jeudi 19 décembre 2013

Philippe Corcuff : Où est passée la critique sociale ?

Présentation :
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Dans un contexte de renaissance à l'échelle internationale de mouvements
sociaux critiques - printemps arabes, Indignados, Occupy Wall Street à
New York, Printemps d'érables au Québec, etc - ne faut-il pas réexaminer
les logiciels des critiques sociales et de l'émancipation c'est-à-dire
les façons mêmes de formuler les problèmes et les questions pertinentes.
Plutôt que de se précipiter sur des réponses toutes faites et
prémâchées, n'est il pas temps de réexaminer la tuyauterie conceptuelle
de nos interrogations et de nos raisonnements.
Philippe Corcuff est maître de conférence en Institut d'études
politiques de Lyon et chercheur au centre de recherche sur les liens
sociaux. Il est également membre du Conseil scientifique de
l'association altermondialiste d'Attac France. Son dernier "Où est passé
la critique sociale - Penser le global au croisement des savoirs" (La
Découverte) se situe à l'intersection de la sociologie et d'une
philosophie politique engagée. Il y remet notamment en cause certains
automatismes intellectuels qui affaiblissent la critique à gauche en en
faisant une critique mole.
Il est avec nous aujourd'hui (26 juin 2012) à l'invitation de la société
Louise Michel pour nous présenter ses travaux et en particulier comment
il a utilisé certains axes transversaux d'analyse pour répondre à ces
questions.

Extraits :
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Introduction
... Les réflexions que je vais proposer aujourd'hui se situent au
carrefour de deux grandes disciplines, la sociologie et la philosophie
politique en association avec un engagement anticapitaliste et
altermondialiste à tonalité libertaire. La perspective, c'est d'essayer
de relancer en ce début de 21ème siècle à la fois la critique sociale et
l'émancipation.

Comment la gauche a pu gagner les élections alors qu'elle est en état de
quasi mort cérébrale ? Mort cérébrale ne signifie pas qu'il n'y a pas
d'idées à gauche mais il y a beaucoup d'idées sous formes d'évidences
non interrogées, une sorte de rails automatiques sur lesquels les
pensées circulent sans réfléchir bref ce n'est pas les idées qui
manquent à gauche mais le travail intellectuel et de mettre au travail
les idées.

Il y a pourtant à gauche nombre de ressources intellectuelles. Je mets
l'accent dans mon livre les tensions entre trois penseurs contemporains
à mon sens très importants : Michel Foucault, Pierre Bourdieu et Jacques
Rancière. Je souligne aussi l'originalité d'une autre théoricienne
féministe américaine moins connue en France qui est Judith Butler (*) et
je signale aussi des convergences et des divergences avec mon ami
Jean-Claude Michéa.

Il y a donc une série de ressources intellectuelles qui sont disponibles
et en débat et puis il y a aussi des relectures d'auteurs plus anciens :
je fais état de lecture stimulantes de Proudhon ou de Marx. Mais le
problème de ces ressources intellectuelles c'est qu'elles sont le fait
d'auteurs ou de groupes de recherche qui sont assez éloignée des
controverses propres à la cité, citoyennes.

Il y a aussi des revues dynamiques (**) : la revue des livres, Vacarme,
Multitudes, EcoRev, Réfractions... pour les anarchistes. Ce sont des
revues dynamiques mais avec peu de connexions avec les pratiques
militantes ou citoyennes. L'espace public quant à lui est dominé par
quelques figures intellectuelles et médiatiques peu reconnues dans le
champs intellectuel proprement dit. Il est aussi dominé par l'expertise
défini comme façon de proposer des réparations de tel ou tel morceau de
la machine sans s'interroger sur la machine.

La gauche de gouvernement est quant à elle dominée par la pensée
technocratique qui baigne justement dans cette expertise : il faudrait
d'ailleurs dire la a-pensée technocratique comme une non pensée faite
d'automatisme, avec des éléments qui se présentent comme techniques mais
renferment souvent des questions philosophiques et politiques mais de
manière non réfléchies justement. (7'00")

La gauche de la gauche résiste un peu mieux mais rencontre des limites
significatives. Cette gauche de la gauche - dans laquelle je me situe et
dont les faiblesses m'intéressent parce que ce sont aussi mes faiblesses
- a fortement donné pour de bonnes raisons une certaine importance à la
contre-expertise toutes ces dernières années face à l'expertise
dominante néolibérale : c'est d'abord tout l'apport du Conseil
scientifique d'Attac dont je suis membre mais aussi de la Fondation
Copernic.

Mais il y a aussi à travers ça un risque aujourd'hui que la
contre-expertise prenne toute la place à gauche dans l'activité
intellectuelle. Or, il ne faut pas oublier que la contre-expertise c'est
une sorte de pendant critique de la pensée technocratique. Elle est dans
le même cadre et en hérite certains écueils :
*cette façon de réparer des bouts de la machine sans s'interroger
globalement sur la machine.*

Et donc peu à peu une pensée critique globale des machineries qui
contraignent nos activités - ce que l'on appelle capitalisme, etc - et
une pensée émancipatrice globale qui fournirait des repères quant à ce
qui pourrait être un autre monde, se réduisent peu à peu au profit de
débats qui sont surtout centrés sur les contre-propositions, les
programmes, les mesures concrètes, etc et peu à peu la pensée globale
dans les milieux citoyens et militants perd de son importance. C'est
pour cette raison que la gauche de la gauche n'échappe pas non plus à
l'état de mort cérébrale (8'45")...

La suite (total : 1h04min) :
Philippe Corcuff : Où est passée la critique sociale ? :
http://www.rphfm.org/IMG/mp3/Allez_savoir_26_06_12_sem_26PAD_-_Ou_est_passee_la_critique_sociale_Philippe_Corcuff_.mp3


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(*) https://fr.wikipedia.org/wiki/Judith_Butler
(**)
- http://www.revuedeslivres.fr/
- http://www.vacarme.org/
- http://multitudes.samizdat.net/
- http://ecorev.org/
- http://refractions.plusloin.org/spip.php?rubrique27

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Avant d'écrire "Thermodynamique de l'évolution" édité par les Editions Parole, François Roddier a écrit trois textes. Le premier a pris la forme d'un journal en ligne (blog) suivant la progression de sa réflexion : http://www.francois-roddier.fr/
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