Emmanuel
Macron prétend incarner une politique résolument moderne. Pourtant, les
réformes économiques et sociales que le gouvernement mène au pas de
charge, sont à bien des égards issues de « l’ancien monde ». C’est ce
que décrypte l’ouvrage collectif « L’imposture Macron » coordonné par
l’association Attac et la fondation Copernic et publiée ce 18 avril par
les éditions Les liens qui libèrent. Dans le domaine du logement, comme
dans les autres, le pouvoir actuel favorise les plus riches, sur le dos
des moins fortunés. C’est le fonctionnement régulier du marché
immobilier, et non sa pseudo-crise, qui génère des pénuries et les
galères qui vont avec, en même temps que d’incroyables profits.
Extraits.
En
France, 896 000 personnes sont privées de logement personnel. Plus de
60 000 ménages prioritaires selon la loi « Droit au logement opposable »
(Dalo) ne sont pas relogés. 100 000 individus vivent en camping ou
mobil-home, expulsables sans préavis, soumis pour l’eau et l’électricité
à des tarifs d’usuriers
[1].
Notre pays compte 143 000 SDF qui vivent dans des cartons, des cages
d’escalier, des entrées de parking ou dans le métro. Entre 2012 et 2016,
13 371 sans-logis sont morts dans la rue, invisibles, anonymes. Pas
d’éditions spéciales de journaux télévisés. Aucune minute de silence. En
centres d’hébergement, l’hiver dernier, 55 % des demandes n’ont pas
abouti et 63 % l’été. À Paris, moins de 10 % des appels au 115
reçoivent une solution.
Se plaindre de la « crise » du logement n’a pas de sens, c’est le fonctionnement régulier du marché immobilier
Pourtant, les locaux et logements vides abondent. En 2011, l’INSEE
dénombrait, 2,4 millions de logements ou locaux vacants en France, dont
500 000 rien qu’à Paris, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse, Lille,
Montpellier. Les deux tiers de ces habitations appartiennent à des
personnes morales et un tiers à des particuliers. Avec un tel volume,
difficile d’imaginer qu’un programme, même limité, de réquisitions ne
puisse pas accueillir les 143 000 sans-abri et 60 000 « Dalo ». Se
plaindre de la « crise » du logement n’a pas de sens. C’est le
fonctionnement régulier du marché immobilier, et non sa pseudo-crise,
qui génère des pénuries et les galères qui vont avec, en même temps que
d’incroyables sur-profits.
De 1978 à 2009, le total des profits liés aux activités immobilières a été multiplié par 3,5
[2].
Alors que le PIB progressait de 14 %, la masse des profits de 17 %, les
profits immobiliers engrangés par les entreprises ont gagné 90 %
[3].
Énormément d’argent donc, amassé sur le dos des locataires et par
spéculation, en laissant les plus fragilisés à la rue. Aujourd’hui, 4,2
millions de personnes consacrent plus de 40 % de leurs revenus pour se
loger.
L’appel d’Emmanuel Macron aux propriétaires n’a « rien provoqué »
En 2017, pour l’hébergement d’urgence, le gouvernement a débloqué 212
millions d’euros. Peanuts : la somme ne couvre même pas les dépenses
réellement consommées en 2016, et la dotation prévue pour 2018 est
inférieure de plus de 40 millions à celle de 2017. Le secteur du
logement semble avant tout pour Édouard Philippe, un filon pour
effectuer des économies budgétaires. Et même pire. Au 1er octobre, les
APL (dont bénéficient 6 millions de personnes en France) ont été
réduites de 5 euros, soi- disant pour freiner la dégradation du budget
de l’État. Mais la suppression de l’ISF a fait gagner à Bernard Arnault
une fois et demi le montant des économies réalisées par cette baisse de 5
euros !
Cynisme rare, Emmanuel Macron appela les propriétaires à baisser
leurs loyers de cinq euros, pour aider les locataires aux APL réduites.
Selon le directeur du réseau d’agences immobilières ERA Immobilier, cet
appel n’a
« rien provoqué, le gouvernement ne fait pas entrer cette mesure dans la loi, les propriétaires n’ont donc aucune obligation ».
Idem à l’Union nationale des propriétaires immobiliers. Le président de
la chambre de Bordeaux indique qu’aucun propriétaire n’a bougé :
« Ça m’aurait fait rire, les propriétaires n’ont aucune raison de faire cela » [4]
Ces 5 euros en moins, précisa le gouvernement, face au tollé provoqué,
ne concerneront pas les bénéficiaires des APL logés en HLM.
La privatisation du secteur public du logement déjà amorcée va ainsi s’accélérer au grand bonheur des « investisseurs »
Certes, mais un tiers seulement des bénéficiaires des aides au
logement sont dans le parc public. Par ailleurs, le gouvernement,
tordant le bras aux organismes HLM, leur a imposé de compenser cette
baisse par une diminution équivalente de loyer. Résultat final : une
perte de budget d’environ 1,5 milliard d’euros pour les organismes
HLM. Ce qui aura des répercussions négatives sur les locataires. Car
s’amoindrira immanquablement l’investissement des bailleurs sociaux pour
construire de nouveaux logements très sociaux, et rénover ou entretenir
les anciens, qui en ont fort besoin.
La politique gouvernementale est simple. Elle parie que le manque à
gagner forcera les bailleurs sociaux à vendre plus de logements. Les
organismes HLM en vendent environ 8000 par an. Le gouvernement les
encourage à en rétrocéder entre 20 000 et 40 000 au privé. La
privatisation du secteur public du logement déjà amorcée va ainsi
s’accélérer au grand bonheur des « investisseurs ». Et puis, les prix
pour se loger baisseront, assure Edouard Philippe, grâce au « choc de
l’offre » qu’il va produire, et qui relancera comme jamais la
construction. Sauf que cela ne fonctionnera pas. Même en triplant la
construction, la production de logements neufs dépassera à peine 1 % à
2 % du stock de logements, ce qui reste très insuffisant pour peser sur
le marché et les loyers. Historiquement, d’ailleurs, les pics de
production de logements (plus de 400 000 en 2006, 2012 et 2017) n’ont
jamais fait diminuer les loyers.
Last but not least, l’avant-projet de la loi sur le logement
(prévue au printemps 2018) prévoit, pour tous les locataires de meublés,
la création d’un « bail mobilité », d’une durée d’un à dix mois,
révocable ensuite
[5].
Les associations de locataires craignent évidemment une généralisation
de ce bail, ajoutant de la précarité à la situation des locataires.
L’Union nationale de la propriété immobilière, quant à elle, se frotte
les mains, puisqu’elle plaide pour ce type de bail depuis longtemps.
Coordination de
L’imposture Macron : Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa, Aurélie Trouvé.
Photo : Jeudi 8 mars, ouverture d’un nouveau lieu pour les personnes à
la rue, à Nantes. Il s’agit d’une ancienne maison de retraite publique,
équipée et fonctionnelle, vide depuis des mois / CC ValK
L’imposture Macron, Un business model au service des puissants, 192 p, 10 € (
voir ici)