mardi 15 décembre 2015

CRÉONS LA DÉMOCRATIE !

Ces élections régionales ont démontré une nouvelle fois que la démocratie représentative en France est à bout de souffle. Malgré un regain de participation au second tour pour « faire barrage au Front national », les scores ne sont pas flamboyants. La peste brune a permis un tour de force extraordinaire : faire passer à la trappe ce pour quoi on vote (les programmes politiques) et créer des alliances incongrues avec une gauche écolo-radicale qui a rallié sans problème le gauche libérale du PS. Pendant ce temps, les citoyens qui n’attendent plus rien de leurs élus, fabriquent leur laboratoire démocratique.
Dessin-VoteQuelle prouesse pour ces élections régionales ! Alors que la majorité des électeurs ont voté pour la droite et l’extrême droite (respectivement 33,87 % et 21,32 %), c’est le PS (44,81 %) qui va diriger la région Languedoc-Roussillon-Midi Pyrénées. L’honneur est sauf, les postes sont certainement déjà répartis, merci à vous et à la prochaine élection. Pleins phares donc sur 2017 pour la présidentielle où, à n’en pas douter, on nous sortira à nouveau les arguments culpabilisants envers les abstentionnistes et les alliances à gogo contre toute forme de cohérence politique. « C’est pour lutter contre le Front national, ma bonne dame ! », clameront en chœur des candidats pour certain-e-s cumulard-e-s. Heureusement que le FN existe, sans lui beaucoup de candidats n’auraient rien d’autre à nous dire que leurs sempiternelles barrage à l’extrême droite. Personne n’est plus dupe de ce jeu de dupes. La vitalité démocratique n’est pas à chercher du côté des institutions.

Vive la contre-société !

« Une contre-société se développe de plus en plus avec des quantités de choses : des solidarités, des trocs, du covoiturage, des survies pas si mal. Et donc on a l’impression, et c’est peut-être une source d’espoir, que petit à petit l’État officiel va se dessécher, se rapetisser et que la contre-société va devenir la vraie société. Et que les autres vont être ridicules. Vous avez des parlements où des clowns s’agiteront, un exécutif où des fantômes parleront encore mais le vrai de la société se passera ailleurs », analyse Monique Chemillier-Gendreau, juriste international, professeur émérite de droit (Paris Diderot), (extrait du film « Même pas peur ! »).
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Plus que jamais, la démocratie est à re-questionner à l’aune des résultats électoraux et des pratiques politiciennes en cours dans cette République qui n’est plus que l’ombre de ses valeurs de « liberté, égalité, fraternité »Ici où là fleurissent des initiatives véritablement citoyennes qui s’exercent en dehors des partis politiques, ces organisations vestiges du passé démocratiqueAlternatiba l’a déjà démontré à Montpellier en organisant un événement en septembre dernier rassemblant 10 000 personnes. Pendant la COP21, alors qu’élus et partis politiques locaux ont été complètement inaudibles en terme de proposition concrète, les citoyens se prenaient en main pour faire savoir ce qu’ils pensaient de la conduite du monde en matière climatique. Ainsi, pendant une semaine, ils ont enchaîné les initiatives subversives comme l’occupation de la devanture d’une agence EDF. Pour dénoncer le greenwashing de l’entreprise, ces militants des temps modernes ont nettoyé la vitrine du fournisseur historique d’électricité, (reportage radio à écouter ici).

La criminalisation du citoyen

Il est vrai que ces temps-ci, le citoyen n’est bon qu’à être un argument politique pour candidats politiques en manque de légitimité. Ces dernières élections régionales l’ont parfaitement démontré comme nous l’avons révélé ici. Avec l’état d’urgence, affront qui met gravement en danger nos libertés, on voit la militarisation de la police qui devient une véritable armée contre le peuple. Et les terroristes ne sont pas la cible des perquisitions administratives. thumb_IMG_8235_1024Ainsi, « il y a eu 2 575 perquisitions administratives depuis le 14 novembre qui ont donné lieu à 311 interpellations, 273 gardes à vue, 453 procédures judiciaires, la saisie de 403 armes dont 39 armes de guerre et 202 découvertes de produits stupéfiants », expliquait Manuel Valls sur France Interle 11 décembre dernier.
Dans le même temps, l’État se fait de plus en plus répressif envers celles et ceux qui ont le malheur d’organiser une résistance à l’ordre établi. Certains militants de la COP21 se sont retrouvés assignés à résidence afin de les empêcher d’agir (à lire ici). Et le gouvernement veut aller beaucoup plus loin en proposant l’internement des fichés « S ». La fiche S définit une « atteinte à la sûreté de l’État ». Avec cette dérive autoritaire, il est clair que l’espace public se réduit à la portion congrue. Une volonté claire qui a déjà été affichée en Espagne contre le mouvement du 15—M des indignés. En 2012, un an après l’occupation des places publiques et alors que les citoyens voulaient fêter les un an de l’événement, « les autorités ont réformé le Code Pénal, de manière à pouvoir qualifier une quelconque résistance ou action passive d’attitude agressive », explique Gabriela Berti, docteure en philosophie (« Ils ne nous représentent pas ! » – Cairn.info, 2012). Le parlement espagnol a même ratifié une loi condamnant la résistance pacifique ou encore le fait de convoquer à une manifestation« Toutes ces actions se présentent sous un voile de légitimité, de légalité, d’objectivité et d’impartialité, en attaquant toute possibilité d’opposition ou de construction de nouvelles sphères politiques au sein de la société », écrit Berti. « De cette manière, le système du pouvoir politique régnant rejette et dénigre toute action de résistance politique populaire dans le but de protéger sa supposée justice inattaquable et soutenue par un monopole bipartite qui accapare le discours sur le politique. »

Nouvelles pratiques de la citoyenneté

Le mouvement du 15—M n’a pas été exemplaire que par sa durée (28 jours de campements dans toute l’Espagne), il l’a été surtout par le foisonnement de nouvelles pratiques qui ont vu le jour : « Les assemblées générales se sont transformées en noyaux, en réunions hebdomadaires dans les quartiers et les villages, en assemblées thématiques (éducation, économie, politique, santé, culture, etc.) dans lesquelles des groupes pensaient et cherchaient des solutions, des idées, des formes collectives d’intervention et de prises de décision, pour une population de plus en plus pauvre sous la chape d’une politique officielle de coupes budgétaires et d’austérité. » Ainsi, « les multitudes ne se sont thumb_IMG_7238_1024pas conformées à un « ça pourrait être pire » que proclame le gouvernement, et elles se sont unies autour de nouvelles expériences d’actions politiques communautaires ». De là ont émergé, « des initiatives de documentation audiovisuelle et papier ; une maison d’édition et une bibliothèque de journaux, des journaux et des radios, plusieurs dizaines de publications ; une banque du temps pour échanger des services entre voisins sans argent, des réseaux d’entre-aide pour recueillir les excédents des commerces et les répartir ; des potagers écologiques communautaires, des coopératives de travail et de prêt ; des espaces d’échanges d’objets, etc. »
Les terrains de lutte se sont démultipliés : en soutien aux immigrés sans-papiers, aux chômeurs, aux délogés de leur logement en raison d’hypothèques, etc. Pour Gabriela Berti, « ce qui est réellement important dans le mouvement du 15-M est comment il a permis le développement d’un réseau de pratiques collaboratives, de synergies coopératives et d’actualisations transversales. » Les propositions politiques représentatives ont laissé la place à une réelle transformation sociale par la mise en place d’actions concrètes qui changent la vie au coin de la rue. Le système politique officiel a été complètement perturbé par cette façon de faire, n’y voyant certainement que des hippies chargés d’utopie. « C’est précisément l’abandon de la représentation qui a été taxée par les détracteurs du 15-M comme la principale fragilité du mouvement, un manque de définition qui les empêchent de le recadrer à l’intérieur de leurs idéaux politiques traditionnels conforme aux canons du néolibéralisme. » Berti touche au point d’achoppement qui sépare les partis politiques du reste de la population : « pour un cadre d’interprétation de la politique digne du siècle passé, il ne peut exister un mouvement social sans un centre unificateur d’organisation et d’action, sans un corps fort et central, sans un leader (dans la mesure du possible masculin). »

La multitude s’organise

Un écart se creuse donc entre les élites politiques et leurs « administrés. Les citoyens recréent des espaces plus sains démocratiquement où le débat n’est pas verrouillé mais laisse libre court à la conscience collective : « C’est dans l’espace de la participation que chaque personne rend possible l’égalité (sociale et politique) en déployant le corps de la multitude que le système veut désagréger, séparer, classifier et dégrader encore et encore. » L’innovation sociale est au cœur de ces nouvelles initiatives qui restent dans la ligne droite des Indignés. Gabriela Berti conclut
LOS DOS ULTIMOS DIAS DE LA ACAMPADA DEL MOVIMIENTO 15M POR UNA DEMOCRACIA REAL, EN LA PUERTA DEL SOL DE  MADRID, ESPAÑA, EL SABADO 11 Y DOMINGO 12 DE JUNIO 2011 - Laura Surroca
MOVIMIENTO 15M – PUERTA DEL SOL DE MADRID, ESPAÑA, 11/06/2011 – Laura Surroca
ainsi son propos : « C’est un moment de transformations, d’innovations, de nouveaux processus constituants et il reste encore un long chemin à expérimenter pour que le soleil chauffe à nouveau le corps des multitudes. C’est peut-être le moment de faire comme Diogène de Sinope, et quand les politiciens tenteront de se rapprocher à nouveau du peuple pour lui demander son soutien pour s’ériger une nouvelle fois comme ses représentants, de leur répondre : « Ne me fais pas d’ombre et écarte-toi du soleil. » ! »


Face aux trop nombreux renoncements de « la gauche », beaucoup se retrouvent en déshérence militante après les désillusions subies par ces tueurs d’espoir. Alors, que faire ? où aller ? comment s’organiser ? Autant de questions qui sonnent comme un défi. Dans ce vieux monde démocratique, tout est à reconstruire autrement et avec une réelle volonté d’égalité entre toutes et tous. Dans la morosité ambiante qui joue sur nos peurs et nos différences, place à l’optimisme démocratique et au débat d’idées !

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