Source : Le Figaro
Pour
la première fois, les parlementaires de l’opposition ont réuni le
nombre de signatures nécessaire pour débuter une procédure
d’organisation d’un «référendum d’initiative partagée». Les 248 élus
comptent s’opposer par ce biais à la privatisation d’ADP.
C’est une «première historique» qui pourrait bien donner des sueurs
froides à l’exécutif. Ce mardi, la quasi-totalité des groupes
d’opposition du Parlement se sont réunis pour annoncer le lancement
d’une procédure d’organisation d’un référendum d’initiative partagée sur
la question de la privatisation d’Aéroport de Paris.
Pour la première fois, les élus de l’Assemblée nationale et du Sénat
sont parvenus à rassembler le nombre de soutiens parlementaires
nécessaire, soit plus de 185, pour débuter ce type de procédure, ouvrant
la voie à un vote futur visant à rendre les aéroports parisiens
«insusceptibles de privatisation», selon les mots du député et
porte-parole du parti socialiste Boris Vallaud.» LIRE AUSSI - La privatisation d’Aéroports de Paris, bonne affaire ou «erreur stratégique»?
Transmise mardi en fin de journée au bureau de l’Assemblée, la proposition de loi référendaire ne contient qu’un article, visant à faire de «l’aménagement, de l’exploitation et du développement» des aérodromes parisiens un «service public national» incessible. «Il s’agit de demander aux Françaises et aux Français s’ils sont d’accord» pour que l’aménagement et la gestion de ces plateformes aériennes «revêtent le caractère de service public national» et reste donc sous la férule de l’État, a précisé par la suite Boris Vallaud.
Entré en vigueur en 2015, le référendum d’initiative partagée est lancé par une proposition de loi référendaire signée par un cinquième des parlementaires - députés comme sénateurs -, soit 185 élus au total. Celle-ci ne peut porter que sur certains domaines spécifiques, dont «l’organisation des pouvoirs publics» ou les «réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent». Le projet doit ensuite être validé par le Conseil constitutionnel. En cas d’approbation, il doit par la suite être signé par 10% du corps électoral, soit 4,5 millions de personnes, en neuf mois tout au plus, via internet ou par des «points d’accès» disséminés sur le territoire français. Une fois toutes ces étapes franchies, si le Parlement n’a pas examiné de texte sur le même sujet dans les six mois, le président de la République doit convoquer un référendum sur la proposition de loi.
Une course contre la montre
«Nous avons bon espoir que ce projet fonctionne», explique-t-on au groupe socialiste et apparentés de l’Assemblée, où l’on n’est pas peu fiers d’être parvenus à rassembler des élus de tous bords, droite et gauche confondues, pour s’opposer au projet de privatisation d’ADP. La liste complète des parlementaires soutenant le projet de loi comprend finalement 248 noms, comme l’ancienne candidate à la présidentielle Marie-George Buffet (PCF), 53 députés et 23 sénateurs Républicains, dont l’ancien maire de Juvisy-sur-Orge Robin Reda, le président (LR) de la commission des Finances de l’Assemblée Gilles Carrez, tous les insoumis, la socialiste et ancien rapporteur du budget Valérie Rabault et l’ancien ministre et désormais sénateur (PS) Patrick Kanner.Reste un obstacle de taille: pour que ce référendum puisse être organisé, il devra être validé par le Conseil constitutionnel... avant que la loi Pacte, qui doit être votée ce jeudi à l’Assemblée nationale en lecture définitive, ne soit promulguée. En effet, l’article 11 de la Constitution précise que le référendum «ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an». En d’autres termes, il sera impossible de démarrer l’organisation du référendum une fois la loi Pacte validée, à moins d’attendre douze mois après sa promulgation.
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Les parlementaires s’engagent donc dans une course contre la montre: il leur faut désormais transmettre au plus vite leur proposition de loi référendaire au Conseil constitutionnel pour que celui-ci la valide avant que la loi Pacte ne soit promulguée. Un défi qui pourrait bien se jouer à quelques heures près: les députés comptent contester la loi Pacte devant le Conseil constitutionnel pour gagner de précieux jours en retardant sa validation définitive. En prévision de cette course, les bureaux des deux chambres du Parlement devraient transmettre au plus vite la proposition de loi référendaire au Conseil. Les promoteurs du référendum promettent de ne pas lâcher l’affaire: la bataille est donc engagée, en attendant la décision des Sages du Palais-Royal.
Pour l’ancien professeur de droit constitutionnel à l’université Paul-Cézanne Aix-Marseille III Didier Maus, l’initiative des parlementaires, «totalement inédite», devrait être validée sur son sujet - la privatisation - par le Conseil constitutionnel. Pour autant, rien n’indique que les Sages auront le temps d’examiner et de valider le projet de loi référendaire avant d’étudier la loi Pacte. «Le Conseil se prononcera à l’intérieur du délai d’un mois avant la promulgation de la loi Pacte, et il devra faire en sorte que les deux calendriers ne se chevauchent pas», explique l’expert, qui souligne l’aspect novateur d’une procédure utilisée pour la première fois. «On est dans l’improvisation, mais c’est une trouvaille astucieuse», ajoute-t-il.
Un sujet hautement sensible
Prévue par la loi Pacte, la privatisation de l’entreprise est contestée par des élus de tous bords, qui accusent le gouvernement d’abandonner une «poule aux œufs d’or»: «non-sens économique et stratégique» pour les uns, «nécessité» pour financer le désendettement et la modernisation de l’État pour les autres, cette mesure a suscité des levées de boucliers et des débats enflammés tout au long de l’examen du projet de loi porté par Bruno Le Maire.Les élus d’opposition craignent que «l’erreur de la privatisation des autoroutes» ne se reproduise, conduisant à une hausse des tarifs pour les usagers ainsi qu’à une baisse de la qualité du service rendu. Pour le parti socialiste, la privatisation aura un effet désastreux pour le «pouvoir d’achat» des citoyens, et «affaiblirait le service public» en inscrivant ADP dans une «logique strictement marchande». Sur le long terme, la gauche considère également, au même titre que bon nombre d’élus de droite, que la cession d’ADP est une «erreur stratégique» ainsi qu’un «non-sens sur le plan économique», alors que l’entreprise a généré «175 millions d’euros de dividendes» à l’État en 2018.
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De son côté, le gouvernement considère que la cession permettra à cet «actif stratégique» de se développer plus aisément, loin des lourdeurs administratives de l’État. Bruno Le Maire estime avoir «tiré les leçons des erreurs des autoroutes», et que des «gages» avaient été donnés par l’exécutif pour rassurer les sceptiques quant au bien-fondé du projet. L’argent obtenu via la privatisation permettra d’alimenter un fonds pour l’innovation, et servira parallèlement à financer le désendettement du pays. «Nous ne remettons pas en cause les activités stratégiques: le contrôle des frontières, des passagers, resteront dans les mains de l’État. Toutes les décisions stratégiques resteront rigoureusement dans les mains de l’État», a ensuite précisé le patron de Bercy.
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