Source : Reporterre
Le harcèlement et les persécutions à l’encontre des défenseurs des droits à la terre sont de plus en plus plus féroces. C’est ce que met en lumière un rapport alarmant de l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme, rendu public il y a quelques jours,
Il y a quelques jours, en Equateur, dans la province de Zamora, le corps du dirigeant autochtone Shuar José Tendetza, fervent opposant au projet Mirador, la première mine à ciel ouvert du pays, a été retrouvé inanimé. Au Pérou, quatre leaders indigènes péruviens ont été assassinés en septembre dernier pour s’être opposés à la déforestation de l’Amazonie. Et ces cas sont loin d’être isolés.
43 défenseurs de la terre assassinés
En Afrique du Sud, plusieurs membres du mouvement Abahlali base Mjondolo, dont la présidente, Thuli Ndlovu, ont été tués ces deux dernières années pour avoir dénoncé les irrégularités d’un projet immobilier mené par la municipalité de KwaNdengezi, une zone rurale dans l’est du pays.
Au Honduras, dans la région de Bajo Aguan, les organisations paysannes, aux prises depuis plus de quinze ans avec l’agro-industrie n’ont cessé de faire l’objet de menaces, d’agressions et d’exécutions extrajudiciaires.
En Thaïlande, en avril 2014, Billy Rakchongcharoen, leader de la communauté autochtone Karen dans un village près du parc national de Kaeng Krachan a disparu après avoir été détenu par les autorités du parc, alors qu’il devait se réunir avec des villageois luttant contre les expulsions forcées des terres ancestrales au nom de la « conservation ».
- Manifestation en soutien à Juan Carlos Flores et d’autres défenseurs des droits à la terre au Mexique -
Au total, ce sont plus de 43 défenseurs des droits à la terre qui ont été assassinés entre 2011 et 2014, et 123 harcelés juridiquement et parfois détenus arbitrairement, sans compter les personnes qui se sont vues intimidées, injuriées, menacées, attaquées physiquement ou surveillées.
Ces chiffres sont ceux portés à la connaissance de l’Observatoire, et de fait ne reflètent qu’une infime partie de la réalité des exactions subies par ceux qui osent élever la voix contre les avatars d’un néolibéralisme débridé, soutenu de concert par les intérêts étatiques et privés. Si ce phénomène est actuellement répandu sur les cinq continents, l’Asie et l’Amérique latine semblent les plus touchés.
95 % des exactions impunies
Membres de communautés autochtones et rurales, paysans, éleveurs, leaders syndicaux, journalistes, avocats, ONG, tous sont qualifiés de « défenseurs des droits à la terre » au regard du droit international des droits de l’homme - et donc tombent sous sa protection - dès lors qu’ils se mobilisent de manière pacifique pour la défense de la terre et des ressources naturelles, ainsi que pour les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels qui y sont corrélés.
Aux menaces et persécutions, perpétrées le plus souvent par police et forces armées, agents de sécurité privée des entreprises, et hommes de main contractés « pour l’occasion », s’ajoutent des accusations abusives. Il n’est pas rare que, pour avoir organisé la protestation, les défenseurs des droits à la terre soient traités de « terroristes », ou arrêtés et condamnés pour « troubles à l’ordre public », « propagande mensongère » ou « atteinte à la sécurité de l’Etat ».
L’Observatoire a relevé que plus de 95 % des exactions commises à l’encontre des défenseurs restent impunies. En cause, le manque d’indépendance, d’expertise et de moyens des organes judiciaires nationaux, mais aussi la forte collusion entre acteurs publics et privés qui imprègne de nombreuses transactions foncières.
Un contexte de pression foncière accrue
À partir d’une enquête extensive et minutieuse, le rapport montre comment ce phénomène de criminalisation et harcèlement systématique s’inscrit en conséquence directe de l’intensification de la pression foncière à l’échelle globale.
Depuis 2007, la pression relative à l’acquisition des terres en vue de la réalisation d’activités spéculatives ou économiques s’est fortement accrue. Les transactions foncières à grande échelle se sont multipliées, entraînant l’expropriation, l’expulsion et le déplacement forcé de milliers de personnes. À cela s’ajoutent la pollution des sols et des eaux, la restriction de l’accès aux ressources naturelles, et la mise en danger des moyens de subsistance, de la culture, ou de la santé.
- Forêt primaire de Prey Lang détruite par les concessions foncières et l’exploitation illégale, Cambodge -
Cette « ruée sur les terres » s’explique en grande partie par les stratégies étatiques et privées actuelles, visant à acquérir des terres arables dans un contexte de croissance démographique et d’augmentation de la consommation combiné à l’érosion et l’appauvrissement de certains sols. Entre 45 et 65 millions d’hectares seraient concernés par ce phénomène aujourd’hui.
Les projets de l’industrie agro-alimentaire dont la demande accrue est liée à la flambée des prix des denrées alimentaires, elle-même liée en partie à l’intérêt croissant pour les biocarburants, englobent les deux-tiers des grandes transactions foncières.
Le reste de la demande mondiale de terres concerne principalement l’activité des industries extractives minières, pétrolières et forestières, la constitution d’aires protégées à des fins de conservation, la construction d’infrastructures et la mise en œuvre de projets touristiques et urbanistiques. Sans perdre de vue que certaines transactions sont exclusivement menées à des fins spéculatives.
L’urgence d’agir
Lorsque les recours et moyens de protection nationaux sont inopérants, les activistes peuvent se tourner vers différents mécanismes régionaux et internationaux qui leur assurent, de manière toutefois limitée, prévention, protection et réparation pour les violations subies. Malgré cela, la route est encore longue pour parvenir au plein respect de leurs droits, de leur intégrité et de la reconnaissance de la légitimité de leurs combats.
Par un coup de projecteur sur un phénomène d’ampleur mondiale, le rapport cherche à mettre les entreprises nationales et multinationales, les Etats, les organisations intergouvernementales, et les bailleurs devant leurs responsabilités. L’Observatoire souligne en outre l’urgence de codifier un droit à la terre dans le droit international des droits humains qui en est pour l’heure actuelle absent (à l’exception des droits territoriaux des peuples autochtones).
Il appelle également au renforcement et l’application effective des obligations extraterritoriales des pays d’origine des investissements, et réaffirme le besoin d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant relatif aux entreprises et droits humains.
- Máxima Acuña de Chaupe et la Lagune Bleue, Pérou -
« Nous n’avons pas peur ! »
« Nous n’avons pas peur » affirment la plupart des défenseurs interrogés, malgré les menaces de mort et la violence quotidienne qui pèsent sur eux. C’est par ce cri commun, et le poing levé, qu’il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire d’échanger sur les meilleures pratiques et stratégies, à la fois locales, nationales et internationales.
Afin de se dresser et stopper les acquisitions de terre illimitées et néfastes, et plus largement remettre en cause le paradigme développementaliste actuel et destructeur. Afin de faire taire les pelleteuses qui foulent la terre et arrachent aux personnes et communautés concernées vie, âme et droits, sans consultation ni consentement.
Afin de faire cesser les violences et la criminalisation de ceux qui se battent quotidiennement pour la protection de la terre, des ressources naturelles, de l’environnement et des droits attenants au nom de tous.
Voir le rapport « We are not afraid » de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme.
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (OBS) a été créé par laFIDH en 1997, en partenariat avec l’OMCT.
Source et photos : Isabelle Kawka pour Reporterre
Isabelle Kawka a participé à la rédaction du rapport. Intéressée par la notion de « buen vivir », elle a travaillé en Amérique latine sur les conflits entre entreprises et peuples autochtones.
Crédits photos :
. Chapô : Villageois birmans manifestant contre le projet d’exploitation d’une mine de cuivre (CréditREUTERS/Soe Zeya Tun)
. Mexique Manifestation : Crédit Agence EsImagen
. Cambodge : Crédit ADHOC
. Pérou : Crédit Alexander Luna/ Proyecto Guardianes
. Chapô : Villageois birmans manifestant contre le projet d’exploitation d’une mine de cuivre (CréditREUTERS/Soe Zeya Tun)
. Mexique Manifestation : Crédit Agence EsImagen
. Cambodge : Crédit ADHOC
. Pérou : Crédit Alexander Luna/ Proyecto Guardianes
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