La grande majorité des couples arrive à trouver une solution pour
protéger au mieux leur enfant du conflit conjugal, et maintenir le rôle
parental de chacun. Cependant de plus en plus d’enfants perdent le
contact avec l’un de leurs parents après la séparation quand la haine
est présente. Les situations de rupture de lien parental font l’objet
depuis quelques années d’une préoccupation toute spéciale de nombreux
pays occidentaux, du fait de leur nombre croissant et leur coût social
en termes de procédures judiciaires interminables et de psychothérapies,
mais aussi et avant tout, de la souffrance inutile infligée à tous, en
particulier aux enfants que l’on dit vouloir protéger.
Le changement dans les familles : ce que nous disent les chiffres
Il est fréquent d’entendre : « les enfants ont bien changé ». En réalité les familles ont changé bien davantage. En deux générations à peine, notre société a vu disparaître la « puissance paternelle » au profit de « l’autorité parentale ». L’émancipation des femmes et la reconnaissance des droits de l’enfant dans une convention internationale ont permis d’instituer définitivement la co-parentalité dans la loi du 4 mars 2002. L’instabilité conjugale a augmenté dans tous les types d’unions, parallèlement avec le déclin du mariage, qui ne représente plus la référence de la constitution de la famille : c’est l’enfant qui est désormais le sujet fondateur. Plus d’un mariage sur deux se termine par un divorce à Paris et ce rapport est de un sur trois dans le reste de la France. Un tiers des 55% des enfants nés de couples non mariés verront également leurs parents se séparer.
Les chiffres du Ministère de la Justice montrent une augmentation du divorce par consentement mutuel (54% des divorces en 2010 vs 47% avant 2005) et du divorce accepté (24% des divorces vs 13%) ainsi qu’une forte diminution du divorce pour faute (10% des divorces en 2010 vs 37% en 2004). Le législateur pourrait donc se féliciter d’un climat global d’apaisement dans les tribunaux. Mais le Ministère de l’Intérieur enregistre depuis une décennie environ 27 000 plaintes et 120 000 mains courantes par an pour non représentations d’enfant. Derrière ces chiffres se cachent des situations extrêmes de rupture de lien familial, dont le nombre réel n’est pas connu.
Les chiffres de l’INED de l’année 2006 nous indiquent :
L’aliénation parentale : une maltraitance psychologique
Dans une situation de « guerre familiale », un parent en difficulté psychique peut prendre son enfant en otage ou, plus simplement, tente de s’en faire un allié. Il va alors abuser de son autorité pour instrumentaliser cet enfant et le soumettre à un cruel et subtil chantage psychologique, voire à des violences physiques, pour lui faire refuser tout contact avec son autre parent, afin de l’amener à rompre tout lien affectif avec ce dernier.
Que l’enfant soit instrumentalisé dans une stratégie de vengeance, ou qu’il se donne spontanément la mission de soutenir le parent perçu comme victime, importe au fond assez peu : l’enfant va se rallier corps et âme au parent qu’il « choisi », appelé « parent aliénant », jusqu’à devenir captif de son mode de pensée et rompre à plus ou moins longue échéance tout lien affectif avec son autre parent, appelé « parent aliéné ». Victime de ce processus d’emprise, l’enfant va tenir des propos d’une extrême dureté et proférer les accusations les plus graves ou les plus insensées, de maltraitances ou d’abus sexuels, à l’encontre du parent rejeté, pour étayer la destruction du lien. Jadis aimé, le parent « aliéné » devient au pire un ennemi, au mieux un étranger.
Preuve de son caractère pathologique, ce rejet s’étend aux personnes autrefois aimées de la famille du parent aliéné: grands-parents, oncles et tantes, cousins. L’enfant va se construire, amputé de la moitié de son arbre généalogique.
L’aliénation parentale : un trouble psychiatrique du lien
Huit manifestations symptomatiques, décrites classiquement chez l’enfant, permettent de poser un diagnostic précis sur l’état du lien parent-enfant (Gardner, 1998) :
(1) Campagne de dénigrement (diffamation) – L’enfant médit continuellement l’autre parent, dit le haïr et ne plus vouloir le voir : « Je le déteste, et je ne veux plus le voir de toute ma vie ». L’enfant crée une distinction entre les objets (ex. les jouets) en provenance de la maison du parent aliénant et ceux du parent aliéné. Ces derniers ne sont plus ramenés dans la maison du parent aliénant, car l’enfant les considère comme « contaminés ».
(2) Rationalisations faibles, frivoles, et absurdes – L’enfant donne des prétextes futiles, peu crédibles, ou absurdes pour justifier sa dépréciation du parent aliéné: « Il fait du bruit en mangeant », « Il me parle que de foot », «Il m’oblige à sortir la poubelle ». L’enfant peut se référer à des altercations mineures et passées avec le parent aliéné : « Il hurle toujours pour que je me lave les dents ». Parfois, l’enfant ne donne pas de raisons du tout.
(3) Absence d’ambivalence – Un parent est adoré par l’enfant, l’autre est détesté. L’enfant est absolument sûr de lui et ses sentiments à l’égard du parent aliéné sont sans équivoque : c’est de la haine, sans aucun souvenir positif.
(4) Phénomène du penseur indépendant (ou du penseur libre) – L’enfant affirme que son refus de contact avec le parent aliéné est sa décision personnelle, indépendante de toute influence : « C’est ma décision de ne plus aller chez ma mère ». Le parent aliénant se réfugie derrière la décision de l’enfant : « Je veux bien qu’il aille chez sa mère mais c’est lui qui ne veut pas. Je ne peux pas l’obliger».
(5) Soutien au parent aliénant – L’enfant se positionne en soutien inconditionnel au parent gardien, qui serait « persécuté » par le parent aliéné. Il devient son « petit soldat », jusqu’à voler de sa propre initiative des documents appartenant au parent aliéné.
(6) Absence de culpabilité – L’enfant n’éprouve aucune culpabilité par rapport à la mise à mort symbolique du parent aliéné. Ce processus est plus actif que le manque d’ambivalence. On observe une connotation sadique : « Je suis bien débarrassé depuis que je ne le vois plus » ; « J’espère qu’il va mourir très vite et que j’en sois débarrassé ».
(7) Présence de scénarios empruntés – L’enfant relate des faits qu’il a manifestement entendu raconter : « Je me souviens qu’elle a essayé de me tuer en voiture quand elle était enceinte de moi ». Même très jeune, il emploie un langage d’adulte emprunté au parent aliénant (voire au grand-parent aliénant) : « Elle viole ma vie privée ».
(8) Animosité étendue à l’ensemble du monde du parent aliéné – L’enfant généralise son animosité à l’ensemble du monde du parent aliéné : grands-parents, oncles, cousins, amis, mais aussi pays, religion, culture. L’animosité peut même concerner un animal domestique autrefois affectivement investi par l’enfant.
Ces symptômes comportementaux traduisent un état mental pathologique chez l’enfant :
Les conséquences néfastes pour l’enfant
Cette maltraitance psychologique dont l’enfant fait l’objet aura des conséquences sur la construction de sa personnalité. Repli sur soi, perte de confiance en soi, perception biaisée de la réalité sont autant de signes annonçant ou accompagnant les graves perturbations qui vont surgir à un moment ou un autre de la vie du jeune adulte. Certains adolescents seront en échec scolaire ou montreront des troubles psychosomatiques réactionnels et des comportements dangereux (alcool, drogue) qui pourront les mener jusqu’au suicide.
D’autres jeunes, en apparence élèves parfaits, vont développer des troubles à un âge plus avancé, notamment des difficultés à construire des liens dans leur vie privée, sociale et professionnelle.
Les conséquences de la rupture sur le parent rejeté
Pendant de nombreuses années, la rupture de lien parent-enfant lors des divorces conflictuels a concerné majoritairement les pères. Aujourd’hui, en conséquence directe du principe de parité, les mères sont également victimes. Très peu d’études cliniques se sont intéressées aux conséquences de l’aliénation parentale sur ces parents rejetés ou aliénés. La Loi du 4 mars 2002 n’est assortir d’aucun délit d’entrave à l’exercice de l’autorité parentale. Elle repose sur la libre adhésion citoyenne des parents. En cas de refus de respect de la loi, il n’y a ni délit, ni auteur, ni victime, alors même que les droits des enfants sont bafoués. Les parents abandonnés vivent une détresse profonde assortie d’un sentiment d’échec de n’avoir pas pu protéger leur enfant du conflit conjugal.
Les symptômes suivants sont diagnostiqués les concernant : dépression chronique, état post-traumatique avec modification de la personnalité, symptômes phobiques, méfiance paranoïde qui peut devenir obsessionnelle, comportements à risques, suicide ou accidents suicidaires (tentatives de suicide masquées en accident).
A cette souffrance se rajoute le regard accusateur de la société dans un processus de sur-victimisation : coupables de n'être plus aimés par leurs enfants, ces parents le resteront toujours devant la loi et le regard des autres, puisque leurs propres enfants refusent de les voir ! Cette détresse est ressentie de façon particulièrement douloureuse par les femmes qui non seulement se trouvent privées de leur maternité, mais sont jugées comme des « mauvaises mères » même par les personnes de leur entourage car « il n’y a pas de fumée sans feu ».
L’aliénation parentale est contraire à la loi
Le code civil indique que « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ». Le parent qui associe abusivement son enfant à sa procédure de divorce jusqu’à l’amener à couper tout contact avec son autre parent ne respecte pas la loi. C’est une violation de l’article 8 de la Convention Européennes des Droits de l’homme, de l’article 9 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, et de la Loi sur l’Autorité Parentale de 2002. Le phénomène d’Aliénation Parentale est reconnu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg. Le Brésil considère l’aliénation parentale comme un délit pénal à part entière depuis 2010.
La détermination à rompre les liens va rendre impossible l’exercice du droit de visite et d’hébergement du parent rejeté. La première difficulté concerne l’évaluation de l’indépendance du discours de l’enfant et sa concordance avec les faits. La seconde consiste à faire appliquer la loi : un magistrat peut-il ou doit-il contraindre un enfant à rendre visite au parent rejeté lorsqu’il exprime sa détermination de ne plus avoir de contact avec lui ?
Dans son dernier livre « Abus de faiblesse et autres manipulations », la psychiatre Marie France HIRIGOYEN présente l’aliénation parentale comme un exemple d’abus de faiblesse sur mineur : « Il est important de repérer tôt le glissement du normal lors d'une séparation conflictuelle (difficulté à trouver sa place de parent) vers la pathologie (instrumentalisation de l'enfant le conduisant à rejeter l'autre parent), car cette rupture de lien représente un abus émotionnel grave pour l'enfant. L'aliénation parentale constitue un abus de faiblesse parce qu'un enfant, par essence vulnérable, n'a pas la maturité suffisante pour s'affranchir d'un tel conflit. »
Des outils psycho-judiciaires inadaptés
Le juge aux affaires familiales doit veiller à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs et prendre les mesures afin de garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun des parents. La loi du 4 mars 2002 a confirmé le recours à la médiation familiale en cas de désaccord entre les parents. Mais dans des procédures très conflictuelles, la médiation, généralement refusée par une partie, ne fait plus sens. Confrontés à des enfants qui menacent de fuguer, de se suicider, voire d’éliminer le parent aliéné, les juges font appel à des professionnels, experts psychiatres ou psychologues, pour prendre une décision qui s’appuie sur des expertises. Néanmoins, le refus persistant d’un parent à respecter une décision judiciaire qui l’oblige à présenter l’enfant à son autre parent, peut motiver le magistrat aux affaires familiales à statuer en s’appuyant sur le ressenti de l’enfant pour donner au parent rejeté soit un droit à des visites libres, tributaires du bon vouloir de l’enfant, qui pourra alors persister dans son refus de contact en toute légitimité, soit un droit de visite de quelques heures par mois dans un espace médiatisé sous surveillance.
Ces lieux dits neutres n’ayant aucune compétence pour la médiation familiale ou pour la thérapie, le constat de leur incapacité à reconstruire le lien entre le parent rejeté et l’enfant dans des situations relevant de l’aliénation parentale, revient de façon récurrente dans les rapports des équipes de surveillance. Pire, les visites dans des points rencontres, prévus initialement pour des parents en dysfonctionnement parental, vont jouer le rôle inverse à celui que leur assigne le magistrat. Le seul fait de leur désignation confirme et renforce le message toxique du parent aliénant, qui désigne le parent rejeté comme une personne dangereuse que l’enfant ne doit plus voir, sinon sous la protection des éducateurs. Nombreux sont les parents qui vont rapidement renoncer à ce dispositif, ou refuser d’y aller, non par abandon de leurs enfants mais par refus de leur imposer des conditions intolérables.
Les juges pour enfants sont de plus en plus nombreux à considérer l’aliénation parentale comme un vrai danger pour le mineur, qui justifie la mise en place d’une mesure éducative, rarement efficace faute d’adhésion thérapeutique de l’enfant, voire d’un placement.
L’aliénation parentale - un problème social émergent
Le concept d’aliénation parentale donne parfois l’impression d’être une nébuleuse, voire un fourre-tout auquel grand nombre de procédures font, parfois abusivement, référence. En premier lieu il faut bien préciser que tous les parents qui se séparent ne deviennent pas aliénants. Ce phénomène peut également apparaître des années après une séparation pacifique, à l’occasion d’une naissance après recomposition familiale.
En fait il n’existe pas un modèle unique d’aliénation parentale, mais plusieurs formes selon le degré de gravité de l’aliénation chez l’enfant, les motivations du parent aliénant et son éventuelle psychopathologie, le profil du parent rejeté et la situation familiale. Les situations réelles ne sont pas toujours aussi nettes que les descriptions que l’on retrouve dans la littérature : pour parler d’aliénation parentale, le parent ne doit avoir rien fait qui puisse justifier le dénigrement par l’enfant. Par ailleurs, l’aspect légitime du rejet n’est pas clairement défini dans la littérature. À partir de quand l’enfant a-t-il des raisons justifiées de rejeter un parent ? En parlant d’ « aliénation parentale », Gardner (2002) a lui-même décrit des comportements pouvant expliquer le rejet d’un parent par son enfant. Hormis la maltraitance (physique ou sexuelle) et la négligence, il cite l’abus émotionnel, l’abandon, les défauts de parentage, l’alcoolisme, le narcissisme et le comportement antisocial. Warshak (2001) quant à lui évoque la colère chronique, la sévérité excessive, l’intimidation, l’égocentrisme et l’abus de substances toxiques.
L’aliénation parentale est reconnue par un nombre croissant de professionnels du champ juridique et psychosocial. Le programme de l’Education Nationale 2012 impose aux élèves de 1ere ST2S l’étude des problèmes de société, des ruptures et des exclusions sociales. Les auteurs du Manuel de Sciences et Techniques Sociales et Sanitaires (Edition Casteilla) ont choisi le Syndrome d’Aliénation Parentale pour illustrer un problème sociétal émergent. Les lycéens devront analyser (1) en quoi l’aliénation parentale est devenue un problème de société qui a conduit la collectivité à le reconnaître et (2) comment la reconnaissance de ce problème émergent s’est construite dans le temps.
L’aliénation parentale est une maltraitance et un délit pénal. Pour le juriste, c’est la connaissance de la vulnérabilité de la victime par l’auteur et l’intentionnalité de ce dernier à lui nuire qui vont permettre la qualification de l’acte et déterminer la sanction. Mais pour l’enfant-victime, c’est la prise de conscience des conséquences, en termes de préjudices psychologique, physique ou financier, de la maltraitance et de manipulation dont il a été l’objet qui sera déterminante. Le parent exclu, quant à lui, restera toujours la victime oubliée.
La famille contemporaine s’est recomposée autour d’un idéal amoureux et passionnel dont l’enfant est devenu le centre. Cependant, sous une forme ou une autre, elle restera toujours la cellule de base de notre société, parce qu’elle est indispensable à la structuration du sujet. C’est là que l’enfant, cet « adulte en devenir », va construire inconsciemment son autonomie, à travers la relation avec ses deux parents. Face à la multiplication des solitudes et à l’érosion des solidarités, il devient urgent de développer des recherches en sciences sociales et médicales sur l’impact que peuvent avoir les ruptures des liens familiaux sur les individus et sur la société dans son ensemble. Il conviendra également de s’interroger sur l’application et l’applicabilité de la loi du 4 mars 2002 sur l’autorité parentale, notamment au vue des réformes qui s’annoncent dans le domaine de la famille et de la parentalité.
Le changement dans les familles : ce que nous disent les chiffres
Il est fréquent d’entendre : « les enfants ont bien changé ». En réalité les familles ont changé bien davantage. En deux générations à peine, notre société a vu disparaître la « puissance paternelle » au profit de « l’autorité parentale ». L’émancipation des femmes et la reconnaissance des droits de l’enfant dans une convention internationale ont permis d’instituer définitivement la co-parentalité dans la loi du 4 mars 2002. L’instabilité conjugale a augmenté dans tous les types d’unions, parallèlement avec le déclin du mariage, qui ne représente plus la référence de la constitution de la famille : c’est l’enfant qui est désormais le sujet fondateur. Plus d’un mariage sur deux se termine par un divorce à Paris et ce rapport est de un sur trois dans le reste de la France. Un tiers des 55% des enfants nés de couples non mariés verront également leurs parents se séparer.
Les chiffres du Ministère de la Justice montrent une augmentation du divorce par consentement mutuel (54% des divorces en 2010 vs 47% avant 2005) et du divorce accepté (24% des divorces vs 13%) ainsi qu’une forte diminution du divorce pour faute (10% des divorces en 2010 vs 37% en 2004). Le législateur pourrait donc se féliciter d’un climat global d’apaisement dans les tribunaux. Mais le Ministère de l’Intérieur enregistre depuis une décennie environ 27 000 plaintes et 120 000 mains courantes par an pour non représentations d’enfant. Derrière ces chiffres se cachent des situations extrêmes de rupture de lien familial, dont le nombre réel n’est pas connu.
Les chiffres de l’INED de l’année 2006 nous indiquent :
· 3,3 millions des enfants de moins
de 18 ans ne vivent plus avec leurs deux parents, dans la plupart des
cas suite à une séparation parentale
· 2,2 millions d’enfants vivent avec un seul parent, au sein d’une famille dite monoparentale.
· 1,2 million d’enfants vivent au
sein d’une famille recomposée : 800 000 sont avec un parent et un
beau-parent, le plus souvent un beau-père, et 400 000 enfants sont nés
après la recomposition familiale et résident donc avec leurs deux
parents et un demi-frère ou une demi-sœur.
Une récente étude de l’Union des familles en Europe, rapporte que 48 %
des enfants du divorce, affirment que la séparation des parents a
perturbé leur vie amoureuse. Pour l’écrasante majorité (88 %), la
séparation a eu des effets à long terme sur leur personnalité. La
séparation des parents est d’autant plus douloureuse et traumatisante
pour un enfant qu’elle est conflictuelle. Les procédures judiciaires les
plus acharnées concernent l’exercice de l’autorité parentale et la
résidence de l’enfant, qui fait l’objet d’un combat juridique acharné
particulièrement néfaste à l’équilibre du mineur. L’analyse des parcours
psycho-judiciaires montre que des situations familiales ordinaires
peuvent prendre des développements dramatiques, allant jusqu’à la
rupture définitive des liens familiaux, l’enlèvement parental, voire,
dans certains cas dramatiques mais hélas pas si rares, le meurtre des
enfants par un parent qui se donnera la mort à la suite.L’aliénation parentale : une maltraitance psychologique
Dans une situation de « guerre familiale », un parent en difficulté psychique peut prendre son enfant en otage ou, plus simplement, tente de s’en faire un allié. Il va alors abuser de son autorité pour instrumentaliser cet enfant et le soumettre à un cruel et subtil chantage psychologique, voire à des violences physiques, pour lui faire refuser tout contact avec son autre parent, afin de l’amener à rompre tout lien affectif avec ce dernier.
Que l’enfant soit instrumentalisé dans une stratégie de vengeance, ou qu’il se donne spontanément la mission de soutenir le parent perçu comme victime, importe au fond assez peu : l’enfant va se rallier corps et âme au parent qu’il « choisi », appelé « parent aliénant », jusqu’à devenir captif de son mode de pensée et rompre à plus ou moins longue échéance tout lien affectif avec son autre parent, appelé « parent aliéné ». Victime de ce processus d’emprise, l’enfant va tenir des propos d’une extrême dureté et proférer les accusations les plus graves ou les plus insensées, de maltraitances ou d’abus sexuels, à l’encontre du parent rejeté, pour étayer la destruction du lien. Jadis aimé, le parent « aliéné » devient au pire un ennemi, au mieux un étranger.
Preuve de son caractère pathologique, ce rejet s’étend aux personnes autrefois aimées de la famille du parent aliéné: grands-parents, oncles et tantes, cousins. L’enfant va se construire, amputé de la moitié de son arbre généalogique.
L’aliénation parentale : un trouble psychiatrique du lien
Huit manifestations symptomatiques, décrites classiquement chez l’enfant, permettent de poser un diagnostic précis sur l’état du lien parent-enfant (Gardner, 1998) :
(1) Campagne de dénigrement (diffamation) – L’enfant médit continuellement l’autre parent, dit le haïr et ne plus vouloir le voir : « Je le déteste, et je ne veux plus le voir de toute ma vie ». L’enfant crée une distinction entre les objets (ex. les jouets) en provenance de la maison du parent aliénant et ceux du parent aliéné. Ces derniers ne sont plus ramenés dans la maison du parent aliénant, car l’enfant les considère comme « contaminés ».
(2) Rationalisations faibles, frivoles, et absurdes – L’enfant donne des prétextes futiles, peu crédibles, ou absurdes pour justifier sa dépréciation du parent aliéné: « Il fait du bruit en mangeant », « Il me parle que de foot », «Il m’oblige à sortir la poubelle ». L’enfant peut se référer à des altercations mineures et passées avec le parent aliéné : « Il hurle toujours pour que je me lave les dents ». Parfois, l’enfant ne donne pas de raisons du tout.
(3) Absence d’ambivalence – Un parent est adoré par l’enfant, l’autre est détesté. L’enfant est absolument sûr de lui et ses sentiments à l’égard du parent aliéné sont sans équivoque : c’est de la haine, sans aucun souvenir positif.
(4) Phénomène du penseur indépendant (ou du penseur libre) – L’enfant affirme que son refus de contact avec le parent aliéné est sa décision personnelle, indépendante de toute influence : « C’est ma décision de ne plus aller chez ma mère ». Le parent aliénant se réfugie derrière la décision de l’enfant : « Je veux bien qu’il aille chez sa mère mais c’est lui qui ne veut pas. Je ne peux pas l’obliger».
(5) Soutien au parent aliénant – L’enfant se positionne en soutien inconditionnel au parent gardien, qui serait « persécuté » par le parent aliéné. Il devient son « petit soldat », jusqu’à voler de sa propre initiative des documents appartenant au parent aliéné.
(6) Absence de culpabilité – L’enfant n’éprouve aucune culpabilité par rapport à la mise à mort symbolique du parent aliéné. Ce processus est plus actif que le manque d’ambivalence. On observe une connotation sadique : « Je suis bien débarrassé depuis que je ne le vois plus » ; « J’espère qu’il va mourir très vite et que j’en sois débarrassé ».
(7) Présence de scénarios empruntés – L’enfant relate des faits qu’il a manifestement entendu raconter : « Je me souviens qu’elle a essayé de me tuer en voiture quand elle était enceinte de moi ». Même très jeune, il emploie un langage d’adulte emprunté au parent aliénant (voire au grand-parent aliénant) : « Elle viole ma vie privée ».
(8) Animosité étendue à l’ensemble du monde du parent aliéné – L’enfant généralise son animosité à l’ensemble du monde du parent aliéné : grands-parents, oncles, cousins, amis, mais aussi pays, religion, culture. L’animosité peut même concerner un animal domestique autrefois affectivement investi par l’enfant.
Ces symptômes comportementaux traduisent un état mental pathologique chez l’enfant :
· La principale manifestation est
la fausse croyance, solidement ancrée chez l’enfant, que le parent
rejeté est mauvais, dangereux, et pas digne d'affection.
· L'enfant peut même développer des faux souvenirs de maltraitance de la part du parent aliéné.
· Très souvent, les fausses
croyances de l'enfant à l’encontre du parent aliéné sont le résultat de
l'endoctrinement fait par le parent préféré de façon inconsciente ou
délibérée.
Dans les stades sévères d’aliénation parentale, les croyances
erronées et les distorsions cognitives concernant le passé et le parent
rejeté, qui vont jusqu’à l’effacement des bons souvenirs, se rapprochent
de la désubjectivation sectaire ou du délire. Des situations extrêmes
peuvent atteindre le « trouble délirant induit » ou la « folie à deux »
(von Boch et Kodjoe, 2007).Les conséquences néfastes pour l’enfant
Cette maltraitance psychologique dont l’enfant fait l’objet aura des conséquences sur la construction de sa personnalité. Repli sur soi, perte de confiance en soi, perception biaisée de la réalité sont autant de signes annonçant ou accompagnant les graves perturbations qui vont surgir à un moment ou un autre de la vie du jeune adulte. Certains adolescents seront en échec scolaire ou montreront des troubles psychosomatiques réactionnels et des comportements dangereux (alcool, drogue) qui pourront les mener jusqu’au suicide.
D’autres jeunes, en apparence élèves parfaits, vont développer des troubles à un âge plus avancé, notamment des difficultés à construire des liens dans leur vie privée, sociale et professionnelle.
Les conséquences de la rupture sur le parent rejeté
Pendant de nombreuses années, la rupture de lien parent-enfant lors des divorces conflictuels a concerné majoritairement les pères. Aujourd’hui, en conséquence directe du principe de parité, les mères sont également victimes. Très peu d’études cliniques se sont intéressées aux conséquences de l’aliénation parentale sur ces parents rejetés ou aliénés. La Loi du 4 mars 2002 n’est assortir d’aucun délit d’entrave à l’exercice de l’autorité parentale. Elle repose sur la libre adhésion citoyenne des parents. En cas de refus de respect de la loi, il n’y a ni délit, ni auteur, ni victime, alors même que les droits des enfants sont bafoués. Les parents abandonnés vivent une détresse profonde assortie d’un sentiment d’échec de n’avoir pas pu protéger leur enfant du conflit conjugal.
Les symptômes suivants sont diagnostiqués les concernant : dépression chronique, état post-traumatique avec modification de la personnalité, symptômes phobiques, méfiance paranoïde qui peut devenir obsessionnelle, comportements à risques, suicide ou accidents suicidaires (tentatives de suicide masquées en accident).
A cette souffrance se rajoute le regard accusateur de la société dans un processus de sur-victimisation : coupables de n'être plus aimés par leurs enfants, ces parents le resteront toujours devant la loi et le regard des autres, puisque leurs propres enfants refusent de les voir ! Cette détresse est ressentie de façon particulièrement douloureuse par les femmes qui non seulement se trouvent privées de leur maternité, mais sont jugées comme des « mauvaises mères » même par les personnes de leur entourage car « il n’y a pas de fumée sans feu ».
L’aliénation parentale est contraire à la loi
Le code civil indique que « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ». Le parent qui associe abusivement son enfant à sa procédure de divorce jusqu’à l’amener à couper tout contact avec son autre parent ne respecte pas la loi. C’est une violation de l’article 8 de la Convention Européennes des Droits de l’homme, de l’article 9 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, et de la Loi sur l’Autorité Parentale de 2002. Le phénomène d’Aliénation Parentale est reconnu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg. Le Brésil considère l’aliénation parentale comme un délit pénal à part entière depuis 2010.
La détermination à rompre les liens va rendre impossible l’exercice du droit de visite et d’hébergement du parent rejeté. La première difficulté concerne l’évaluation de l’indépendance du discours de l’enfant et sa concordance avec les faits. La seconde consiste à faire appliquer la loi : un magistrat peut-il ou doit-il contraindre un enfant à rendre visite au parent rejeté lorsqu’il exprime sa détermination de ne plus avoir de contact avec lui ?
Dans son dernier livre « Abus de faiblesse et autres manipulations », la psychiatre Marie France HIRIGOYEN présente l’aliénation parentale comme un exemple d’abus de faiblesse sur mineur : « Il est important de repérer tôt le glissement du normal lors d'une séparation conflictuelle (difficulté à trouver sa place de parent) vers la pathologie (instrumentalisation de l'enfant le conduisant à rejeter l'autre parent), car cette rupture de lien représente un abus émotionnel grave pour l'enfant. L'aliénation parentale constitue un abus de faiblesse parce qu'un enfant, par essence vulnérable, n'a pas la maturité suffisante pour s'affranchir d'un tel conflit. »
Des outils psycho-judiciaires inadaptés
Le juge aux affaires familiales doit veiller à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs et prendre les mesures afin de garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun des parents. La loi du 4 mars 2002 a confirmé le recours à la médiation familiale en cas de désaccord entre les parents. Mais dans des procédures très conflictuelles, la médiation, généralement refusée par une partie, ne fait plus sens. Confrontés à des enfants qui menacent de fuguer, de se suicider, voire d’éliminer le parent aliéné, les juges font appel à des professionnels, experts psychiatres ou psychologues, pour prendre une décision qui s’appuie sur des expertises. Néanmoins, le refus persistant d’un parent à respecter une décision judiciaire qui l’oblige à présenter l’enfant à son autre parent, peut motiver le magistrat aux affaires familiales à statuer en s’appuyant sur le ressenti de l’enfant pour donner au parent rejeté soit un droit à des visites libres, tributaires du bon vouloir de l’enfant, qui pourra alors persister dans son refus de contact en toute légitimité, soit un droit de visite de quelques heures par mois dans un espace médiatisé sous surveillance.
Ces lieux dits neutres n’ayant aucune compétence pour la médiation familiale ou pour la thérapie, le constat de leur incapacité à reconstruire le lien entre le parent rejeté et l’enfant dans des situations relevant de l’aliénation parentale, revient de façon récurrente dans les rapports des équipes de surveillance. Pire, les visites dans des points rencontres, prévus initialement pour des parents en dysfonctionnement parental, vont jouer le rôle inverse à celui que leur assigne le magistrat. Le seul fait de leur désignation confirme et renforce le message toxique du parent aliénant, qui désigne le parent rejeté comme une personne dangereuse que l’enfant ne doit plus voir, sinon sous la protection des éducateurs. Nombreux sont les parents qui vont rapidement renoncer à ce dispositif, ou refuser d’y aller, non par abandon de leurs enfants mais par refus de leur imposer des conditions intolérables.
Les juges pour enfants sont de plus en plus nombreux à considérer l’aliénation parentale comme un vrai danger pour le mineur, qui justifie la mise en place d’une mesure éducative, rarement efficace faute d’adhésion thérapeutique de l’enfant, voire d’un placement.
L’aliénation parentale - un problème social émergent
Le concept d’aliénation parentale donne parfois l’impression d’être une nébuleuse, voire un fourre-tout auquel grand nombre de procédures font, parfois abusivement, référence. En premier lieu il faut bien préciser que tous les parents qui se séparent ne deviennent pas aliénants. Ce phénomène peut également apparaître des années après une séparation pacifique, à l’occasion d’une naissance après recomposition familiale.
En fait il n’existe pas un modèle unique d’aliénation parentale, mais plusieurs formes selon le degré de gravité de l’aliénation chez l’enfant, les motivations du parent aliénant et son éventuelle psychopathologie, le profil du parent rejeté et la situation familiale. Les situations réelles ne sont pas toujours aussi nettes que les descriptions que l’on retrouve dans la littérature : pour parler d’aliénation parentale, le parent ne doit avoir rien fait qui puisse justifier le dénigrement par l’enfant. Par ailleurs, l’aspect légitime du rejet n’est pas clairement défini dans la littérature. À partir de quand l’enfant a-t-il des raisons justifiées de rejeter un parent ? En parlant d’ « aliénation parentale », Gardner (2002) a lui-même décrit des comportements pouvant expliquer le rejet d’un parent par son enfant. Hormis la maltraitance (physique ou sexuelle) et la négligence, il cite l’abus émotionnel, l’abandon, les défauts de parentage, l’alcoolisme, le narcissisme et le comportement antisocial. Warshak (2001) quant à lui évoque la colère chronique, la sévérité excessive, l’intimidation, l’égocentrisme et l’abus de substances toxiques.
L’aliénation parentale est reconnue par un nombre croissant de professionnels du champ juridique et psychosocial. Le programme de l’Education Nationale 2012 impose aux élèves de 1ere ST2S l’étude des problèmes de société, des ruptures et des exclusions sociales. Les auteurs du Manuel de Sciences et Techniques Sociales et Sanitaires (Edition Casteilla) ont choisi le Syndrome d’Aliénation Parentale pour illustrer un problème sociétal émergent. Les lycéens devront analyser (1) en quoi l’aliénation parentale est devenue un problème de société qui a conduit la collectivité à le reconnaître et (2) comment la reconnaissance de ce problème émergent s’est construite dans le temps.
L’aliénation parentale est une maltraitance et un délit pénal. Pour le juriste, c’est la connaissance de la vulnérabilité de la victime par l’auteur et l’intentionnalité de ce dernier à lui nuire qui vont permettre la qualification de l’acte et déterminer la sanction. Mais pour l’enfant-victime, c’est la prise de conscience des conséquences, en termes de préjudices psychologique, physique ou financier, de la maltraitance et de manipulation dont il a été l’objet qui sera déterminante. Le parent exclu, quant à lui, restera toujours la victime oubliée.
La famille contemporaine s’est recomposée autour d’un idéal amoureux et passionnel dont l’enfant est devenu le centre. Cependant, sous une forme ou une autre, elle restera toujours la cellule de base de notre société, parce qu’elle est indispensable à la structuration du sujet. C’est là que l’enfant, cet « adulte en devenir », va construire inconsciemment son autonomie, à travers la relation avec ses deux parents. Face à la multiplication des solitudes et à l’érosion des solidarités, il devient urgent de développer des recherches en sciences sociales et médicales sur l’impact que peuvent avoir les ruptures des liens familiaux sur les individus et sur la société dans son ensemble. Il conviendra également de s’interroger sur l’application et l’applicabilité de la loi du 4 mars 2002 sur l’autorité parentale, notamment au vue des réformes qui s’annoncent dans le domaine de la famille et de la parentalité.
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