vendredi 17 août 2018

Ni austérité, ni populisme : le Portugal suit sa voie de gauche


Info
 
Article publié il y a un an et demi sur TV Monde, (en décembre 2016) reproduit ici pour son caractère informatif  compte tenu de la singularité de la position de ce Pays enEurope, pays qu'il faudrait regarder d'un peu plus près...et pourquoi pas s'en inspirer...voyez ce que je veux dire....


Lisbonne<br />
<sub>(AP Photo/Francisco Seco)</sub>
Lisbonne
(AP Photo/Francisco Seco)

Fruit d'une coalition improbable de gauches ordinairement opposées, le gouvernement portugais du socialiste António Costa vient de célébrer son premier anniversaire. Contre tous les pronostics, il a réussi à tenir ses engagements de rompre avec la logique tout-austéritaire de la Troïka, tout en parant les foudres de Bruxelles. Loin, aussi, du populisme montant.


On n'en donnait pas cher, de l'expérience portugaise. Les errements d'un conglomérat politique farfelu dans un pays marginal et ruiné, contre une austérité partout triomphante. Hausse des minimas, embauches de fonctionnaires, baisse du temps de travail et même... re-nationalisations de fait ! Lubie aventureuse d'égarés gauchisant que rattraperait vite l'inflexible réalité ou leur effondrement politique. La chute de Syriza n'avait-elle pas, cinq mois plus tôt, sonné l'inanité de toute illusion alternative à la doxa berlino-bruxelloise ? Quelle fièvre saisit le plus sage des PIGS (cochons en anglais, acronyme préféré des milieux financiers anglo-saxons pour Portugal, Italy, Greece, Spain), endetté pour 230 milliards d'euros ?

Une majorité incertaine

Lorsqu'en novembre 2015, le socialiste António Costa forme son gouvernement de gauche, il a à peu près tout et tous contre lui. Et pas même gagné les élections. Le 5 octobre précédent, les législatives portugaises ont débouché sur une avance de la formation du Premier ministre sortant de droite Pedro Passos Coelho. Celui-ci annonce, dès le soir, sa victoire, abondamment prédite par la plupart des médias européens : à l'opposé des extravagances grecques, la récompense de l'élève repentant aux exigences de l'austérité. Las … On a un peu vite compté.

Il s'avère les jours suivants que les 38 % de voix de son parti ne sont pas la majorité, ni même ses 107 députés sur 230. La droite échoue le 10 novembre à faire investir son gouvernement. De là à parier sur la gauche…

 
La porte-parole du Bloc de gauche Catarina Martins<br />
<sub>photo Paulete Matos (dr)</sub>
La porte-parole du Bloc de gauche Catarina Martins
photo Paulete Matos (dr)
Elle est éclatée entre un Parti socialiste (32%) usé par ses passages au pouvoir, un Parti communiste (8%) peu conciliant, des écologistes et une formation issue de l'extrême-gauche (Bloc de gauche) aux allures de Podemos mâtiné de NPA (1) (elle inclut des trotskistes) mais dont la percée reste modeste (10%). Une majorité virtuelle en terme d'addition (environ 50 % de l'électorat, 122 sièges sur 230) mais politiquement improbable. Ses composantes n'ont jamais gouverné ensemble et ne s'aiment guère. Les unes sont atlantistes et attachées à l'euro ; d'autres, à l'opposé, marxisantes, voire révolutionnaires.

Seule convergence : la remise en cause de l'austérité, qui a gagné jusqu'à la tête du Parti socialiste. Politicien aguerri dont la peau foncée rappelle l'origine indienne (de Goa, ex-comptoir portugais), fils de communiste, son leader António Costa a fait campagne sur cette ligne, presque transgressive dans la social-démocratie européenne. Elle exaspère Bruxelles, les bailleurs de fonds (sous surveillance internationale, le Portugal est endetté pour plus de 130 % de son PIB), les agences de notations, les classes politiques au pouvoir qui n'y voient qu'abandon et démagogie.

 
Antonio Costa présentant son programme de gouvernement, octobre 2015.<br />
<sub>(AP Photo/Armando Franca)</sub>
Antonio Costa présentant son programme de gouvernement, octobre 2015.
(AP Photo/Armando Franca)
Contre toute attente, et pour la première fois depuis la Révolution des œillets (1974), les gauches s'unissent pourtant. Malgré ses fortes réticences, le président de la République conservateur Caraco Silva est contraint de nommer Premier ministre António Costa. Bloc de gauche et communistes soutiennent son investiture, sans participer au gouvernement. Un équilibre brocardé par la droite, qui l'appelle "gericonça" (traduction approximative : "le machin"). Il ne semble pas devoir durer plus loin que l'hiver. On vient de célébrer son premier anniversaire. 66 % des Portugais soutiennent son action.

Un programme audacieux … appliqué

A l'opposé de gauches voisines, celle du Portugal respecte ses engagements sociaux.

Pouvoir d'achat relancé par l'augmentation du salaire minimum et la suppression de taxes imposées par le FMI et l'UE dans le cadre de « plans de sauvetages » antérieurs ; fin du gel des pensions de retraites et des traitements dans la fonction publique ;  embauches en CDI de fonctionnaires et retour dans ce secteur à la semaine de 35 heures abolie par le précédent gouvernement; retour à la gratuité des urgences dans les hôpitaux ; revalorisation de plusieurs prestations sociales ; reprise de positions majoritaires de l’État dans différentes entreprises dénationalisées (compagnie aérienne TAP, métros de Lisbonne et Porto) et maintien à 100 % publique de la première banque historique du pays, la Caixa Geral de Depositos.

De telles mesures quasi-bolchéviques au regard des canons en vigueur devaient conduire rapidement le pays au chaos ou, dans le meilleur des cas, à une rechute économique. Ni l'un ni l'autre ne sont à ce jour survenus. Le chômage, qui restait voisin des 13 % en 2014 (jusqu'à 17 % début 2013), a poursuivi sa décrue (11,5 % en septembre dernier). Le PIB affiche au troisième trimestre 2016 une croissance de 1,6 % en rythme annuel (supérieure à celle de la France). 127 000 emplois ont été crées en neuf mois.
 
Le Portugal est en train de tourner le dos à la crise économique même si le pays en ressent toujours les effets Pierre Moscovici, commissaire européen
Marginalement stimulé par des événements tels que la victoire à l'euro de football ou le succès du Web Summit, l'économie profite, il est vrai, du report du tourisme (+ 9,5 % l'an dernier) se détournant des destinations jugées à risque (pays arabes ou sub-sahariens, Turquie…). Mais c'est vrai de ses concurrents du sud européen (Espagne, France, Italie, Grèce) qui en tirent moins de profit. L'embellie lusitanienne n'est pas une illusion ni un artifice.

 
Antonio Costa et Angela Merkel le 20 octobre dernier à Bruxelles lors d'un  sommet de l'UE. Lisbonne est alors menacée de lourdes sanctions pour son déficit budgétaire.<br />
<sub>(AP Photo/Alastair Grant)</sub>
Antonio Costa et Angela Merkel le 20 octobre dernier à Bruxelles lors d'un  sommet de l'UE. Lisbonne est alors menacée de lourdes sanctions pour son déficit budgétaire.
(AP Photo/Alastair Grant)
Elle n'attendrit pas Bruxelles. Cette année même, la Commision s'est rappelée au bon souvenir des Portugais en les menaçant de lourdes sanctions pour avoir dépassé le déficit budgétaire autorisé par les « critères de Maastricht » (les fameux 3 %). Son propre discrédit et les désastres européens des derniers mois (Brexit, montée générale de l'euroscepticisme et des courants europhobes) l’amènent par la suite à tempérer ses ardeurs, et finalement à reconnaître le passage en cours de ce déficit sous la barre sacrée (2,4 % du PIB en 2016, 1,6 % prévu en 2017 ). « Le Portugal est en train de tourner le dos à la crise économique même si le pays en ressent toujours les effets », doit constater le 18 novembre le commissaire européen aux affaires économiques Pierre Moscovici. Hommage tardif, qui sonne un peu comme celui du vice à la vertu.

Des handicaps persistants

Les succès ne font pas un conte de fée. Même providentiellement allégée par la modicité des taux d'intérêt, la dette publique du Portugal demeure la troisième d'Europe en valeur relative (130 %) derrière l'Italie (133%) et la Grèce (180%) : un fardeau qui laisse en partie le pays à la discrétion de ses bailleurs de fonds et ses officines. Si le Portugal convalescent est officiellement sorti en 2014 du plan d'aide international qui l'avait – contre un prêt de 79 milliards d'euros - placé sous tutelle de fait de la Troïka (BCE, Commission européenne, FMI), l'ombre de cette dernière continue de planer et le très surveillé Premier ministre ne peut l'ignorer. Outre une augmentation des retraites, le budget 2017 adopté ces jours-ci prévoit en compensation une redistribution subtile des impôts indirects.
 
L'accueil des réfugiés : Un acte moral et une bonne occasion de repeupler des régions rurales
António Costa, Premier ministre

Corollaire de sa situation générale, l'autre point sensible du Portugal est d'ordre démographique et migratoire. Avec l'un des taux de natalité les plus faibles de l'Union, sa population est vieillissante : près d'un tiers de retraités. Après l'euphorie de la croissance des années 90-2000, la crise économique en a refait une terre d'émigration. En 2012, pic de ses infortunes et de la violence austéritaire, 10 000 jeunes quittaient chaque mois le pays. Même la population scolaire s'est affaissée. Et si une série de mesures fiscales favorise l'installation de milliers de seniors étrangers (Français et Anglais, surtout), il y apportent plus de liquidités que de sang neuf.

A rebours des pays du Nord et de l'Est européen, qui rivalisent d'inventivité pour fermer leurs frontières, le Portugal annonce haut et fort son souhait d'accueillir plus de 10 000 migrants du Proche Orient et d'Afghanistan et prépare des structures pour cela. « Un acte moral et une bonne occasion de repeupler des régions rurales », note le Premier ministre d'un pays… dépourvu d'extrême-droite.


(1) Nouveau parti anticapitaliste d'origine trotskiste incarnée par Olivier Besancenot. Le Bloc des gauches inclut aussi une composante trotskiste de la Quatrième internationale.

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