Médiapart - 15 décembre 2014
La réalité physique de la crise climatique ne parvient pas à percer la bulle des négociations internationales qui depuis vingt ans cherchent à établir le cadre imposant aux États de réduire leurs rejets de gaz à effet de serre. La 20e conférence des parties (COP 20) qui s’est achevée dimanche 14 décembre au Pérou a achoppé sur l’essentiel.
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http://www.mediapart.fr/journal/international/151214/lima-le-spectre-dune-negociation-sans-fin-et-sans-resultat-sur-le-climat
Par Jade Lindgaard -
Mediapart.fr
Inauguration
de la COP 20 par Manuel Pulgar, ministre péruvien de
l'environnement, le 1er décembre 2014 (Wikicommons).
La réalité physique de la crise climatique ne parvient pas à percer la bulle des négociations internationales qui depuis vingt ans cherchent à établir le cadre imposant aux États de réduire leurs rejets de gaz à effet de serre. La 20e conférence des parties (COP 20) qui s’est achevée dimanche 14 décembre au Pérou a achoppé sur l’essentiel.
Au
lendemain de la clôture de la 20e conférence de
l’ONU sur le climat, à Lima, l’agence internationale de
l’énergie annonce que la consommation de charbon dans le
monde continuera à augmenter les cinq prochaines années. En
2019, elle devrait dépasser les 9 milliards de tonnes. La
baisse de la demande en Europe et aux États-Unis est plus
que compensée par la hausse en Chine (responsable des trois
cinquièmes de la poussée), en Inde et ailleurs en Asie. « Je
dois insister encore une fois : le recours au charbon dans
sa forme actuelle n’est pas soutenable », a déclaré la
directrice exécutive de l’agence, Maria van der Hoeven.
Plus
de charbon consommé égale beaucoup plus d’émissions de gaz à
effet de serre, et donc un climat toujours plus déréglé.
L’année 2014 pourrait battre un triste record, selon
l’organisation météorologique mondiale : devenir la plus
chaude jamais observée.
Cette
réalité physique de la crise climatique ne parvient toujours
pas à percer la bulle des négociations internationales qui,
depuis vingt ans, cherchent à établir le cadre imposant aux
États de réduire leurs rejets de gaz à effet de serre. La 20e
conférence des parties (COP 20) qui s’est
achevée dimanche 14 décembre au Pérou a pris la forme d’un
théâtre des cruautés : malgré les heures de travail acharné,
la bonne volonté de participants, y compris au plus haut
niveau, la prise en compte du dernier rapport des
scientifiques du GIEC, la déclaration commune des États-Unis
et de la Chine, et les engagements financiers européens,
notamment, pour abonder les 10 milliards de dollars du fonds
vert, ça bloque toujours sur l’essentiel : comment réduire
les rejets de gaz qui réchauffent l’atmosphère, comment se
partager l’effort entre riches et pauvres, pollueurs
historiques et nouveaux pollueurs, comment trouver l’argent
pour financer les nouvelles infrastructures de transport,
d’industrie, de logement nécessaires à la décarbonisation du
monde.
Le
RAC, une association d’experts en négociation climatique
proche des mouvements sociaux, et membre de la coalition
climat 21 qui regroupe des associations, syndicats et ONG, s’emporte contre
ce double discours permanent des
gouvernements : « Les négociations de l’ONU demeurent
importantes, mais insuffisantes pour répondre à la crise
climatique. Ce sont les gouvernements, les collectivités
locales et les citoyens qui doivent déployer les
solutions. Encore faut-il que les gouvernements prennent
les bonnes décisions. » Pour Alix Mazounie,
responsable de la politique internationale : « Les États
investissent de plus en plus dans les énergies
renouvelables, tout en continuant de dépenser 600
milliards de subventions publiques dans les combustibles
fossiles. Ce n’est qu’un exemple du double discours
permanent des États qui affaiblit les négociations.
Partout dans le monde, des projets inutiles et imposés
continuent d’être envisagés et financés : nouvelles
centrales au charbon, centrales nucléaires qui barrent la
route aux renouvelables, nouvelles explorations
pétrolières, nouveaux gazoducs ou oléoducs, aéroports,
l’accord transatlantique qui ouvre les portes à
l’importation en Europe de sables bitumineux. »
Un
exemple ? Lors de sa visite officielle au Canada en
novembre, un des plus gros pollueurs de la planète, François
Hollande s’est rendu dans la province de l’Alberta qui a
basé sa richesse sur l'exploitation des pétroles de schiste
et sables bitumineux, au prix d’un désastre écologique. Qu’a déclaré le
chef de l’État qui accueille le sommet de
décembre 2015 censé déboucher sur un accord international
sur le climat ? « Je souhaite que la France puisse
continuer à mettre en valeur les immenses richesses du
Nord-Ouest canadien, que ce soit dans les techniques
d'exploitation, de transformation, d'acheminement des
hydrocarbures, ou que ce soit dans la construction
d'infrastructures. »
Cette
aporie vide les négociations onusiennes de leur substance au
fil des ans. À quoi sert-il de négocier des textes aussi
techniques que subtils, où chaque point-virgule est soupesé,
s’ils n’empêchent aucune nouvelle mine de charbon ou de
minerais, aucune nouvelle plateforme pétrolière offshore,
aucun nouveau forage de gaz de schiste, aucun nouveau projet
d’aéroport, de barrage destructeur de zone humide ni de
centre de loisirs dévoreur de forêts ? Prenant acte de cette
contradiction, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a exhorté les acteurs économiques
(industries, banques, assurances…) à élaborer leurs propres
programmes de réduction d'émissions.
Les
campagnes de désinvestissement des industries fossiles se
multiplient dans le monde (la Société générale vient de se
retirer du financement de la giga-mine australienne Alpha
Coal suite à la mobilisation des Amis de la Terre, de Bizi
et d'Attac). Mais fondées sur le volontariat, ces actions
atteindront-elles l’échelle nécessaire pour contenir
l’ampleur du dérèglement climatique ? Rien ne l’assure,
évidemment. Elles ne suffisent pas à offrir un cadre général
de suivi et de contrôle des courbes d’émission, des
décisions et politiques qui les causent, de l’adaptation des
populations les plus vulnérables. Elles n’établissent aucun
principe de juste partage des tâches, en prenant en compte
l’ancienneté des rejets de dioxyde de carbone en Europe et
aux États-Unis, la pollution extrême des modèles de
développement chinois, indien, brésilien, des États
pétroliers et extractivistes.
« Il
faut agir tout de suite «
La
nécessité d’un cadre international, multilatéral, régi par
des principes d’efficacité, de solidarité et de justice
reste donc entière. Ce devrait être celui des conférences de
l’ONU. C’est pourquoi le processus de négociation se
poursuit, et que le rendez-vous de Lima était important :
devait s’y établir l’architecture du texte d’accord que la
communauté internationale espère signer à Paris dans un an.
Après deux semaines + deux jours de discussion, on est loin
du compte. De retour de Lima, dimanche 14 décembre, le climatologue
Jean Jouzel ne cachait pas son amertume : « On
a un peu perdu notre optimisme, c’est vrai »,
ajoutant : « Ce qui me déçoit le plus si on veut être en
mesure de limiter le réchauffement climatique à long terme
à 2°, c'est qu'il faut agir tout de suite, d’ici à 2020.
On a très peu parlé des mesures qui peuvent être prises
entre maintenant et 2020, et qui sont indispensables. »
Concrètement,
que ressort-il de Lima ? Un appel pour
l’action sur le climat, reconnaissant la
nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre à
partir de 2020. Et en annexe, le texte le plus désespérant
que l’on puisse imaginer : l’esquisse d’un brouillon
d’accord pour Paris Climat 2015 (à lire ici à partir de la page 6),
essentiellement composé d’hypothèses de paragraphes alignant
les options, a, b, c… les unes derrière les autres. La
journaliste du Guardian, Suzanne Goldenberg, s’est
fendue d’une remarque qui en dit long sur l’ambiance sur
place : c’est en voyant les sourires sur les visages des
délégués malgré la faiblesse du texte que l’on comprend
l’ampleur de la catastrophe évitée de justesse à Lima. À
savoir, même pas de texte commun !
L’appel
de Lima pose des règles de base pour discuter en 2015 d’un
accord sur le climat, sur la base d’engagements des pays
développés et des pays en développement, une nouveauté dans
l’histoire de ces négociations qui ne demandaient d’effort
jusqu’ici qu’aux pays riches. Les États sont appelés à
remettre leurs objectifs de réduction de gaz à effet de
serre en mars « pour ceux qui sont prêts à le faire ».
Mais ce n’est qu’en novembre que le secrétariat de la
convention-cadre des Nations unies sur les changements
climatiques publiera le bilan de ces engagements. Soit moins
d’un mois avant la conférence de Paris.
Requête
des pays les plus pauvres, l’adaptation à la crise
climatique est reconnue comme une priorité aussi prégnante
que la réduction des émissions. Le principe des « loss
and damages » (« pertes et dommages ») réclamé
par les États insulaires pour se garantir une aide
supplémentaire face au risque de submersion est reconnu.
Enfin, le fonds vert a atteint les 10 milliards de dollars
de promesses (cinq ans après sa création à Copenhague).
« La
plupart des décisions les plus difficiles sont renvoyées à
Paris,
constate l’avocat néo-zélandais David Tong, analyste sur le
site Adopt a negociator. Nous n’avons tout
simplement pas discuté de la forme légale de l’accord de
2015. Des idées essentielles sont reléguées dans des
clauses préambulatoires sans aucune force juridique. Pour
que Paris ne soit pas une autre conférence inutile, nous
piégeant dans un cycle infini de conférences décidant de
prolonger d’éternelles négociations, il faudra que les
choses se passent différemment. »
Même
sur les financements, la situation est loin d’être réglée.
Si les discussions sur le fonds vert ont bien avancé (reste
à verser l’argent maintenant), quels effets sur le reste de
l’économie réelle ? L’économiste britannique Nicholas Stern,
auteur du fameux rapport sur le coût de l’inaction face au
dérèglement climatique en 2006, et coauteur du New climate economy report
en 2014, alerte dans le Guardian :
« Dans les 15 prochaines années, jusqu’à 4 milliards de
milliards de dollars seront investis chaque année dans les
pays émergents et en voie de développement pour les
infrastructures de routes et de BTP. Ce sont ces
investissements qu’il faut transformer. Si on y arrive, la
croissance économique peut être forte, plus propre, plus
efficace, plus respectueuse de la biodiversité, soutenable
et bien plus souhaitable. Si ces investissements enferment
les pays dans des économies très carbonées, avec de la
croissance sale, générée par des carburants fossiles, le
monde ne pourra pas atteindre son objectif de maintenir le
réchauffement à moins de 2°. »
« Nous
allons reprendre le pouvoir que nous ont confisqué ceux
qui n'agissent pas dans notre intérêt. Nous résisterons
aux velléités d'imposer un
"accord mondial sur le climat" qui ne fasse rien pour le
climat et encore moins pour les populations, déclarent plusieurs dizaines de
mouvements de justice climatique. Ici à
Lima, ils ont essayé de nous enterrer. Mais ce qu'ils
ignorent, c'est que nous sommes des graines qui écloront
des sillons de la résistance. » Il leur reste moins
d’un an pour sortir des déclarations incantatoires et
trouver le moyen de se faire entendre des gouvernements.
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