Source : l'Humanité
De violents affrontements ont opposé lundi la police à des manifestants prokurdes qui dénonçaient le couvre-feu
imposé à Diyarbakir, la grande ville à majorité kurde du sud-est de la Turquie.
Photo : Sertac Kayar/Reuters
Dans
le silence assourdissant des chancelleries occidentales qui ne refusent
rien à leur allié, membre de l’Otan, Ankara a lancé ses troupes au
Kurdistan. Les couvre-feux sont imposés dans de nombreuses villes. Les
forces spéciales sont en action contre le PKK, faisant de nombreux
morts.
Qui
ou quoi pourrait arrêter la Turquie de Reçep Erdogan ? S’abritant
derrière son statut de membre de l’Otan, fort d’une reprise des
négociations en vue d’une possible adhésion à l’Union européenne,
satisfait du silence assourdissant des chancelleries occidentales,
Ankara hausse la duplicité au rang de règle diplomatique. Mais pour
l’heure, ce sont d’abord les populations du sud-est de la Turquie, c’est
à dire essentiellement les Kurdes, qui font les frais de cette
politique terrible, qui n’est pas sans rappeler les heures sombres de
l’Empire ottoman et du génocide opéré contre les Arméniens.
Il est vrai qu’Erdogan et son premier ministre, Ahmet
Davutoglu, ont annoncé la couleur depuis plusieurs mois. Utilisant les
critiques de plus en plus fortes adressées au pouvoir turc sur, au
minimum, la complicité avec les djihadistes de l’organisation dite de
l’État islamique (EI, plus connu sous son acronyme de Daech), les deux
hommes ont lancé une guerre contre le Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK) qui, à leurs yeux, représente « le » terrorisme. Entre
le mois de juin et le 1er novembre, entre les deux élections
législatives – manipulation visant à renforcer leur pouvoir –, ils n’ont
eu de cesse de relancer une guerre contre les représentants du peuple
kurde. D’un point de vue militaire contre la formation d’Abdullah Öcalan
en multipliant les bombardements contre les bases du PKK, en Turquie
même mais également dans les montagnes du Kurdistan d’Irak ou au Rojava
(Kurdistan de Syrie) où les combattants du PKK sont venus prêter main
forte pour libérer Kobané et une partie, en Irak, des Yézidis, soumis à
la vengeance terrible de l’« EI ». Sur le plan politique, la répression
s’est opérée en deux temps. D’abord en utilisant tous les moyens
constitutionnels pour rendre le pays ingouvernable et en convoquant de
nouvelles élections parce que le HDP (Parti démocratique des peuples)
avait réussi à envoyer 80 députés au Parlement, en manipulant des
groupes islamistes pour provoquer des attentats en Turquie même, à Suruç
puis à Ankara, contre le mouvement kurde mais également contre la
gauche turque.
L’Humanité, au mois d’août, avait rendu compte des
premiers massacres perpétrés par l’aviation turque qui, en bombardant
des villages du Mont Kandil (Irak), sous prétexte de bases PKK, tuait en
réalité des dizaines de civils. Depuis la fin de l’été, dans nombre de
villes du Sud-Est, la résistance s’est organisée. A Diyarbakir, par
exemple, la grande ville kurde, le quartier de Sur s’est organisé pour
empêcher la police, la gendarmerie et les forces armées d’entrer.
Ailleurs, comme à Cizre, l’autonomie a été décrétée, provoquant la
fureur répressive du pouvoir. Déjà ce qui, au départ, s’apparentait à
des heurts s’était traduit par des morts, des blessés, des arrestations,
des destructions de maisons. Le bâtonnier de Diyarbakir a été assassiné
en pleine rue. Des militants ont disparu. Dans ces mêmes villes où nous
nous étions rendus au mois de novembre, la population témoignait des
exactions des forces dites de « sécurité », de l’imposition de
couvre-feux, de la peur des enfants et même des massacres en cours.
Depuis quelques jours, les opérations militaires se sont
aggravées. Diyarbakir est en état de siège. « Nous ferons tout pour
faire de Cizre, de Silopi et de chaque portion de notre patrie une zone
de paix, de stabilité et de liberté », a mis en garde mardi le premier
ministre Ahmet Davutoglu. « Les terroristes seront éliminés de ces
districts. Quartier par quartier, maison par maison, rue par rue »,
a-t-il ajouté. En 2011, lorsque le président libyen Mouammar Kadhafi
avait lancé des menaces similaires, mot pour mot, les pays occidentaux
avaient décidé de lancer une offensive militaire contre Tripoli.
Aujourd’hui, de Paris à Berlin, de Londres à Washington, c’est le
silence radio. Lui et l’ensemble de ses ministres parlent de
« nettoyage », ce qui n’est pas sans rappeler les sommets de la
répression coloniale aux quatre coins du monde. Ils ont ainsi fait voler
en éclats les pourparlers de paix engagés à la fin de 2012 par le
gouvernement islamo-conservateur d’Ankara avec le PKK, pour tenter de
mettre un terme à un conflit qui a fait plus de 40 000 morts depuis
1984.
Huit membres du PKK ont été tués. Ces rebelles kurdes ont
été « neutralisés » mardi à Cizre, dans la province de Sirnak (Sud-Est),
a affirmé l’état-major dans un communiqué publié sur son site Internet.
D’importants effectifs de l’armée et des forces spéciales de la police
ont investi plusieurs villes soumises au couvre-feu, notamment Cizre,
Silopi, Diyarbakir, Nusaybin et Dargeçit. De violents combats les
opposent à de jeunes partisans du PKK et ont transformé des quartiers
entiers en zones de guerre. Joints au téléphone, des habitants de Silopi
et Cizre ont fait état de la présence de chars de l’armée et signalé
des explosions et des colonnes de fumée. Député du Parti démocratique
des peuples (HDP, prokurde), Ferhat Encu a posté sur son compte Twitter
des photos de soldats enfonçant la porte de l’immeuble dans lequel il se
trouvait à Silopi. « Nous ne sommes pas en sécurité », a-t-il écrit.
Selon l’agence de presse Firat News, un enfant de 11 ans a été tué lors
d’une opération de l’armée à Cizre. Après plus de deux ans de
cessez-le-feu, d’intenses combats ont repris l’été dernier entre
policiers et soldats turcs et le PKK, faisant de nombreuses victimes.
Trois policiers ont été tués et trois autres blessés mardi à Silvan dans
une attaque à l’explosif attribuée au PKK, qui a visé un véhicule
blindé. La veille, deux jeunes manifestants sont morts par balle lors
d’affrontements avec la police alors qu’ils dénonçaient le couvre-feu en
place depuis le 2 décembre dans le district de Sur, à Diyarbakir. Hier,
dans ces villes, les images étaient terribles. Des centaines de
personnes tentaient de fuir les combats et les centres-villes. Ceux qui
ont décidé de rester, par impossibilité de départ mais souvent par
volonté politique de ne pas céder à la pression militaire du pouvoir
central, commençaient à stocker des provisions en prévision d’un siège
qui s’annonce long et rude. Selon des données recueillies par la
Fondation des droits de l’homme de Turquie, 52 couvre-feux ont été mis
en place depuis la mi-août, dans sept provinces du sud-est de la
Turquie. Ces mesures concernent au total 1,3 million d’habitants.
Bagdad a protesté contre une violation du territoire
Comment ne pas mettre en parallèle cette offensive
d’Ankara avec l’entrée de troupes turques au nord de l’Irak et
positionnées près de Mossoul ? Officiellement il s’agit d’entraîner des
milices sunnites. Outre le fait que Bagdad a protesté contre ce qui
s’apparente à une violation du territoire national (la Ligue des États
arabes doit d’ailleurs se réunir le 24 décembre pour prendre un certain
nombre de positions), il semble incontestable que le pouvoir turc
cherche l’épreuve de force à l’heure où son rôle dans le renforcement de
Daech apparaît de plus en plus clairement aux yeux du monde. L’Humanité
avait déjà témoigné de la venue de troupes djihadistes à Kobané en
provenance de Turquie. La destruction d’un avion russe il y a quelques
semaines montre également combien Ankara préfère s’en tenir à une ligne
de confrontation. D’autant que certains observateurs se
demandent si le
positionnement des troupes turques près de Mossoul ne masque pas, en
réalité, la tentative de créer un corridor
de sortie pour les
combattants islamistes positionnés à Mossoul, alors que le siège de la
ville est en train de s’organiser.
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