jeudi 28 mars 2013

Réforme bancaire, beaucoup de bruit pour presque rien ?

Hollande l’avait promis, il allait protéger les salariés, les petits épargnants qui déposent en banque leurs avoirs et leurs petites économies et donc, séparer les activités dites d’investissement de celles de dépôt. Cela devait mettre un frein à la spéculation puisque, allègrement, les banques se servent de l’argent des déposants à des fins lucratives à leurs dépens.

C’était là aller dans un sens plus radical que les ratios dits de Bâle II et Bâle III, tentant d’imposer aux banques, dans la durée, une réserve en caisse équivalent à 8% de l’ensemble des sommes circulant dans les banques. Et la panique aidant, ce n’était guère rassurant, pour les banques, si tous les «petits clients» retiraient l’ensemble de l’argent leur appartenant ! On n’était plus avant la crise où les banques françaises en 2007 avaient accumulé un gain de 48 milliards d’euros permettant de distribuer des bonus extravagants et autres revenus mirobolants à 9 000 traders et dirigeants français.

Les années fortes évanouies, il fallait aussi entendre la défiance, voire rassurer l’angoisse des déposants.

De la promesse aux discours abscons

A défaut de vouloir socialiser les banques et, au surplus, à prétendre se montrer le bon élève de l’affairiste Union Européenne, Hollande dut en rabattre pour autant qu’il ait sincèrement pensé que la réforme n’était pas une manière d’appâter l’électeur de gauche.

Quand l’heure de l’action fut venue, les socio-libéraux se convainquirent qu’il fallait, par réalisme, faire preuve d’une «extraordinaire indulgence» (1) vis-à-vis du secteur bancaire. D’abord parce que celui-ci était ENORME, près de 4 fois le Produit Intérieur Brut ! Ensuite, parce qu’il était destiné à assurer de la liquidité à l’économie, même s’il ne lui octroyait sous forme de prêts que 10% de leur bilan (2), plus des ¾ relevant des «opérations de marché» lucratives. Liquidités ? Qu’est-ce à dire ? C’est la circulation du capital en quête de rentes, sous forme d’achats et de ventes d’actions. Fallait-il donc protéger les actionnaires propriétaires de parts d’entreprises, vendant leurs parts, en achetant d’autres en fonction de l’anticipation de gains mesurés en rendement actionnarial à deux chiffres ? Nos doctes gouvernants n’employèrent guère ces termes révélateurs. Ils préférèrent recourir à la notion absconse de teneur du marché, bref à défaut d’être con, il fallait comprendre que pour les actionnaires le marché devait bien se tenir afin de leur assurer le gonflement de leurs rentes. Alors, avec toute l’emphase de circonstance, Moscovici et Berger présentèrent leur solution trompe-l’œil : la loi allait imposer la filialisation des banques. 

La réforme ou comment «fouetter les banquiers avec un plumeau» (1)

Par la filialisation, il s’agissait, en apparence de «ranger» les activités spéculatives dans des filiales séparées, les dépôts des épargnants s’en trouvant ainsi sécurisés. Mais pas toutes… loin de là ! Il fallait être raisonnable : les hedge funds qui détiennent 20% des actifs financiers des banques, fallait pas y toucher ! Trop gros pour faire faillite. Or ces «banques de l’ombre» étaient bien celles-là mêmes  d’où était venue la «vérole spéculative» (1). Pour ne prendre qu’un exemple, BNP Paribas avait dû, lors de l’été 2007, fermer trois de ses hedge funds et en subir les pertes. Ainsi, les banques si peu allégées de leurs activités spéculatives devaient-elles encore et toujours disposer de la garantie de l’Etat pour, en cas de faillite, pouvoir les renflouer ? Et bien, oui ! Mais pas encore suffisant !

La holding chapeautant les banques et leurs filiales serait autorisée à intervenir pour sauver leurs filiales si, par quelques déconvenues dramatiques (dire «état de détresse» en langage socialo) elles faisaient faillite. Pour ce cas de figure, dit «hautement improbable», le projet de loi Mosco-Berger se veut rassurant. Cette holding ne pourrait utiliser «ses» fonds qu’à hauteur de 10 à 25% de «ses» actifs financiers, enfin, ceux des déposants. Eh ! 10% des actifs de BNP Paribas, c’est 7.5 milliards d’euros, 25%, 18.75 milliards ! Enorme ! De quoi accélérer la panique et, catastrophe oblige, de faire jouer la garantie de l’Etat ! Qu’à cela ne tienne, puisque les Français n’y verront que du feu ! Telle est la nature de l’entourloupe hollandiste

Quant à ceux, méfiants, qui y verraient anguille sous roche, une affirmation accolée à de la langue de bois saurait faire l’affaire : les transactions seront sécurisées par voie de «collétarisation» ou par «un dépôt de gage d’actifs d’une valeur équivalente». Du brouillard sémantique pour ne pas dire nettement ce qui se pratique déjà, à savoir que si vous ne remboursez pas votre prêt arrivant à échéance, vos biens, meubles et immeubles sont saisis à hauteur de votre créance, augmentée des intérêts de retard ! Il en est de même pour les banques et mêmes les Etats qui, endettés, vendent par privatisation le Bien public !

Les coups de fouet indolores

Filialisation, garantie de l’Etat, sécurisation, collétarisation… Le patron de la Société Générale a fait ses comptes et vendu la mèche : la réforme ne concernera que 1.5 % de ses activités. Quant aux «économistes atterrés» (3), leurs estimations globales font apparaître que les banques ne seront affectées… que sur 0.75 à 2% de leurs activités.

On en conviendra, cette rouerie qui se veut talentueuse n’abusera, en définitive, que les croyants intéressés par la prétendue vertu hollandiste. Et si par mégarde, un crack survenait, les pontifes s’en laveraient les mains. Les textes de notre sacro-sainte République ont tout prévu pour les déresponsabiliser. Deux grands argentiers sont seuls  habilités à nous faire les poches : le gouverneur de la Banque de France et le directeur général du Trésor, seuls, peuvent piocher dans le fonds de garantie des dépôts français pour sauver une banque ou un hedge fund. Et les Ponce Pilate s’en laveront les mains.

Somme toute, les banquiers rassurés peuvent continuer à pérorer. Assis sur le tas d’or des dépôts et de l’argent public dont ils continueront de disposer à leur gré, ils savent que même avec Hollande, même quand ils perdront, ils y gagneront et que tout sera fait pour «amortir leurs gamelles»(1).

Gérard Deneux, le 25 mars 2013


(1)   Les expressions sont de Frédéric Lordon, auteur notamment de «La crise de trop» édition Fayard
(2)   Je renvoie, ici, à mon texte précédent «Crise, quelles crises ? Origine et conséquences»
(3)   Collectif de chercheurs, experts en économie constitué à l’automne 2010 qui a fait paraître notamment le manifeste des économistes atterrés dans lequel ils font une critique des 10 postulats qui inspirent toujours les décisions des pouvoirs publics en Europe, malgré les cinglants démentis apportés par la crise et face auxquels ils ont mis 22 contre-propositions en débat.  www.atteres.org  


Sources pour cet article : Les analyses de Frédéric Lordon, de Michel Husson et autres «économistes atterrés»

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