Source : l'Humanité
Jeudi, 14 Septembre, 2017
Par Michel Etiévent, historien, biographe d’Ambroise Croizat.
Les
Français sont-ils conscients de ce qu’ils sont en train de perdre avec
les attaques contre la Sécurité sociale ? Ce formidable projet de
société qui, selon Ambroise Croizat, devait « mettre fin à l’obsession
de la misère », est aujourd’hui en passe de s’effondrer sous les coups
de boutoir du gouvernement contre ce qui fait son fondement : la
cotisation sociale. Dès 1946, un continuum de plans de casse n’a cessé
de mettre à mal une institution devenue pierre angulaire de notre
identité sociale.
Aux oppositions de la droite, du patronat, des médecins
libéraux, un moment tues par le rapport de forces de l’époque, se sont
ajoutés une avalanche de réformes, passant par les ordonnances de 1967
qui ont fait basculer sa gestion dans les mains du patronat, les plans
Barre, Fabius, l’impôt CSG de Rocard. Viendront ensuite les mesures de
Georgina Dufoix imposant des déremboursements successifs, les lois Veil,
Balladur allongeant la durée de cotisation, les plans Juppé puis
Chirac, Raffarin attentant aux retraites, les lois Jospin de 2001
imposant les normes européennes aux mutuelles. Sans oublier l’ordonnance
Douste-Blazy de 2004 qui videra les conseils d’administration de leurs
pouvoirs, l’instauration de la tarification à l’acte, les lois Bachelot
confiant le pilotage de la protection sociale aux « préfets sanitaires »
des agences régionales de santé. En imposant l’obligation de la
mutualité d’entreprise, l’ANI 2013 accélérera la privatisation.
Si la destruction affichée de la cotisation sociale n’est
pas récente, elle est aujourd’hui frontale. Le rêve du patronat est
devenu une arme de gouvernement. Il importe de rappeler la quadruple
peine qu’elle impose aux bénéficiaires. Elle est tout d’abord une
amputation directe du salaire dont la cotisation est partie intégrante.
C’est un « salaire socialisé », fondé sur les richesses créées dans
l’entreprise. La seule création de richesses qui va directement du
cotisant vers le bien-être des gens sans passer par la poche des
actionnaires. Si le salaire net c’est pour le quotidien du mois, le
salaire brut c’est pour la vie. La deuxième peine réside dans la
destination même de cette « économie » patronale. Elle n’ira ni vers
l’emploi, ni vers l’investissement, mais servira à augmenter les marges
patronales et à nourrir les actionnaires. À cette atteinte aux salaires,
s’ajoute la troisième peine : la hausse de la CSG qui alourdit la
feuille d’impôt, fiscalise et étatise un peu plus encore la Sécurité
sociale.
Depuis 1995, la part de la fiscalisation dans le
financement de la Sécu est passée de 4,9 % à 28 %, tandis que celle de
la cotisation sociale tombe de 86,8 % à 67,3 %. Imagine-t-on ce que
pourrait devenir une Sécurité sociale abandonnée aux mains de l’État ?
Une seule ordonnance, à l’image de ce qu’a vécue l’Espagne, pourrait
engendrer coupes drastiques ou, pire, privatisation immédiate. La
quatrième peine est encore plus lourde. Par la fin du principe de
solidarité, la mort de la cotisation sociale n’est rien d’autre que
celle de la Sécu. Une coquille vide livrée au privé, aux assurances
santé inégalitaires et coûteuses. La fin du droit de vivre dignement.
Historien, biographe d’Ambroise Croizat
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