présidentielles de 2018, boycottées par l’opposition, reste à débattre, mais les problèmes principaux de la stratégie de renversement de régime découlent d’autres considérations. Le Venezuela est un pays divisé et renverser le gouvernement, même sans l’implication de Washington, ne ferait qu’augmenter cette polarisation et les risques de violences ou même de guerre civile.
Prenons l’exemple du Nicaragua, où en 1990 les Sandinistes de gauche et leurs opposants soutenus par les U.S.A. acceptèrent de résoudre leurs désaccords par une élection. Les parties ont dû accepter certaines conditions pour que les perdants ne soient pas persécutés : les Sandinistes gardèrent l’armée sous contrôle après leur échec aux élections, et la paix a été préservée.
Ce genre de compromis nécessaire serait impossible sous la stratégie de changement de régime entreprise par l’administration Trump.
Le Venezuela est politiquement polarisé et il l’est depuis que Hugo Chavez a été élu président en 1998 et qu’il a lancé sa Révolution bolivarienne. La tentative de coup d’état militaire par l’opposition contre Chavez en 2002, soutenue et encouragée par des cadres de l’administration Bush, ainsi que la volonté vacillante de l’opposition à accepter les résultats d’élections démocratiques les années suivantes ont préparé le terrain pour de longues années de défiance.
La polarisation politique du Venezuela interagit avec un schisme profond qui se retrouve dans pratiquement toute la société de l’Amérique latine : une division selon les classes et les races. Presque partout dans les Amériques, les deux sont corrélées. Cette dernière décennie, il a été facile de deviner, dans les manifestations, en s’attachant simplement aux vêtements et aux nuances du teint des participants si ceux-ci étaient des partisans ou des opposants au gouvernement. Les foules de l’opposition sont visiblement plus blanches et plus aisées que celles des groupes qui soutiennent le gouvernement vénézuélien. Durant les toutes dernières manifestations, les pauvres et les travailleurs de Caracas sont plus souvent intervenus qu’auparavant mais pas assez pour effacer la division de classe et de race entre les Chavistes et l’opposition.
Un autre vecteur de polarisation du Venezuela est la foi dans la souveraineté et l’auto-détermination. Pour les Chavistes, l’indépendance vis-à-vis des USA est centrale et leur gouvernement, quand il en avait les moyens, appliquait des politiques dans son hémisphère tendant vers plus d’indépendance pour toute la région. L’opposition et les ennemis des Chavistes par contre ont collaboré étroitement avec les gouvernements états-uniens durant les deux dernières décennies, comme cela a pu être observé durant la dernière tentative de coup d’état. L’intervention de Washington aggrave la polarisation sur la question de la souveraineté et rend l’opposition suspecte de collaboration avec un pouvoir étranger, un pouvoir qui a historiquement eu un rôle désastreux pour toute la région. Pour juger de l’animosité que cela créerait, il faut penser à ce qui a été généré aux USA par l’interférence russe dans les élections de 2016 et il faut multiplier cela par plusieurs ordres de grandeur.
L’impact polarisant de l’opération de changement de régime de Trump est ce qui la rend si dangereuse.
L’impact polarisant de l’opération de changement de régime de Trump est ce qui la rend si dangereuse. L’inflation annuelle est probablement supérieure à un million de pour cent et l’économie a très probablement diminué de 50 % durant les cinq dernières années. Des millions de personnes ont quitté le pays pour trouver du travail. L’opposition aurait presque certainement gagné les dernières élections présidentielles si elle y avait pris part. (Il faut noter que les USA auraient menacé un candidat de l’opposition, Henri Falcon, de sanctions financières personnelles s’il persistait à poser sa candidature à la présidence.)
Il faut admettre que les politiques économiques gouvernementales ont joué un rôle dans les malheurs du Venezuela mais les sanctions de Trump ont considérablement aggravé les choses depuis août 2017 en détruisant l’industrie pétrolière et en aggravant la pénurie de médicaments, laquelle a tué beaucoup de vénézuéliens. Ces sanctions ont rendu le gouvernement chaviste quasiment incapable de prendre des mesures pour sortir de l’hyperinflation et de la dépression.
Bien que les media américains soient silencieux à ce sujet, il est important de noter que les sanctions de Trump sont, à la fois, violemment immorales – à nouveau, elles tuent – et illégales. Elles sont une violation de la Charte de l’Organisation des États Américains, de celle des Nations Unies et des autres conventions internationales dont les U.S.A. font partie. Ces sanctions violent également les lois des États-Unis puisque, pour pouvoir imposer de telles mesures, le président des USA doit affirmer, et c’est là qu’est l’absurdité, que le Venezuela représente « une menace inhabituelle et extraordinaire à la sécurité nationale » des États-Unis.
Le Venezuela ne pourra pas sortir de cette crise politique avec un camp écrasant l’autre, comme le supposent les promoteurs d’un changement de régime. Le Vatican qui a joué un rôle de médiateur en 2016, l’Uruguay et le Mexique, qui sont restés neutres dans ce conflit politique, ont offert, cette semaine, leur médiation. L’équipe de Trump, qui a une énorme influence sur l’opposition, n’a montré jusqu’à maintenant aucun intérêt pour une solution pacifique.

Source : The Intercept, Mark Weisbrot, 02-02-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.


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