Avec
les réformes successives de l’État, on voit fleurir les partenariats
public privé ou PPP, des contrats opaques liant des établissements
publics à de grandes entreprises privées. Mais derrière la dorure des
façades, la réalité s’avère moins reluisante, surtout pour les usagers
et usagères. À l’Université Paris 7, les bâtiments construits par Vinci
en PPP ne satisfont pas aux normes minimales de sécurité. Voici un petit
tour d’horizon des collusions qui se cachent sous ce contrat, puis de
la façon dont l’État avalise les manquements à la sécurité, pour
préserver les profits de Vinci.
La logique de délégation à des
prestataires privés et de mise en concurrence des services publics est
désormais partie intégrante du programme de l’État néolibéral : c’est un
« nouveau management public » à la française qui se développe depuis la
révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2007. Cette
logique, amorcée sous Nicolas Sarkozy, se poursuit sous François
Hollande. La RGPP a simplement pris un autre nom : Modernisation de
l’action publique. Au niveau de l’université, la Loi Fioraso de 2013 est
dans le droit fil de la loi LRU (relative aux Libertés et
Responsabilités des Universités) de 2007. À Paris 7 ou ailleurs, le
recours aux PPP dans l’enseignement supérieur n’a donc rien d’un
accident de parcours.
PPP et excellence : deux maîtres mots des réformes de l’Enseignement supérieur
Les PPP sont complémentaires des
réformes de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Avec
l’autonomie budgétaire, au centre de la loi LRU, il était convenu que
l’université devrait gérer elle-même son parc immobilier. C’est ce qui a
été concrétisé par le « Plan campus » lancé en 2008.
Ce plan, financé par la vente d’une
partie du capital d’EDF et par le grand emprunt de 2010 (c’est-à-dire
par la privatisation partielle d’un service public et par l’endettement
sur les marchés financiers), mettait les universités françaises en
concurrence pour l’obtention de subventions de l’État. Selon l’idéologie
dominante, la France doit en effet créer des « pôles d’excellence »
universitaires d’envergure internationale afin d’être compétitive dans
l’économie de la connaissance (ce qui, au passage, implique une
université à deux vitesses : on ne subventionne que les « meilleures »).
Pour emporter ces subventions, il
fallait, entre autre, faire des PPP. Le Pôle de Recherche et
d’Enseignement Supérieur Sorbonne-Paris-Cité, auquel appartient
l’Université Paris 7 (Paris Rive Gauche), a ainsi été doté de 200
millions d’euros.
Ce que cache le contrat : conflit d’intérêt permanent et opacité à tous les étages
Le PPP de Paris 7 a été signé le 24
juillet 2009 (les personnels et étudiant-e-s n’ont d’ailleurs su que
très tardivement que Vinci avait remporté l’offre). Dans ce genre de
partenariat, le privé ne se charge pas simplement de la construction des
bâtiments, c’est à dire des travaux. Il prend en charge tout le
processus : financement, conception, construction, puis maintenance et
exploitation des édifices (le loyer est d’un peu moins de 10 millions
d’euros par ans pendant 27 ans, date à laquelle l’Université deviendra
propriétaire des lieux). En l’occurrence, il s’agit d’une organisation à
plusieurs étages. Vinci participe au financement des travaux à travers
le groupe Udicité, qui a signé le contrat avec l’université.
L’entreprise doit donc démarcher auprès des banques et mettre en place
un montage financier complexe pour l’occasion : Udicité (148 millions
d’euros) est possédé à 15 % par Vinci, à 15 % par GDF-Suez, à 40 % par
FidePPP (filiale de Banque Populaire Caisse d’Épargne) et à 40 % par la
banque Barclays (ce montage permettant aussi à Vinci de se retirer du
projet n’importe quand, puisqu’il n’aura qu’à revendre sa part). C’est
ensuite une filiale de Vinci (Sogam) qui donne les ordres et engage les
architectes, tandis que d’autres filiales (Sicra, GTM…) font les travaux
de BTP à proprement parler. Dans cette affaire, Vinci est à la fois
commanditaire, promoteur et exécuteur des travaux. En d’autres termes,
le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre, celui qui commande et conçoit
les bâtiments et celui qui les construit, ne font qu’un. Comme le dit
Philippe Blandin, architecte licencié par Vinci pour avoir voulu
respecter les normes de sécurité : « c’est le conflit d’intérêt
permanent » (voir référence à la fin du texte). Entre ces différents
niveaux, il y a des organismes de contrôle : dans les faits, ils sont
court-circuités et tenus à l’écart. L’architecte, pour sa part, exécute
les ordres ou se fait licencier, comme le montre l’exemple de Blandin :
il n’a aucun pouvoir réel et doit se contenter d’obéir, quitte à saboter
son propre travail.
Dans tout PPP, le rapport de force est
structurellement inégal. En France, seuls trois grands groupes peuvent
prendre en charge de tels projets : Vinci, Bouygues et Eiffage, les
trois grandes multinationales de l’oligopole du BTP. Mais leur pouvoir
est énorme et, si on leur laisse contrôler tout le processus, la
puissance publique n’a pas les moyens de s’opposer à eux. La preuve,
dans le cas de Paris 7, c’est que le processus est totalement opaque, ce
qui laisse Vinci seul maître à bord : le contrôlé est son propre
contrôleur. Le contrat PPP est soumis à une « clause de
confidentialité », « secret industriel » oblige. La majeure partie de ce
qu’il contient n’est tout simplement pas accessible au public, et même
le conseil d’administration de l’université en a été tenu à l’écart : il
a voté le partenariat « sans avoir le droit de lire le contrat » (voir
référence à la fin du texte). Seul le président de l’université et ses
services juridiques y ont accès. Dans cette affaire, donc, le « public »
(l’État) se retrouve à faire la promotion de partenariats qui risquent à
chaque instant de se retourner contre lui, puisque le privé y a
nécessairement plus de pouvoir, et s’en servira à coup sûr pour
augmenter ses profits tout en réduisant ses risques. Reste à savoir
pourquoi l’État se tirerait volontairement une balle dans le pied –
outre le fait que le montage peut servir à maquiller une partie de la
dette publique, puisque la dépense prend la forme d’un loyer étalé sur
27 ans.
Un lobbying bien organisé
Des réseaux de pouvoir mêlant
responsables publics et entrepreneurs privés se cachent en fait derrière
la promotion des PPP. Comme on l’a vu, la FidePPP, filiale du groupe
Banque Populaire Caisse d’épargne (BPCE), détient avec Vinci une grande
partie du capital d’Udicité. Sous la présidence Sarkozy, cette filiale
distribuait des prix des PPP aux personnes responsables de projets
« ambitieux », conjointement avec le Club des PPP, un think-tank qui
invite régulièrement des ministres, des anciens ministres et des hauts
fonctionnaires à discuter sur le sujet et qui est lui-même rattaché à
Com’Publics, un organisme se définissant publiquement, sur son site
internet, comme une agence de « communication institutionnelle et
lobbying ». En 2009, différents acteurs gravitant autour du projet de
Paris 7 ont reçu pas moins de quatre « prix du PPP » ! L’université
elle-même, en la personne de Vincent Berger, son président (« prix
Autonomie et modernisation »), son vice-président « immobilier »
François Montarras (« prix de L’homme déterminé »), ainsi que le
Ministère de l’Enseignement supérieur en la personne de Valérie Pécresse
(« prix Universités ») et, enin, le directeur « développement des PPP »
du groupe BCPE (« prix de la Pédagogie financière »…). Chacun traduira à
sa façon ce florilège de rhétorique bureaucratique : prix de la
subordination des services publics aux intérêts privés, prix du décideur
autoritaire et borné, prix de la privatisation rampante de l’université
et du détournement légal d’argent public ? En somme, les responsables
du projet s’envoient à eux-mêmes des fleurs par organisations
interposées ! Autre détail amusant, ces prix auto-octroyés étaient à
chaque fois « validés » par le Ministère de l’Économie. Enfin, dernière
reconnaissance officielle du projet : Vincent Berger, ex-président de
l’Université Paris 7, a été promu conseiller Enseignement Supérieur et
Recherche de François Hollande (sans doute pour vanter les mérites d’une
affaire si rondement menée). Bref, la confusion des genres est totale…
Le non-respect des normes de sécurité…
Il y a néanmoins des failles dans le
processus des PPP, comme à Paris 7. En juin 2010, l’association Diderot
Transparence et la fédération syndicale Solidaires étudiant-e-s, entre
autres, ont déposé un recours juridique au tribunal administratif. Ce
recours concerne deux bâtiments : Olympe de Gouges et Sophie Germain. Il
y est reproché à Vinci de ne pas avoir respecté les normes de sécurité,
et notamment de sécurité incendie, et d’avoir fait une fausse
déclaration d’effectifs. Selon Vinci, seuls les premiers étages sont
accessibles aux étudiant-e-s : les étages supérieurs n’ont donc pas
besoin de respecter les normes des Établissement recevant du public
(ERP). Or les étages accueillent des secrétariats et des bureaux, des
salles de réunion et de séminaire, et même deux bibliothèques ! Dans le
fonctionnement normal et nécessaire de l’Université, des étudiant-e-s,
des intervenant-e-s extérieurs, des chercheur-se-s associé-e-s etc.
doivent pouvoir y accéder et, de fait, y accèdent. Mais, en cas
d’incendie, il n’y a pas assez de dégagements ni de baies d’accès
pompier accessibles pour évacuer tout ce beau monde (et le désenfumage
des étages supérieurs n’a pas été fait). Quant à la solidité des
planchers, c’est un mystère, puisque le dossier du permis de construire
ne fournit aucune donnée sur la question…
Et ce n’est pas fini. Quand les usagers
se sont mobilisés, l’université n’étant visiblement pas capable de
défendre son intérêt dans cette affaire, la présidence a immédiatement
pris la défense de Vinci. Le 21 septembre 2010, en réponse explicite
au recours déposé au tribunal administratif, un avenant au contrat PPP a
été voté en urgence au conseil d’administration de Paris 7. Non inscrit
à l’ordre du jour, il a pris tout le monde au dépourvu.
Qu’annonçait-il ? Qu’en cas d’annulation des permis de construire,
l’université Paris 7 payerait les frais de construction et de
démolition, à partir du moment où ils dépasseraient la somme d’un
demi-million d’euros. Avec quel argument ? Il fallait donner des
garanties aux banques (Barclays et BPCE) pour qu’elles n’interrompent
pas leur financement (manière, aussi bien, de continuer les travaux et
de jouer la carte du fait accompli : si les bâtiments sont prêts,
pourquoi leur retirer leur permis de construire ?). Cet avenant a
recueilli l’écrasante majorité des voix. Une fois de plus, le privé empoche les bénéfices et le public garantit les risques !
Ce qui révèle deux choses : le « contrat » est une fiction, puisqu’il
s’agit avant tout de rapport de force (on se demande quel sorte de
chantage Vinci a pu exercer pour que cet avenant soit accepté par la
présidence) ; depuis la loi LRU, les présidents d’université ont acquis
les pleins pouvoirs, et les conseils d’administration tendent à devenir
les simples chambres d’enregistrement de décisions prises en amont.
Malgré cela, la justice a fini par faire
son travail : en juillet 2013, le Tribunal Administratif a annulé les
permis de construire des deux bâtiments concernés – qui étaient déjà
construits et occupés ! Vinci et l’université ont fait appel du
jugement. Avant juillet 2013, les étudiant-e-s et les chercheur-se-s
pouvaient demander un badge pour monter dans les étages : maintenant,
c’est tout simplement interdit. Officiellement, seul le personnel badgé y
a accès. Dans les faits, l’Université fonctionne comme elle peut : les
enseignant-e-s et les secrétaires reçoivent dans leurs bureaux, des
séminaires et des réunions ont lieu, la bibliothèque est ouverte mais
désertée, etc. On a même remonté les grilles du 4eme au 5eme
étage : les étudiant-e-s ont désormais physiquement accès aux
secrétariats, bien qu’un panneau signale, en conformité avec les normes
incendies, qu’ils ne peuvent pas légalement y aller…. La présidence,
même si elle affirme le contraire, le sait très bien : ses décisions
contraignent les personnels à contourner la loi au quotidien (lorsqu’ils
acceptent de faire monter des personnes sans badge dans l’ascenseur) ;
et elle tente de leur en déléguer la responsabilité. D’un côté, ce
dispositif hypocrite complique la vie de tous, et nuit à la vivacité des
relations entre étudiant-e-s et enseignant-e-s en dressant des
obstacles inutiles (les badges sont un beau symbole de l’université
néolibérale : ouverte sur l’économie et intégrée dans un quartier
d’affaires, mais sécuritaire et cloisonnée de l’intérieur). De l’autre,
chacun est obligé de jouer avec les normes de sécurité.
…et sa « légalisation » par l’État « public-privé »
L’automne dernier, Solidaires
étudiant-e-s a tenté d’informer et de mobiliser les étudiant-e-s,
enseignant-e-s et personnels sur la question. Malgré un soutient
« moral » très large, il y avait peu de monde aux assemblées générales,
et le mouvement n’a pas pris. Quelle est la situation actuelle ? Le 24
janvier dernier, le rapporteur public du tribunal administratif s’est
prononcé pour l’annulation des arrêtés d’ouverture au public (décision
qui a été confirmée par le tribunal le 28 février dernier). Mais, fin
décembre, alors qu’aucune mesure n’avait été prise pour la remise aux
normes, la préfecture a validé de nouveaux permis : toutes les
irrégularités dénoncées par le premier recours ont été transformées en
« dérogations » ; le non-respect des normes a simplement été légalisé…
Entre le moment où la décision du rapporteur a été mise en ligne et la
date de l’audience (moins de deux jours), le préfet avait déposé un
nouvel arrêté d’ouverture au public : autrement dit, il s’est assis sur
le jugement du tribunal en reprenant exactement la même décision que par
le passé sans tenir compte du verdict de la justice. Il faut désormais
engager de nouveaux recours contre les mêmes arrêtés d’ouverture : Vinci
et l’université ont encore gagné du temps. L’État, en agissant au
mépris de la loi et de la justice, a une fois de plus montré de quel
côté il se situait dans cette affaire. En somme, les trois signataires
du contrat PPP – Vinci, Paris 7 et l’État – agissent quasiment main dans
la main pour défendre les intérêts des « prédateurs du béton ».
Ce cas, particulièrement révélateur, ne
constitue pas simplement une dérive : il met en évidence ce qui est
structurellement en jeu dans les PPP, ainsi que les rapports de pouvoir
qu’ils impliquent. De nombreux projets, du tribunal de grande instance
de Paris (dont les travaux sont arrêtés depuis juillet dernier) à
l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (dont la construction est censée
reprendre sous peu) risquent de souffrir des mêmes tares : construits au
rabais, ruineux pour le public, opaques, quasiment impossibles à
contrôler, propices à tous les conflits d’intérêt, les PPP fleurissent
et pourraient bien nous réserver encore quelques surprises…
Pour en finir avec les PPP
Mais les stratégies des promoteurs des
PPP pourraient bien être retournées contre les entreprises impliquées :
le cas de Paris 7 montre que ces dernières réclament des garanties
exorbitantes (dans le cas de Paris 7, que le public paye quoi qu’il arrive, c’est-à-dire que le projet soit sans aucun
risque pour le privé), sans lesquelles les banques refuseraient tout
simplement de financer les projets. En présence d’un mouvement social,
ou simplement d’hommes et de femmes déterminé-e-s à défendre la cause du
public, un montage PPP pourrait bien s’écrouler. Dans le cas du Palais
de Justice de Paris, dont les travaux sont actuellement suspendus, le
précédent de Paris 7 est d’ailleurs cité par les avocats : preuve de
plus que les PPP sont loin d’être invincibles et que, devant
l’accumulation des scandales, l’État pourrait bien lui-même se rendre
compte de leur nocivité intrinsèque.
En ce qui concerne Paris 7, les
revendications immédiates de Solidaires étudiant-e-s et du Collectif
Vinci doit Payer sont les suivantes :
- Mise aux normes des bâtiments Olympe de Gouges et Sophie Germain aux frais de Vinci, de manière à ce qu’ils puissent accueillir sans danger du public à tous les étages.
- Suppression des badges et libre circulation, pour tous, dans les bâtiments de l’université.
- Publication complète, sans « clause de confidentialité », du contrat PPP passé entre l’entreprise Vinci (sous le nom d’Udicité), l’Université Paris 7 et l’État français.
Évidemment, à moyen terme, c’est de la
suppression des PPP et de la « nationalisation » des partenariats en
cours qu’il faudrait débattre. Cependant, à l’université comme ailleurs,
c’est la logique globale au sein de laquelle ils s’inscrivent qu’il
s’agit de dénoncer en bloc : la privatisation rampante des services
publics, la mise en concurrence généralisée des institutions et des
équipes de travail, la précarisation des travailleur-se-s, l’importation
des discours et des outils du management jusque dans l’appareil d’État –
et, replacé dans ce contexte général, l’externalisation de tâches à des
acteurs privés et le recours aux PPP. Attention, donc, à ne pas se
focaliser sur la critique des PPP, car ils ne sont que l’arbre qui cache
la forêt de l’État néolibéral.
Solidaires étudiant-e-s Paris 7
Ce texte, écrit par Solidaires
étudiant-e-s Paris 7, est issu d’une réunion publique organisée en
février dernier par le Comité de soutien à Notre-Dame-des-Landes des 5eme et 13eme
arrondissements de Paris : « De l’Université Paris 7 à
Notre-Dame-des-Landes : l’empire de Vinci et le désastre des
Partenariats-Publics-Privés ».
Voir deux articles de Médiapart, « La multinationale et l’université: conflit de chantier », 27/07/2010 et « Le chantier de Vinci à Paris 7 : c’est l’université qui garantit les risques ! », 06/12/2011.
Sur l’empire industriel de Vinci, voir Nicolas de la Casinière, Les prédateurs du béton, Libertalia, 2013.
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