La révolte qui
agite la Turquie a été allumée par une étincelle écologique :
la protestation contre le projet de construction d’un centre commercial sur la
place Taksim d’Istanbul, qui devrait détruire le parc Gezi. A partir de cette
étincelle, le mouvement a pris une ampleur qui dépasse de beaucoup son amorce et
implique bien davantage que le refus d’une politique méprisant l’environnement
au nom du développement économique. La séquence n’en est pas moins
remarquable.
Comme il est
remarquable que, de point de vue, le cas turc est loin d’être isolé. De plus en
plus souvent, dans les pays émergents, la protestation écologique est un des
principaux motifs d’agitation sociale. Au Chili, le grand mouvement étudiant de
2011 avait pris appui sur le succès inattendu de la manifestation à Santiago
contre un projet de grands barrages en
Patagonie. En Pologne, une résistance paysanne s’affirme
contre les tentatives d’exploration du gaz de schiste. En Chine, les
protestations locales contre des usines polluantes sont le ferment le
plus actif d’expression de l’insatisfaction sociale sous un régime qui reste
très répressif. En Inde, le mouvement des paysans sans terre
et les nombreuses résistances à des projets de complexes industriels ou de
centrales nucléaires font écho à la rébellion naxalite qui s’appuie dans l’est
du pays sur la résistance des autochtones à des plans miniers. Au Pérou comme en
Bolivie, la protestation contre des projets de mines ou de routes à travers des
parcs naturels ont ébranlé les gouvernements. Au Brésil, si la résistance au barrage de Belo Monte reste
localisée, la place qu’a su prendre l’écologiste Marina Silva sur la scène
politique montre l’importance de la préoccupation environnementale chez le géant
d’Amérique latine.
Peut-on parler
d’un « soulèvement contre le développement », comme l’écrit l’analyste Ali
Bektas à propos des événements de Turquie ? Sans doute est-ce
prématuré. Mais il est clair que la croissance effrénée que connaissent nombre
de pays du sud suscite de plus en plus de frustrations, en raison de ses effets
secondaires néfastes et de son caractère souvent inéquitable. L’écologie n’est
décidément plus un « luxe de pays riches », comme on l’entend
parfois, mais bien un élément moteur des dynamiques sociales dans tous les pays
du monde.
La destruction
écologique peut aussi influencer l’agitation sociale par la misère qu’elle
entraîne, comme le signale le
François Gemenne, chercheur à l’Institut du développement durable et
des relations internationales. Bon connaisseur du Bangladesh, il observe que la
radicalisation islamiste qui agite le pays peut être associée au dénuement de
populations rurales qui perdent souvent leurs maigres avoirs sous les coups de
conditions environnementales de plus en plus dévastatrices. Elles se
rapprocheraient par désespoir du fanatisme religieux.
Il faut raffiner
et préciser ces pistes d’analyse. Mais ce qui est sûr, c’est que la
compréhension des enjeux sociaux de la crise écologique doit intégrer l’analyse
géopolitique.
Source :
Cette chronique devait être publiée dans Le Monde du 8-9 juin
2013.
Photo : Sur la place
Taksim, à Istanbul (lesnouveautes.fr)
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