Source :
Challenges
INTERVIEW - Patrick
Légeron, psychiatre fondateur du cabinet Stimulus, est coauteur du
rapport de l’Académie nationale de médecine sur le burn-out, publié en
2016. Selon lui, "ce n’est pas le changement qui génère le burn-out,
c’est la non prise en compte de l’humain dans sa mise en oeuvre".
Patrick Légeron, psychiatre, est coauteur du rapport de l’Académie nationale de médecine sur le burn-out, publié en 2016.
Stéphane Lagoutte/Challenges
Challenges - Vivons-nous une période particulièrement génératrice de burn-out?
Patrick Légeron - Le stress est le syndrome de
l'adaptation. Dans notre monde en mutation, 25% des salariés sont
considérés en état d'hyperstress. Santé publique France évalue à 500.000
par an le nombre de personnes qui présentent une pathologie mentale
liée au travail dans notre pays. Mais ce n'est pas le changement qui
génère cet épuisement, c'est la non prise en compte de l'humain dans sa
mise en oeuvre. La
Harvard Business Review l'écrivait
récemment: en période de mutation, ce qui prime, c'est une présence
managériale active. Alors que le plus souvent les managers sont absorbés
par le changement lui-même.
Les cadres y sont-ils particulièrement exposés?
Oui et plus encore que les dirigeants, le management de proximité.
Ces cadres qui dirigent de petites équipes sont à la fois stresseurs et
stressés, et n'ont pas été formés à des pratiques managériales
protégeant la santé.
Le numérique est-il un facteur aggravant?
Lorsqu'il aboutit sur moins d'autonomie au travail et que les gens sont robotisés, oui. On parle de plus en plus de
bore-out, un ennui qui mène à la dépression.
Il faut diversifier les tâches et augmenter les responsabilités. Tout
va bien si la machine reste un prolongement de l'homme, pas si l'homme
est robotisé.
Il y a un énorme problème de management "à la française". La France
est d'ailleurs regardée comme une curiosité par les pays en pointe sur
le
burn-out,
comme le Canada, ou les Scandinaves, car nous en parlons plus qu'eux
mais sommes mal notés sur tous les facteurs qui le favorisent. En
France, aucune pathologie mentale n'est encore reconnue comme maladie
d'origine professionnelle. C'est une anomalie majeure, d'autant plus
problématique que les troubles psycho-sociaux sont, aux dires de l'OMS
(Organisation mondiale de la santé) comme du BIT (Bureau international
du travail), les grands risques du monde du travail.
D’où vient ce particularisme français?
Nous avons une culture doloriste et une tradition de
surinvestissement au travail. A la question "quelle place accordez-vous à
votre travail dans votre vie?", nous sommes le pays dans lequel la
réponse "extrêmement importante" est la plus souvent choisie. Or, il
faut accorder une place raisonnable au travail.
Qu’est-ce qui relève de l’individu et de l’entreprise dans l’apparition d’un burn-out?
Une part minime revient à l’individu, une fragilité éventuelle et
souvent ce surinvestissement. Le reste relève de l’organisation et du
management. C’est à l’entreprise de veiller à l’équilibre vie privée-vie
professionnelle, à la reconnaissance, au fait de parler des émotions
comme des échecs, de soutenir en cas de difficulté. Deutsche Telekom et
Telefonica ont vécu la même mutation technologique que France Télécom.
Mais ces deux entreprises, elles, ont mobilisé leur management sur
l’humain.
Concrètement, cela signifie quoi "placer l’humain au centre"?
C’est avoir une attitude d’écoute active des émotions, rassurer les
gens, les renforcer. La reconnaissance est l’un des axes majeurs de la
protection de la santé psychique. La vraie, pas celle fondée sur des
résultats. Celle qui reconnaît le travail, l’effort et chaque petit pas
vers le changement. Heureusement, sur tous ces points, les jeunes sont
en train d’apporter une révolution.
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