L’intérêt général à la casse
Source : Le Monde Diplomatique
Propageant la plus
grande confusion entre rentabilité à des fins particulières et
efficacité au bénéfice de tous, le gouvernement français veut
délégitimer un peu plus l’État social, qui fut pourtant gage
d’émancipation pour de nombreuses générations. Après avoir multiplié
les cadeaux fiscaux aux vrais privilégiés, il tente de dévier
l’attention sur la fonction publique.
Début
février, le premier ministre Édouard Philippe a livré les premières
décisions du gouvernement concernant la fonction publique : plan de
départs volontaires, recrutement accéléré de contractuels, rémunérations
dites « au mérite »,
multiplication des indicateurs individuels de résultat… Il inaugurait
ainsi une croisade contre les statuts : d’abord celui des cheminots,
puis les autres, en particulier la pièce maîtresse du statut général des
fonctionnaires, qui concerne quelque cinq millions et demi de salariés,
soit 20 % de la population active.
Dans ce domaine comme dans les autres, le président Emmanuel Macron entend aller vite. Mandaté par les dominants — la finance internationale dont il émane, les cercles dirigeants de l’Union européenne, le patronat, la technocratie administrative, les flagorneurs du show-business, la quasi-totalité des médias, le jeune dirigeant sait que le temps ne travaille pas pour lui.
Durant la campagne pour l’élection présidentielle, M. Macron a jugé le statut des fonctionnaires « inapproprié » et prévu la suppression de 120 000 emplois. Il a stigmatisé les « insiders ». ceux qui se seraient construit un nid douillet à l’intérieur du « système » et dont les privilèges barreraient la route aux moins chanceux. Le 13 octobre 2017, le premier ministre s’est adressé aux ministres pour leur annoncer la création d’un Comité action publique 2022 (CAP 22) prévoyant « des transferts au secteur privé, voire des abandons de mission », et présenté comme la pièce centrale du chantier de réforme de l’État. La réforme du code du travail — priorité répondant aux vœux du Mouvement des entreprises de France (Medef) — a par ailleurs élevé le contrat et, plus spécifiquement, le contrat individuel d’entreprise au rang de référence sociale susceptible d’être généralisée à l’ensemble des salariés des secteurs privé et public.
Et, ce faisant, fourbi les armes qui permettront de s’attaquer directement aux statuts des personnels du secteur public, qui se situent dans la filiation (...)
Dans ce domaine comme dans les autres, le président Emmanuel Macron entend aller vite. Mandaté par les dominants — la finance internationale dont il émane, les cercles dirigeants de l’Union européenne, le patronat, la technocratie administrative, les flagorneurs du show-business, la quasi-totalité des médias, le jeune dirigeant sait que le temps ne travaille pas pour lui.
Durant la campagne pour l’élection présidentielle, M. Macron a jugé le statut des fonctionnaires « inapproprié » et prévu la suppression de 120 000 emplois. Il a stigmatisé les « insiders ». ceux qui se seraient construit un nid douillet à l’intérieur du « système » et dont les privilèges barreraient la route aux moins chanceux. Le 13 octobre 2017, le premier ministre s’est adressé aux ministres pour leur annoncer la création d’un Comité action publique 2022 (CAP 22) prévoyant « des transferts au secteur privé, voire des abandons de mission », et présenté comme la pièce centrale du chantier de réforme de l’État. La réforme du code du travail — priorité répondant aux vœux du Mouvement des entreprises de France (Medef) — a par ailleurs élevé le contrat et, plus spécifiquement, le contrat individuel d’entreprise au rang de référence sociale susceptible d’être généralisée à l’ensemble des salariés des secteurs privé et public.
Et, ce faisant, fourbi les armes qui permettront de s’attaquer directement aux statuts des personnels du secteur public, qui se situent dans la filiation (...)
Taille de l’article complet : 2 936 mots.
Cet article est réservé aux abonnés
Lycées, bibliothèques, administrations, entreprises,
accédez à la base de données en ligne de tous les articles du Monde diplomatique de 1954 à nos jours.
Retrouvez cette offre spécifique.
Anicet Le Pors
Ancien ministre de la fonction publique et des réformes administratives, conseiller d’État honoraire.
(1) Le Point, Paris, 31 août 2017.
(2) Michel
Debré inaugurera le poste de premier ministre prévu par la Constitution
de la Ve République, à la rédaction de laquelle il avait pris une part
importante.
(3) Cité par René Bidouze, Les Fonctionnaires, sujets ou citoyens ? Le syndicalisme, des origines à la scission de 1947-1948, Éditions sociales, coll. « Notre temps / Société », Paris, 1979.
(4) Olivier Schrameck, La Fonction publique territoriale, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », Paris, 1995.
(5) Jacques Fournier, Itinéraire d’un fonctionnaire engagé, Dalloz, 2008.
(6) Cité par Gérard Donnadieu, Comprendre Teilhard de Chardin, Saint-Léger Productions, Chouzé-sur-Loire, 2013.
(7) Flore Deschard et Marie-Françoise Le Guilly, « Tableau de bord de l’emploi public. Situation de la France et comparaisons internationales », France Stratégie, Paris, décembre 2017, www.strategie.gouv.fr
(8) « Edgar Morin : “L’idée de métamorphose dit qu’au fond tout doit changer” », L’Humanité, Saint-Denis, 19 juillet 2013. Dans le même esprit : Anicet Le Pors, Pendant la mue le serpent est aveugle. Chronique d’une différence, Albin Michel, Paris, 1993.
(9) Gérard Aschieri et Anicet Le Pors, La Fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2015.
Dossier L’intérêt général à la casse
On ne détruit pas un bâtiment d’un simple coup de pelleteuse. Il faut
procéder par petites entailles, ouvrir des brèches, frapper de toutes
parts. Ce travail de sape fragilise la structure : un infime mouvement
de l’engin peut alors provoquer l’effondrement de l’édifice. Il en va de
même des entreprises de démolition sociale. Depuis les années (...)
-
Refonder plutôt que réformer
Pierre Rimbert Aperçu« Défendre les services publics » : le mot d’ordre comporte une ambiguïté mortelle quand la main droite de l’État s’acharne à les rendre détestables à ceux-là mêmes qui les produisent comme à leurs usagers. Lutter avec (...) → -
Les étudiants livrés au marché de l’anxiété
Annabelle Allouch AperçuLa réforme du baccalauréat et l’instauration de critères de sélection à l’entrée des universités bouleversent l’articulation entre enseignements secondaire et supérieur. Dès la classe de seconde, les élèves sont (...) → -
Réussir sa contre-révolution
Lors d’une réunion de la société du Mont-Pèlerin, berceau du néolibéralisme, le 28 novembre 1989, un ancien ministre des finances travailliste néozélandais donnait sa recette : Le gouvernement doit avoir le courage (...) → -
Il paraît que les petites lignes de chemin de fer coûtent trop cher
Benoît Duteurtre AperçuOpposer usagers et salariés des chemins de fer n’a guère de sens quand tous vivent la dégradation du service au nom d’un désengagement public que le gouvernement veut renforcer. Et que penser des (...) → -
De Saint-Just à Macron, variations sur un même thème
Émilien Ruiz AperçuDepuis deux siècles, des dirigeants de toutes tendances politiques ont réclamé la diminution du nombre d’agents de l’État. Pour des raisons parfois diamétralement (...) → -
« Pas concernés »
P. R. Aperçu« La grosse ficelle, c’est d’avoir dit que la fin du statut ne s’appliquera qu’aux nouveaux embauchés. Les dirigeants de la CGT [Confédération générale du travail] savent qu’ils ne pourront pas justifier de bloquer (...) →
Extrait de 50 secondes.
Identifiez-vous pour écouter l'intégralité de cet article
avril 2018, pages 1, 10 et 11
Les fonctionnaires, voilà l’ennemi ; dossier : services publics, l’intérêt général à la casse ; renaissance des travaillistes au Royaume-Uni ; l’ère du fichage généralisé ; en Turquie, le président Erdoğan s’aligne sur l’extrême droite ; en Italie, ni droite ni gauche... ni centre ; à Fukushima, une catastrophe banalisée ; le régime tchétchène se prévaut de l’islam pour mieux réprimer ; Amérique latine recherche percepteurs désespérément ; le dernier combat de Martin Luther King ; effets pervers de la lutte anticorruption en Europe centrale ; l’Église congolaise contre Kabila ; à quoi sert Spinoza ? Irlande, des bulles dans le béton ; les friches, vernis sur la rouille ? Une famille algérienne de France (…)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire