Source : Observatoire des Inégalités
6 novembre 2014 - 520 euros par an pour les plus pauvres, 5 250 pour les plus riches. Le budget 2015 est marqué par une bien curieuse conception de la justice fiscale. Le point de vue de Thibault Gajdos, directeur de recherche CNRS. Extrait du quotidien Le Monde.
Le 1er septembre, le gouvernement a fait un geste en faveur des plus démunis, en revalorisant de 2 % le montant du revenu de solidarité active (RSA) « socle », qui peut aller jusqu’à environ 510 euros pour une personne seule. Cette augmentation est la traduction concrète du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté lancé en janvier 2013. Les quelques 2,3 millions de foyers bénéficiaires du RSA auront ainsi, suivant leur situation familiale, un revenu supplémentaire annuel compris entre 120 euros et 250 euros.
Ayant ainsi aidé les plus pauvres, le gouvernement s’est tourné vers les classes moyennes. Pour cela, il a profité de l’existence d’un vieil impôt, rabougri et mité, qui représente à peine 12 % des prélèvements obligatoires et n’est payé que par une petite moitié des contribuables les mieux lotis : l’impôt sur le revenu. En augmentant le seuil de revenus à partir duquel cet impôt est prélevé, on réduit mécaniquement l’imposition des foyers situés autour du revenu médian , sans modifier celui payé par les plus modestes (qui continuent à payer en particulier la TVA et la contribution sociale généralisée). D’après les estimations du projet de loi de finances pour 2015, environ 6 millions de contribuables ayant un revenu proche du revenu médian bénéficieront d’une baisse d’impôt de l’ordre de 520 euros par an.
Largesses du gouvernement
Il n’aurait pas été juste que les plus fortunés soient les seuls à ne pas bénéficier des largesses du gouvernement. Ils n’ont pas été oubliés. La vraie richesse, celle qui prospère et que l’on transmet, celle dont les 10 % les plus riches possèdent la moitié, tandis que les 50 % les plus pauvres n’en détiennent que 7 %, c’est le patrimoine [1]. Le gouvernement a donc eu l’idée d’aider les ménages à se constituer un patrimoine immobilier. Pour cela, il a étendu le mécanisme d’incitation fiscale à l’investissement locatif, dit « dispositif Duflot ».
Le principe est simple. Le dispositif Duflot prévoyait une exonération pour l’achat d’un logement neuf, à condition de le louer à une personne ayant des revenus modestes. L’objectif était à la fois de relancer la construction et de favoriser le logement des plus modestes, les locataires ne pouvant être ni les descendants, ni les ascendants des bailleurs. Le gouvernement a décidé de lever cette dernière condition. L’explication est fournie sans fard dans les motifs du projet de loi de finances pour 2015 : « Au final, ces mesures, qui permettent à un nombre accru de contribuables de bénéficier des avantages du nouveau dispositif “Pinel”, tout en conservant la disposition de leurs biens pour assurer les besoins de logement de leur propre famille, renforcent l’attractivité du dispositif. ».
En effet : en achetant 300 000 euros un logement neuf, qu’il met à la disposition de son enfant pendant douze ans, un contribuable pourra bénéficier de 63 000 euros de déduction d’impôt. En d’autres termes, l’Etat contribuera à hauteur de 5 250 euros par an à la constitution du patrimoine de cet heureux contribuable, sans aucune contrepartie sociale. Evidemment, cela suppose de pouvoir disposer de 300 000 euros, ce qui réserve ipso facto ce dispositif aux plus fortunés.
Mais il ne suffit pas d’accumuler le patrimoine : il faut le transmettre ! Le gouvernement y a pensé aussi, et a instauré des abattements exceptionnels de 100 000 euros sur les droits de mutation à titre gratuit des donations de logements d’une part, et de terrains à bâtir d’autre part (moyennant l’engagement d’y construire un logement dans les quatre ans). Lorsque l’on sait que, toutes choses égales par ailleurs, une personne a 2,6 fois plus de chance d’appartenir aux 10 % les plus riches lorsqu’elle reçoit une donation, on mesure l’effet d’une telle mesure sur le creusement des inégalités patrimoniales.
Résumons : 250 euros par an pour les plus pauvres, 520 euros par an pour la classe moyenne et 5 250 euros par an pour les plus riches, associés à une diminution des droits de succession : c’est une conception curieuse de la justice fiscale.
Thibault Gajdos, directeur de recherche CNRS. Extrait du Monde du 10 octobre 2014.
Photo / © Ignatius Wooster - Fotolia.com
Notes
[1] Les Revenus et le patrimoine des ménages, Insee, 2012.
Dernière révision le 7 novembre 2014
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