Médiapart - 26 MAI 2014
PAR AMÉLIE POINSSOT
PAR AMÉLIE POINSSOT
C'est une victoire historique
pour la gauche radicale grecque, qui arrive en tête du scrutin
européen et arrache au PASOK la première région du pays. Si
Alexis Tsipras n'a pas réussi à fédérer au niveau européen, il
peut se satisfaire d'avoir réussi en Grèce où il se prépare
déjà pour les prochaines élections.
C'est une victoire historique. Pour la première fois
dimanche soir, la gauche radicale est arrivée en tête d'un
scrutin en Grèce. Avec 26,57 %
des voix après le dépouillement de la quasi-totalité des
bulletins de vote, le Syriza devance, largement, les deux
partis qui gouvernaient le pays en alternance depuis la chute
des Colonels, en 1974 – et tous deux ensemble sous la forme
d'une coalition depuis fin 2011 : la droite conservatrice de
Nouvelle Démocratie est près de quatre points derrière, à
22,72 %, tandis que les socialistes du PASOK sont relégués à la
quatrième place, après les néonazis d'Aube Dorée.
Le Syriza a donc confirmé son score des élections
législatives anticipées de 2012, lorsqu'il avait effectué sa
percée spectaculaire, obtenant déjà près de 27 % des voix et 71
sièges à la Vouli, le parlement grec. Mais, à la différence de
2012 où il était arrivé deuxième, laissant Nouvelle Démocratie
bénéficier de la prime à la majorité qui octroie en Grèce un
bonus de 50 députés au parlement, il creuse cette fois-ci
l'écart, et crée une nouvelle fois la surprise, tant les
enquêtes d'opinion, tout au long de la campagne, avaient donné
la droite conservatrice et la gauche radicale au coude à coude
sans anticiper une victoire aussi nette du parti d'Alexis
Tsipras. C'est donc à un complet renversement des forces
politiques grecques au parlement européen que l'on assiste : en
2009, le PASOK et Nouvelle Démocratie comptaient chacun 8 sièges
d'eurodéputés et cumulaient à eux deux 69 % des voix (contre
moins de la moitié ce dimanche) et le Syriza n'avait récolté que
4,7 % des voix et un siège d'eurodéputé – contre six sièges
cette fois-ci, selon les projections. Ce scrutin européen
conforte donc l'installation durable de Syriza dans le paysage
politique grec au niveau national, sur fond de désaveu massif
des politiques d'austérité mises en œuvre dans le pays depuis
quatre ans.
Mais il atteste aussi de l'ancrage de Syriza au niveau
local, alors qu'il y était traditionnellement moins implanté que
le PASOK ou le KKE, le parti communiste grec : dimanche, les
Grecs votaient également pour le second tour des régionales et
des municipales, et Rena Dourou, la candidate du Syriza à la
région de l'Attique, la région d'Athènes qui concentre près de
la moitié de la population du pays, a été élue tandis que le
candidat du Syriza à la mairie d'Athènes, Gabriel Sakellaridis,
un illustre inconnu avant la campagne, obtenait un score tout à
fait honorable face au maire sortant Yorgos Kaminis, une
personnalité pourtant relativement consensuelle, sans étiquette
politique (48,59 %). Ces deux poussées dans la métropole
athénienne et sa région mettent en évidence le travail de
terrain considérable mené par le Syriza depuis deux ans, à
travers notamment son soutien aux assemblées de quartier et à
tout un réseau de mouvements d'entraide, « Solidarité pour
tous » – des initiatives nées dans la foulée du mouvement des
Indignés qui avait éclos en Grèce un an plus tôt, et sur les
décombres d'une politique d'austérité dévastatrice depuis 2010.
Cette victoire de Syriza, c'est donc un message très clair
de rejet des mémorandums d'austérité mis en œuvre dans le pays
ces quatre dernières années, qui ont vu le PIB s'effondrer d'un
quart et le taux de chômage exploser à 27 %. Mais c'est aussi un
message d'adhésion aux propositions d'une gauche qui a construit
tout son programme sur l'idée qu'une autre politique est
possible. Le parti d'Alexis Tsipras demande ainsi le retrait de
toutes les mesures d'austérité entérinées depuis 2010, et
notamment le rétablissement du salaire minimum à son niveau
initial, ainsi qu'une renégociation de la dette grecque alors
que la majorité des économistes de tous bords s'accordent à dire
aujourd'hui que la dette publique du pays, actuellement autour
de 175 % du PIB, est insoutenable. Figure ainsi dans le
programme de Syriza la convocation d'une conférence
internationale, à l'image de celle de Londres en 1953 qui avait
conduit à l'effacement d'une grande partie de la dette
allemande. Sous vouloir quitter l'Union européenne ni la zone
euro, le Syriza a par ailleurs affiné depuis deux ans ses
positions : pour des institutions européennes plus
démocratiques, pour une Europe sociale, pour le maintien dans la
zone euro mais pas à n'importe quel prix.
Si sa
campagne avait démarré timidement, avec quelques couacs sur la
composition des listes, le Syriza avait fini par former une
liste européenne inédite, avec de nombreuses personnalités
issues de la société civile, des intellectuels et des militants
associatifs, dont un certain nombre de personnes engagées de
longue date dans la défense des droits des migrants. Y figurait
notamment Konstantina Kouneva, une femme de ménage syndicaliste
bulgare qui avait été victime, en 2008, d'une attaque à l'acide
et qui depuis était devenue l'icône de l'exploitation des
immigrés en Grèce. Selon les projections dont on disposait
lundi matin, cette femme fait partie des six élus de Syriza à
entrer au parlement de Strasbourg. À ses côtés, on retrouve
une figure de la résistance grecque, Manolis Glezos, revenu à
la politique dans le sillage du mouvement des Indignés en 2011
et élu sur les bancs de l'assemblée sous l'étiquette de Syriza
en juin 2012, devant alors le doyen de la Vouli. Est également
élue Sofia Sakorafa, ancienne transfuge du PASOK, la première
à avoir quitté le parti socialiste grec dès la signature du
premier mémorandum d'austérité, quand Yorgos Papandréou, alors
premier ministre, disposait encore d'une confortable majorité.
Les autres élus sont un homme de l'appareil, Dimitris
Papadimoulis, et deux professeurs de droit, Konstantinos
Chrysogonos, et Yorgos Katrougkalos.
Elections législatives anticipées
Alexis Tsipras peut se targuer d'avoir réussi sa campagne
électorale, remplie de meetings tant en Grèce qu'en Europe, où
il portait la voix du PGE, le Parti de la gauche européenne qui
l'avait désigné en décembre comme son candidat à la Commission
européenne. Cette candidature, qui lui a conféré en Grèce une
stature internationale, a nettement joué en sa faveur. Pour
autant, au niveau européen, les scores de dimanche n'attestent
pas de l'« effet Tsipras » escompté. Certes, la coalition « L'autre Europe avec Tsipras » en Italie parvient à
placer 3 eurodéputés et semble amorcer la reconstruction d'une
gauche alternative, mais le poids de cette formation reste
extrêmement faible au regard des 74 eurodéputés que compte
l'Italie. Die Linke en Allemagne ne fait que 7,40 % … tandis
qu'en France, le Front de gauche ne fait que 6,34 %. La figure
de Tsipras semble encore lointaine pour nombre d'électeurs
européens et le leader grec a vraisemblablement manqué d'une
équipe dédiée à sa campagne européenne. Ce sont en définitive
les forces qui siègent également sur les bancs de la GUE (Gauche
unitaire européenne) sans toutefois faire partie du PGE, qui
connaissaient dimanche soir une progression, à l'image du PCP,
le parti communiste du Portugal.
À Athènes, le quadragénaire à la tête de cette gauche de
la gauche avait de quoi se réjouir dimanche soir. « Malgré sa
propagande manifeste axée sur la peur, le gouvernement Samaras
et la politique des mémorandums d'austérité a été condamnée de
manière évidente. Et pour la première fois dans
l'histoire de notre pays, la gauche a été désignée première
force politique et ce, avec un écart important. Et pour la
première fois, nous avons un grand renversement dans la plus
grande région du pays », a déclaré
le président de Syriza depuis
le siège de son parti. Tout sourires devant les caméras, il a
tenu à féliciter les électeurs : « Nous nous
réjouissons de ce grand pas qu'a fait une partie importante de
la population qui a bravé les chantages de dernière minute à
l'intérieur et à l'extérieur du pays. » Puisque ce
résultat « démonte
toute apparence de légitimité du gouvernement et de sa
politique », la conclusion est évidente, pour Alexis
Tsipras : « Le
respect de la démocratie exige de faire appel à un nouveau
verdict populaire, le plus tôt possible, afin de restaurer la
normalité politique. C'est cela, le message des urnes. » Autrement
dit, des élections législatives anticipées : c'est-à-dire le
credo de Syriza depuis déjà l'été dernier, lorsque le
gouvernement Samaras avait entrepris, en quelques heures, de fermer l'audiovisuel public grec,
suscitant une vive protestation de la société grecque. Cette
fois-ci, le résultat des urnes a confirmé le large désaveu des
électeurs face à un gouvernement qui a continué de s'entêter
dans sa politique d'austérité, et ce n'est pas le saupoudrage de
quelques mesures d'accompagnement social pour les plus démunis,
cet hiver, qui a changé la donne.
Transposé à des élections législatives nationales, le
résultat de Syriza à ce scrutin européen lui donnerait 130
sièges à la Vouli... tandis que Nouvelle Démocratie n'en
obtiendrait que 69, ce qui renverserait complètement le rapport
de force actuel au parlement et provoquerait un changement de
gouvernement. Reste que pour détenir une majorité au parlement
grec, qui compte 300 députés, le Syriza devrait encore trouver
des alliances – une gageure quand on sait combien le dialogue
est rompu avec le très orthodoxe KKE et quand l'on constate
qu'un allié potentiel, Dimar (« Gauche démocratique »), pendant
un temps partenaire du PASOK au sein du gouvernement, a
définitivement entériné sa disparition de l'espace politique
dimanche soir. Dernier scénario, auquel Alexis Tsipras ne s'est
jamais formellement opposé : l'alliance avec la droite populiste
des « Grecs indépendants », une formation anti-austérité issue
en 2012 d'une scission avec Nouvelle Démocratie. Une telle
configuration serait toutefois difficile à faire passer auprès
de la base, tant l'alliance paraîtrait scabreuse et
contre-nature.
Pour
l'heure, le gouvernement se tient droit dans ses bottes et ne
semble pas vouloir entendre le message des électeurs grecs. « Avec son vote,
le peuple grec a envoyé un message au gouvernement, mais il
n'a pas réussi à provoquer le renversement que voulait le
Syriza ! », a déclaré le premier ministre Antonis
Samaras dimanche soir, martelant, comme pendant la campagne : « Le gouvernement
reste garant de la stabilité et de la trajectoire normale du
pays. » Les
deux principaux quotidiens lui ont emboîté le pas. « Victoire sans
renversement », titrent le quotidien conservateur Kathimerini et le pro-gouvernemental Ta Nea, réfutant,
d'emblée, le scénario d'élections législatives anticipées.
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