Source :
Reflets.info
Pendant que tout le monde s’énervait sur ACTA, et à raison, avec les
dérives multiples que cet accord pouvait générer, une petite association
française de conservation, vente et diffusion de semences paysannes,
Kokopelli, se battait en justice contre un semencier,
Baumaux © (14 millions de CA en 2011, 1,8 millions de résultat net).
La
Cour de justice de l’union européenne vient de rendre un deuxième
attendu qui donne raison au gros Baumaux contre le petit Kokopelli
: l’enregistrement de toutes les semences au catalogue officiel européen
des semences est donc quasiment incontournable, et ceux qui ne s’y
soumettent pas sont hors-la-loi. La petite association était attaquée
pour pratique de « concurrence déloyale » envers ce pauvre et énorme
Baumaux ©.
Etonnant, quand on sait qu’en janvier dernier, l’avocat général avait donné un premier verdict totalement contraire.
Mais en quoi cette affaire de semences paysannes (ou anciennes),
d’enregistrement dans un catalogue est importante ? La majorité des gens
s’en foutent de ces problèmes de paysans, hein ? Oui, et bien, ils ne
devraient pas, et vous allez comprendre pourquoi et comment les lobbies
aidés de la technocratie européenne se préoccupent…de l’esclavage de
notre agriculture et de notre alimentation.
Hybrides vs Anciennes
Pour bien comprendre le sujet il faut revenir sur la définition de ce
qu’est une semence en agriculture, et savoir deux ou trois choses sur
leur origine et leur commercialisation. Pour faire simple et court : il y
a les semences « normales », celles créées par la nature, utilisées par
l’homme et conservées par lui que l’on peut ré-utiliser chaque année.
Vous prenez une tomate, vous récupérez ses graines, l’année d’après vous
plantez les graines de votre tomate : ça pousse. Et puis il y a les
semences hybrides, les F1 (hybridation de première génération) le plus
souvent : inventées par les Américains au début du vingtième siècle, ce
sont les plus répandues. Le procédé est, en gros, le suivant : un
semencier prend deux variétés de maïs par exemple, avec des
caractéristiques les plus éloignées possibles ou différentes, les
croise. Mais pas une année seulement : sur 6 ou 7 ans. Au final, il a
créé une variété hybride avec des caractéristiques génétiques nouvelles
:meilleur rendement, taille identique des pieds, etc…
Ce procédé d’hybridation s’est répandu en Europe après la seconde
guerre mondiale : la pratique de l’agriculture intensive, mécanisée,
demandait d’avoir des plantations qui soient à la hauteur des
investissements engagés pour les faire pousser. La plante hybride a
donc de multiples avantages en termes de production au mètre carré, en
résistances etc, mais aussi des gros défauts : il lui faut le plus
souvent une quantité d’eau supérieure, d’engrais et surtout, elle est
stérile ou presque : re-semer à partir d’hybrides ne fonctionne pas la
plupart du temps, ou bien très mal : la dégénérescence causée par
l’hybridation empêche qu’elle se reproduise par elle même, ou bien
engendre une plante très faible. Il faut donc créer en permanence des
semences d’hybrides : un paysan n’a pas les moyens de le faire, et c’est
une industrie à plein temps qui s’en occupe : les semenciers. Tout ça a
fait que nous avons des stocks agricoles délirants, des champs géants,
des champs de plantes toutes identiques.
La biodiversité ne s’y retrouve pas vraiment, mais l’industrie
agro-alimentaire, si. C’est un choix de développement. Mais que s’est-il
passé pour les variétés autres que les hybrides, les semences
traditionnelles, paysannes ? Elles ont été conservées, tant bien que mal
par des petits paysans, des peuplades, des associations et par les
semenciers. Mais en quantités très limitées, depuis peu, chez les
semenciers.
Pourquoi un catalogue ?
Le premier catalogue de semences date des années 30. L’idée était
d’éviter que les appellations de semences ne soient un grand foutoir,
que les semences soient référencées, pour que tout le monde s’y
retrouve. L’Europe a fait de même. Mais en 1997, un nouveau catalogue a
été créé en France, pour les variétés potagères : les jardiniers du
dimanche sont alors directement concernés, mais aussi tous les petits
paysans qui n’utilisent pas les grosses semences F1 bien coriaces. Tout
ça est géré par le
GNIS
(groupement National Interprofessionnel des Semences et plants). Ses
membres, bien entendu, sont les acteurs majeurs de la filière, pas des
petits paysans. Et que dit ce catalogue, adossé au droit français ? Des
choses simples :
toute semence qui n’y est pas inscrite est
interdite à la vente, mais aussi à l’échange entre paysans. Le Ministère
de l’agriculture assimile cette pratique à des ventes dissimulées. Vous
avez bien lu : interdiction de l’échange. Si il y a le #datalove, il
est alors urgent de lancer le #seedlove. Parce que c’est bien une
censure pure et simple des pratiques ancestrales qui est interdite par
décret gouvernemental. Une Hadopi de la semence…
Revenons à Kokopelli, cette association de conservation, vente et
diffusion de semences. Elle conserve dans ses murs, à Alès (Gard), plus
de 3000 variétés paysannes. Vous y trouvez des tomates noires, oranges,
vertes, jaunes, des radis improbables, des haricots bizarres, des
fleurs, des variétés de légumes oubliés, que plus personne ne voit dans
aucun rayon de légumes, même le plus bio qui soit. L’association a des
producteurs dans le monde entier. Les milliers de membres de
l’association peuvent donc acheter n’importe quelle semence ensachée
dans les locaux de l’association, souvent par correspondance. Un gros
bouquin sort chaque année, rempli de photos, avec les variétés, les
conseils, etc… L’association participe à de nombreuses actions liées à
l’aide au tiers-monde,
l’autonomie alimentaire.
L’association monte des projets et donne (donc gratuitement) de
nombreuses semences aux petits paysans en Afrique, Asie, Amérique du
Sud.
L’association refuse d’inscrire ses variétés de semences dans le
catalogue officiel français ou européen. Et pour cause : le prix par
semences, vu le nombre de semences qu’elle possède ne lui permet pas de
le faire. Les conditions de stabilité, homogénéité des semences est
antinomique avec les semences qu’elle possède : l’association, d’un
point de vue « philosophique », ne peut pas faire entrer ses semences
dans le catalogue officiel.
La cour européenne de justice…des girouettes ?
L’avocat général de la Cour européenne de justice avait donc conclu le 19 janvier dernier la chose suivante :
L’interdiction prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la
directive 2002/55/CE du Conseil, du 13 juin 2002, concernant la
commercialisation des semences de légumes, de commercialiser des
semences d’une variété dont il n’est pas établi qu’elle est distincte,
stable et suffisamment homogène ni, le cas échéant, qu’elle possède une
valeur culturale ou d’utilisation suffisante est invalide
en ce qu’elle viole le principe de proportionnalité, la liberté
d’entreprise au sens de l’article 16 de la charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne, la libre circulation des
marchandises au sens de l’article 34 TFUE ainsi que le principe
d’égalité de traitement au sens de l’article 20 de ladite charte.
En clair : on n’interdit pas pas la commercialisation des semences de
légumes sous n’importe quel prétexte, et l’Europe a des valeurs qui s’y
opposent. Bien, super : on se disait qu’il y avait du bon quand même,
un peu dans cette Union pourtant si prompte à soutenir les
multinationales et enfoncer toutes les initiatives contraires à sa
vision du commerce flamboyant dans une concurrence libre et non faussée,
d’une
finance à qui l’on offre des réseaux anonymes
pour qu’ils puissent plus facilement spéculer. Mais non, ce n’était
qu’un éclair de lucidité, en fin de compte, puisque la Cour européenne
de justice a préféré revenir à la charge. Extrait du jugement pour mieux
comprendre l’affaire :
Par un jugement du 14 janvier 2008, le tribunal de grande
instance de Nancy a condamné Kokopelli au paiement de dommages et
intérêts à Baumaux pour concurrence déloyale. Cette juridiction a
constaté que Kokopelli et Baumaux intervenaient dans le secteur des
graines anciennes ou de collection, qu’elles commercialisaient des
produits identiques ou similaires pour 233 d’entre eux et qu’elles
s’adressaient à la même clientèle de jardiniers amateurs et étaient donc
en situation de concurrence. Il a, dès lors, considéré que Kokopelli se
livrait à des actes de concurrence déloyale en mettant en vente des
graines de semences potagères ne figurant ni sur le catalogue français
ni sur le catalogue commun des variétés des espèces de légumes.
Kokopelli a fait appel de ce jugement devant la cour d’appel de Nancy.
C’est dans ces conditions que la cour d’appel de Nancy a décidé de
surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle
suivante:
«[L]es directives 98/95/CE, 2002/53/CE et 2002/55/CE du Conseil et
2009/145 de la Commission sont-elles valides au regard des droits et
principes fondamentaux suivants de l’Union européenne, à savoir, ceux du
libre exercice de l’activité économique, de proportionnalité, d’égalité
ou de non-discrimination, de libre circulation des marchandises, et au
regard des engagements pris aux termes du [Tirpaa], notamment en ce
qu’elles imposent des contraintes de production et de commercialisation
aux semences et plants anciens?»
La réponse positive en janvier à l’égard de l’association, est aujourd’hui inverse :
Kokopelli fait valoir qu’elle se trouve dans
l’impossibilité de commercialiser les semences des variétés de légumes
«anciennes» étant donné que, eu égard à leurs caractéristiques propres,
celles-ci ne peuvent remplir les critères de distinction, de stabilité
et d’homogénéité, et sont ainsi exclues des catalogues officiels de
manière non justifiée.
Afin d’assurer une productivité accrue desdites cultures,
l’établissement, dans le cadre de règles unifiées et aussi rigoureuses
que possible en ce qui concerne le choix des variétés admises à la
commercialisation, d’un catalogue commun des variétés des espèces de légumes sur la base de catalogues nationaux apparaît de nature à garantir ledit objectif.
En effet, un tel régime d’admission, qui exige que les semences des
variétés de légumes soient distinctes, stables et homogènes, permet
l’utilisation de semences appropriées et, par conséquent, une productivité accrue de l’agriculture, fondée sur la fiabilité des caractéristiques desdites semences.
Et oui, l’Europe se préoccupe de productivité accrue en matière de
semences. Et le catalogue officiel veut des semences stables et
homogènes. Les semences anciennes de Kokopelli ne le sont pas, d’après
le catalogue. Et la Cour de justice. Exit, donc, les semences anciennes.
Exit leur commercialisation, leur échange paysan. CQFD.
Et ça continue :
Dans ce contexte, force est de constater que le
législateur de l’Union a pu considérer que le régime d’admission prévu
par la directive 2002/55 était nécessaire afin que les producteurs agricoles obtiennent une productivité fiable et de qualité en termes de rendement.
Le rendement coco, le rendement…
Par conséquent, l’obligation d’inscription aux catalogues
officiels ainsi que les critères d’admission y afférents permettent la
description de la variété et la vérification de la stabilité et de
l’homogénéité de celle-ci, afin de garantir que les semences d’une
variété possèdent les qualités nécessaires pour assurer une production agricole élevée, de qualité, fiable et soutenue dans le temps.
production agricole élevée : quant à la qualité, avec les hybrides,
on cherche un peu, mais ces attendus de la Cour ne sont qu’une ode aux
semence hybrides déclarées seules efficaces, stables, fiables contre les
semences…naturelles, produites par la nature, sans l’aide de l’homme.
On rejette les variétés naturelles pour mettre en avant les semences
modifiées et créées par l’homme. Très étonnant, non ? Au final, ce
dernier arrêté prend bel et bien le contrepied complet avec le premier
jugement de janvier.
Conclusion provisoire
Le procès de Baumaux© contre Kokopelli et le dernier arrêté de la
Cour européenne de justice est symptomatique d’un moment particulier de
l’histoire humaine : la biodiversité est en danger (pollution,
agriculture industrielle), les plantes brevetées (de la classe des
Organisme Génétiquement Modifiés, OGM) sont poussées de partout sur la
planète par des multinationales avides de s’emparer d’une clientèle
nombreuse et à sa botte : les agriculteurs. Les semences sont un enjeu
planétaire, l’un des derniers marchés captif et prometteur.
La Cour de justice n’a pas parlé dans ses attendus sur les semences
stables, fiables à la production agricole élevée, des semences au
catalogue officiel enrobées des pesticides Cruiser, Gaucho et autres
Régent : peut-être parce qu’empoisonner les consommateurs n’est pas très
important du moment que les directives sur le libre exercice de
l’activité économique sont bien suivies ? Pour conclure,
un
petit appel à aller voir comment Baumaux© fonctionne sur Internet, et
comment il est prêt à faire couler une petite association en utilisant
les plus basses méthodes pour s’accaparer de noms sur Google et gagner des « parts de marchés » sur les semences anciennes…
BAUMAUX© annonce un choix stupéfiant des variétés anciennes…
Notre important choix de variétés se compose de :
- La quasi-totalité des variétés courantes et connues utilisées depuis des dizaines d’années par les amateurs.
- Concernant les anciennes variétés potagères et afin de proposer
d’authentiques variétés connues et reconnues, GRAINES BAUMAUX a fait
l’effort d’inscrire et d’être le mainteneur officiel des 106 variétés suivantes
La quasi-totalité des variétés courantes et connues ? La petite association Kokopelli, elle, en a plus de 3000 en stock. On se moque de qui ici ?