Source : blog de Guillaume Ancel
Pourquoi avoir
attendu 20 ans après l'opération Turquoise pour témoigner
publiquement ?
Le long cheminement du devoir de témoigner.
Le long cheminement du devoir de témoigner.
Commençons
par le Rwanda, au cœur du sujet.
Le Rwanda est un pays d'Afrique centrale, de la région des Grands Lacs. En 1993, après des années de conflits entre Hutus et Tutsis, des accords de paix (dits d'Arusha) sont signés et le pays semble s'apaiser. Mais l'avion du président Juvénal Habyarimana est abattu en avril 1994, déclenchant un massacre systématique des Tutsis et des opposants hutus.
Ce massacre a fait plusieurs centaines de milliers de victimes, probablement près d'un million.
Il est qualifié de génocide par l'ONU et s'est révélé avoir été organisé et impitoyablement conduit par le gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qui a pris le pouvoir dans la foulée de l'assassinat du président.
La France, qui avait soutenu le gouvernement Habyarimana, décide d'intervenir militairement, sous couvert d'un mandat de l'ONU, et déclenche l'opération Turquoise en juin 1994, c'est une des plus importantes interventions militaires françaises en Afrique depuis des décennies et sans doute une des plus controversées.
La France a soutenu de fait ce gouvernement intérimaire au moins jusqu'à son renversement par les soldats de Paul Kagamé, redoutable chef de guerre, qui monopolise le pouvoir depuis cette date.
Le Rwanda est un pays d'Afrique centrale, de la région des Grands Lacs. En 1993, après des années de conflits entre Hutus et Tutsis, des accords de paix (dits d'Arusha) sont signés et le pays semble s'apaiser. Mais l'avion du président Juvénal Habyarimana est abattu en avril 1994, déclenchant un massacre systématique des Tutsis et des opposants hutus.
Ce massacre a fait plusieurs centaines de milliers de victimes, probablement près d'un million.
Il est qualifié de génocide par l'ONU et s'est révélé avoir été organisé et impitoyablement conduit par le gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qui a pris le pouvoir dans la foulée de l'assassinat du président.
La France, qui avait soutenu le gouvernement Habyarimana, décide d'intervenir militairement, sous couvert d'un mandat de l'ONU, et déclenche l'opération Turquoise en juin 1994, c'est une des plus importantes interventions militaires françaises en Afrique depuis des décennies et sans doute une des plus controversées.
La France a soutenu de fait ce gouvernement intérimaire au moins jusqu'à son renversement par les soldats de Paul Kagamé, redoutable chef de guerre, qui monopolise le pouvoir depuis cette date.
L'opération
Turquoise s'est déroulée de juin à août 1994, elle est
officiellement affichée comme ayant poursuivi un "but
strictement humanitaire", largement en contradiction avec
une partie des missions qui nous ont été confiées sur place.
Cette opération a surtout clôturé 4 ans d'intervention française au Rwanda achevées par un drame sans égal, un génocide.
Cette opération a surtout clôturé 4 ans d'intervention française au Rwanda achevées par un drame sans égal, un génocide.
Pourquoi
je n'ai pas parlé à l'époque ?
Le devoir de réserve
En
1994, j'avais 28 ans et j'ai participé à cette opération en
tant que capitaine du 68° régiment d'artillerie d'Afrique,
unité d'artillerie qui était dédiée à la légion étrangère.
Cela faisait déjà 5 ans que j'étais en unité de combat, et
je revenais d'une mission au Cambodge que je qualifierais
d'éprouvante.
Dans
ce régiment d'artillerie professionnel, j'avais acquis une
spécialité de guidage des frappes aériennes, comme FAC
(Forward Air Controller, soit en français Officier
Contrôleur Avancé).
Un bombardement, une frappe aérienne dans le jargon militaire, est très difficile s'il n'y pas de guidage. Le guidage sur la bonne cible nécessite d'être à proximité, pas toujours en terrain maîtrisé, et avec une espérance de vie limitée si l'on considère qu'il est nettement plus facile de flinguer un TACP (l'équipe de guidage), que d'abattre un avion à 900 km/h...nous recevions donc dans ce régiment un entraînement spécial pour la recherche et la destruction de cibles, avec des frappes aériennes ou terrestres. Cela développe une grande capacité d'observation, de rapidité de prise de décision et d'autonomie ...
Un bombardement, une frappe aérienne dans le jargon militaire, est très difficile s'il n'y pas de guidage. Le guidage sur la bonne cible nécessite d'être à proximité, pas toujours en terrain maîtrisé, et avec une espérance de vie limitée si l'on considère qu'il est nettement plus facile de flinguer un TACP (l'équipe de guidage), que d'abattre un avion à 900 km/h...nous recevions donc dans ce régiment un entraînement spécial pour la recherche et la destruction de cibles, avec des frappes aériennes ou terrestres. Cela développe une grande capacité d'observation, de rapidité de prise de décision et d'autonomie ...
Le
22 juin 1994, j'ai été détaché pour l'opération Turquoise
comme FAC d'une compagnie de combat du 2°REI (Régiment
étranger d'infanterie, Nîmes) avec laquelle je suis parti le
23 juin.
J'insiste sur le fait que je n'assistais pas aux discussions politico-militaires et que je n'avais aucun accès aux cercles de décision qui décidèrent cette intervention. Par contre je sais plutôt bien ce que j'ai fait la-bas, entre le Zaïre et le Rwanda, avec quelques centaines d'hommes dont l'horizon était assez immédiat et les actions pour le moins concrètes.
Je suis rentré le 05 août, pour me préparer à la mission suivante, Sarajevo.
En revenant de cette opération, j'étais très interrogatif sur le rôle qu'on nous avait fait jouer, sur le soutien apporté au gouvernement intérimaire (GIR dont j'ignorais encore le rôle central dans le génocide) et aux forces armées rwandaises (FAR) dont nous n'avions pu que constater la déliquescence face au FPR de Paul Kagame.
J'insiste sur le fait que je n'assistais pas aux discussions politico-militaires et que je n'avais aucun accès aux cercles de décision qui décidèrent cette intervention. Par contre je sais plutôt bien ce que j'ai fait la-bas, entre le Zaïre et le Rwanda, avec quelques centaines d'hommes dont l'horizon était assez immédiat et les actions pour le moins concrètes.
Je suis rentré le 05 août, pour me préparer à la mission suivante, Sarajevo.
En revenant de cette opération, j'étais très interrogatif sur le rôle qu'on nous avait fait jouer, sur le soutien apporté au gouvernement intérimaire (GIR dont j'ignorais encore le rôle central dans le génocide) et aux forces armées rwandaises (FAR) dont nous n'avions pu que constater la déliquescence face au FPR de Paul Kagame.
J'étais
interrogatif, mais en faire état publiquement m'était
interdit par le devoir de réserve imposé
par le statut général des militaires. On reproche souvent
aux Armées cette culture du silence, cette pression
constante qu'exercerait l'environnement militaire. En
réalité c'est surtout une culture du non-écrit. Vous
disposez en effet d'une grande liberté de parole en interne,
je ne me souviens pas qu'une seule fois un militaire m'ait
demandé de me taire, dans nos cercles "fermés". Ce qui est
proscrit en réalité, c'est de s'exprimer publiquement et
donc d'écrire.
Par exemple, mes différents patrons en unités opérationnelles m'ont toujours demandé d'effacer, de mes rapports de retour de mission, les parties qui questionnaient autrement que sur l'aspect technique de nos interventions, alors même qu'ils en discutaient ouvertement avec moi.
Bien peu de militaires écrivent donc, et leur rare production est trop souvent une autobiographie fastidieuse ou un hommage à leur capacité de ne pas s'exprimer. C'est particulièrement vrai pour le Rwanda où les quelques ouvrages d'origine militaire sont affligeants, des larmes de crocodile plus que d'honneur...
Par exemple, mes différents patrons en unités opérationnelles m'ont toujours demandé d'effacer, de mes rapports de retour de mission, les parties qui questionnaient autrement que sur l'aspect technique de nos interventions, alors même qu'ils en discutaient ouvertement avec moi.
Bien peu de militaires écrivent donc, et leur rare production est trop souvent une autobiographie fastidieuse ou un hommage à leur capacité de ne pas s'exprimer. C'est particulièrement vrai pour le Rwanda où les quelques ouvrages d'origine militaire sont affligeants, des larmes de crocodile plus que d'honneur...
Comment
cette histoire n'a cessé de m'occuper l'esprit
Ai-je
été silencieux pendant 20 ans ? Je crois n'avoir jamais
cessé d'en parler lors de "discussions privées", dîners
entre amis qui font vite comprendre qu'ils ne comprennent
pas forcément ce débat et discussions universitaires pendant
des cycles de formation où l'on vous écoute avec intérêt
mais sans que cela n'ait plus de suite. Il ne me semble pas
que c'était du désintérêt de ceux qui m'écoutaient, souvent
avec attention, mais cela ne dépassait jamais la sphère du
privé et n'était jamais relayé ou étendu à un débat, tout
cela restait de simples discussions privées.
Je dois ajouter aussi que, quelques mois après le Rwanda, je suis parti pour une autre mission compliquée, comme chef de TACP (en charge des frappes aériennes) du 1° REC (Régiment Étranger de Cavalerie, Orange) à Sarajevo. Et puis j'ai enchainé d'autres missions et le Rwanda s'éloignait...
Je dois ajouter aussi que, quelques mois après le Rwanda, je suis parti pour une autre mission compliquée, comme chef de TACP (en charge des frappes aériennes) du 1° REC (Régiment Étranger de Cavalerie, Orange) à Sarajevo. Et puis j'ai enchainé d'autres missions et le Rwanda s'éloignait...
Cependant
je continuais à gamberger sur ce sujet d'autant que j'ai
quelques amis rwandais dont les plaies ne se refermeront
jamais et dont le simple contact me rappelle inexorablement
le drame de 1994. Ce sont des Tutsis et des Hutus, ce sont
des Rwandais dont le point commun n'est pas l'esprit de
revanche ou de vengeance, mais d'avoir "connu" un génocide.
N'allez pas croire pour autant qu'ils m'aient demandé une
seule fois de témoigner, en réalité il leur est impossible
d'en parler. Si le sujet est évoqué, leurs yeux restent
ouverts mais leurs regards se vident, enfermés dans un monde
des ténèbres, l'indicible. Ces Rwandais ne m'ont jamais
demandé de témoigner, mais ils m'ont tous remercié de
l'avoir fait, quelles que soient leurs convictions.
Pourquoi je
n'ai pas été entendu par la Mission d'information
parlementaire
1997,
j'entends à la radio le débat parlementaire en Belgique,
sévère investigation sur leur rôle et leurs responsabilités,
je m'attends à un débat français, qui arrive enfin en 1998
avec la création de la mission d'information parlementaire
sur le Rwanda, présidée par Paul Quilès. Je pense qu'enfin
je vais être interrogé et que je vais pouvoir informer nos
parlementaires des sujets qui continuaient de m'interroger :
les missions de combat avec lesquelles nous sommes parties
dans une opération "humanitaire", la bienveillance dont nous
avons fait preuve à l'égard du GIR et des FAR dont
l'implication dans le génocide s'éclairait un peu plus
chaque jour, et surtout ce convoi d'armes vers le Zaïre...
je
vais demander d'être auditionné quand un ami, que je crois
particulièrement bien intentionné, vient m'avertir que la
MIP n'est surtout pas une commission d'enquête et que mes
interrogations y seraient très mal venues. Et puis je lis
dans le Monde le compte rendu d'audition de Jean Christophe
Mitterrand, dont les Rwandais parlaient beaucoup...
Une audition ?
- Bonjour cher monsieur comment allez-vous ?
- Vous avez quelque chose à voir avec le drame rwandais dans lequel il vaudrait mieux que vous n'eussiez rien à voir ?
- Non, à la bonne heure, merci et à bientôt.
Mon conseiller avait donc raison, cette mission n'enquête point, elle s'informe, recouvre et protège.
Je ravale ma déception et une certaine amertume. Je suis, mais de plus en plus loin, les débats du Tribunal pénal international pour le Rwanda, les quelques mises en accusation en Belgique et surtout en Suisse, ce refuge historique qui pour une fois refuse d'être le paradis des bourreaux. Et je continue à parler dans le désert d'un événement de plus en plus ancien... Je parle mais je ne suis pas entendu.
Une audition ?
- Bonjour cher monsieur comment allez-vous ?
- Vous avez quelque chose à voir avec le drame rwandais dans lequel il vaudrait mieux que vous n'eussiez rien à voir ?
- Non, à la bonne heure, merci et à bientôt.
Mon conseiller avait donc raison, cette mission n'enquête point, elle s'informe, recouvre et protège.
Je ravale ma déception et une certaine amertume. Je suis, mais de plus en plus loin, les débats du Tribunal pénal international pour le Rwanda, les quelques mises en accusation en Belgique et surtout en Suisse, ce refuge historique qui pour une fois refuse d'être le paradis des bourreaux. Et je continue à parler dans le désert d'un événement de plus en plus ancien... Je parle mais je ne suis pas entendu.
Comment j'ai
parlé à la presse...dans le vide
2005,
je quitte l'armée de terre,
ce sujet est toujours tapi dans l'ombre de ma mémoire, j'en discute régulièrement avec un ami suisse, diplomate engagé, j'aimerais que mon témoignage ne soit pas enterré dans les eaux sombres et sans fond de l'oubli... Lui, qui m'a accompagné pour la mission d'extraction de rescapés la plus difficile que nous ayons dû réaliser pendant l'opération Turquoise, s'exprime à travers les informations qu'il diffuse habilement pour que les génocidaires ne soient jamais en paix. J'aimerais en faire autant mais je n'ai jamais eu l'âme, ni les réseaux d'un enquêteur.
ce sujet est toujours tapi dans l'ombre de ma mémoire, j'en discute régulièrement avec un ami suisse, diplomate engagé, j'aimerais que mon témoignage ne soit pas enterré dans les eaux sombres et sans fond de l'oubli... Lui, qui m'a accompagné pour la mission d'extraction de rescapés la plus difficile que nous ayons dû réaliser pendant l'opération Turquoise, s'exprime à travers les informations qu'il diffuse habilement pour que les génocidaires ne soient jamais en paix. J'aimerais en faire autant mais je n'ai jamais eu l'âme, ni les réseaux d'un enquêteur.
2008,
je dirige maintenant, pour le groupe SNCF, les lignes
Transilien de Paris Saint Lazare, et en lisant un très grand
quotidien français, je récupère les coordonnées d'un
reporter international pour lui proposer d'évoquer le sujet
rwandais. Nous déjeunons ensemble tout près de Saint Lazare,
terminus des illusions. Ce reporter, qui connaît très bien
l'Afrique, m'écoute avec intérêt. "Intéressant, mais tout
cela est connu..." Je tombe un peu de l'armoire, alors ce
que j'essayais de dire depuis des années est enfin connu,
analysé, expliqué ? Il n'est pas aussi affirmatif, mais ne
voit pas comment il pourrait utiliser ma matière. Retour au
fond du lac.
2009,
je récidive avec un autre grand reporter du même grand
journal, un autre spécialiste de l'Afrique, il m'écoute avec
le même intérêt et me fait à peu près la même réponse,
"intéressant mais déjà connu". Et là je me range à
l'évidence, mes questions sur le rôle de la France dans le
drame rwandais sont "publiques" et il faut maintenant
laisser les historiens démêler les fils de l'écheveau. Je
suis rassuré et presque un peu déçu, de n'avoir
rien fait pour aider à temps ce débat salutaire.
rien fait pour aider à temps ce débat salutaire.
Pourquoi
j'ai commencé à écrire
2012,
revers de fortune,
je suis au chômage, pardon en "transition professionnelle" et je m'ennuie. J'ai l'habitude de grosses journées de travail, mais même avec 3 à 4 rendez-vous par jour, je dispose d'un temps libre auquel je ne suis pas habitué. Mes proches s'inquiètent de me voir tourner comme un lion en cage. Ma fille aînée, qui travaille depuis plusieurs années dans l'édition, me propose d'écrire un livre, pour m'occuper. J'ai besoin d'une matière originale et qu'en même temps je connaisse suffisamment, je choisis d'abord le Cambodge et puis finalement le Rwanda pour écrire...un polar ethnologique. Mais impossible de construire une trame policière qui tienne la route, autrement qu'en plagiant ce que j'ai lu chez de bons auteurs.
je suis au chômage, pardon en "transition professionnelle" et je m'ennuie. J'ai l'habitude de grosses journées de travail, mais même avec 3 à 4 rendez-vous par jour, je dispose d'un temps libre auquel je ne suis pas habitué. Mes proches s'inquiètent de me voir tourner comme un lion en cage. Ma fille aînée, qui travaille depuis plusieurs années dans l'édition, me propose d'écrire un livre, pour m'occuper. J'ai besoin d'une matière originale et qu'en même temps je connaisse suffisamment, je choisis d'abord le Cambodge et puis finalement le Rwanda pour écrire...un polar ethnologique. Mais impossible de construire une trame policière qui tienne la route, autrement qu'en plagiant ce que j'ai lu chez de bons auteurs.
Alors
je prends un autre parti, raconter comment se passe une
opération militaire, vue de l'intérieur de l'opération, par
ses acteurs mêmes. Je veux donner une image de ce qu'est en
réalité une intervention militaire, non pas une analyse
stratégico-politique, non plus un témoignage poignant de
victime ou horrifiant de bourreau. Et je m'aperçois qu'il
existe très peu de ce type de récit, je me mets donc au
travail avec ma fille comme (redoutable) conseillère de
rédaction qui me fait réécrire intégralement deux fois mon
manuscrit.
Elle veut que je sorte de l'autobiographie, "qui n'intéressera personne et oblige à se justifier à toutes la pages", j'invente donc un personnage féminin comme observatrice en même temps qu'actrice de l'action à laquelle elle participe. Ma fille m'oblige aussi à effacer mon point de vue dans le récit pour laisser le lecteur seul juge de ce que je décris. Un exercice difficile, auquel je me plie sous sa pression.
Elle veut que je sorte de l'autobiographie, "qui n'intéressera personne et oblige à se justifier à toutes la pages", j'invente donc un personnage féminin comme observatrice en même temps qu'actrice de l'action à laquelle elle participe. Ma fille m'oblige aussi à effacer mon point de vue dans le récit pour laisser le lecteur seul juge de ce que je décris. Un exercice difficile, auquel je me plie sous sa pression.
Comment mon
roman fait voler en éclats la version officielle de
l'opération Turquoise
2013,
je termine enfin ce livre, Vents sombres sur le lac
Kivu,
dont le titre initial était Carnet d'opération de la capitaine Victoire Guillaumin. C'est un roman, j'ai modifié tous les noms mais je raconte avec précision ce dont je me souviens du déroulement et des enchaînements de cette opération, de la mise en alerte à la dernière extraction vraiment compliquée de rescapés tutsis. J'essaie de respecter aussi les dates, mais sans y apporter plus d'attention, ce n'est pas un document historique mais un roman "autrement" sur un drame historique.
dont le titre initial était Carnet d'opération de la capitaine Victoire Guillaumin. C'est un roman, j'ai modifié tous les noms mais je raconte avec précision ce dont je me souviens du déroulement et des enchaînements de cette opération, de la mise en alerte à la dernière extraction vraiment compliquée de rescapés tutsis. J'essaie de respecter aussi les dates, mais sans y apporter plus d'attention, ce n'est pas un document historique mais un roman "autrement" sur un drame historique.
J'ai
conscience de ne donner qu'un éclairage partiel et limité à
mon expérience concrète, mais je ne veux pas inventer
d'histoires, à l'exception de celle de la dernière famille
sauvée, comme une trame parallèle à notre rencontre.
J'ai peur que ma mémoire me trahisse, 20 ans après, alors je m'oblige à reconstituer
l'enchaînement des faits, sans jamais regarder le carnet d'opération que je tenais à cette époque. C'est seulement une fois le premier manuscrit achevé que je l'ai ouvert, et je n'y ai trouvé aucune contradiction, quelques inversions de dates et d'événements qui expliquent les décalages qui existent entre mes témoignages et le roman, mais surtout deux aspects troublants : les noms que je croyais avoir inventés existent tous, ce sont en général les prénoms de ceux dont je voulais garder l'anonymat. Et surtout, les mots que j'ai utilisé pour décrire les faits 20 ans auparavant sont les mêmes...curieuse fonction que la mémoire.
J'ai peur que ma mémoire me trahisse, 20 ans après, alors je m'oblige à reconstituer
l'enchaînement des faits, sans jamais regarder le carnet d'opération que je tenais à cette époque. C'est seulement une fois le premier manuscrit achevé que je l'ai ouvert, et je n'y ai trouvé aucune contradiction, quelques inversions de dates et d'événements qui expliquent les décalages qui existent entre mes témoignages et le roman, mais surtout deux aspects troublants : les noms que je croyais avoir inventés existent tous, ce sont en général les prénoms de ceux dont je voulais garder l'anonymat. Et surtout, les mots que j'ai utilisé pour décrire les faits 20 ans auparavant sont les mêmes...curieuse fonction que la mémoire.
2014,
je publie en février Vents sombres sur le lac Kivu,
après avoir essuyé pendant un an les refus polis des
éditeurs frileux.
C'est la publication de ce roman qui va déclencher mon témoignage public.
Très rapidement, il apparaît que mon récit, que je considérais comme une matière connue, est en réalité incompatible avec la version officielle de l'opération Turquoise. Je l'ai compris lors d'un colloque privé en mars, qui réunissait des historiens, des hommes politiques et des diplomates pour examiner justement le rôle de la France dans le drame rwandais. J'étais invité du fait de la publication de mon roman, mais comme témoin direct de
C'est la publication de ce roman qui va déclencher mon témoignage public.
Très rapidement, il apparaît que mon récit, que je considérais comme une matière connue, est en réalité incompatible avec la version officielle de l'opération Turquoise. Je l'ai compris lors d'un colloque privé en mars, qui réunissait des historiens, des hommes politiques et des diplomates pour examiner justement le rôle de la France dans le drame rwandais. J'étais invité du fait de la publication de mon roman, mais comme témoin direct de
l'intervention
française. J'ai raconté, devant l'assemblée qui pensait bien
connaître le sujet, ce que j'avais fait pendant l'opération
Turquoise, à mon niveau modeste mais très opérationnel... et
j'ai vu 24 mâchoires se décrocher. Je croyais avoir publié
une matière connue et depuis longtemps intégrée dans les
travaux des historiens, j'ai vu leur stupéfaction en
m'entendant.
Bien
sûr, certains m'ont assuré par la suite qu'ils
"connaissaient" une grande
partie de ce que je racontais, mais ils n'en avaient jamais eu la confirmation par un acteur opérationnel de cette intervention, ni un récit cohérent et argumenté. J'ai dû faire face à quelques réactions surprenantes. D'abord, et je crois être resté très poli, un des intervenants, plus politique qu'historien, a tenté de m'expliquer devant l'assemblée effarée qu'en fait je n'avais pas bien compris les missions qui m'avaient été confiées et que tout cela n'était que malentendu, puisque lui savait quels ordres avaient été donnés...
partie de ce que je racontais, mais ils n'en avaient jamais eu la confirmation par un acteur opérationnel de cette intervention, ni un récit cohérent et argumenté. J'ai dû faire face à quelques réactions surprenantes. D'abord, et je crois être resté très poli, un des intervenants, plus politique qu'historien, a tenté de m'expliquer devant l'assemblée effarée qu'en fait je n'avais pas bien compris les missions qui m'avaient été confiées et que tout cela n'était que malentendu, puisque lui savait quels ordres avaient été donnés...
Beaucoup
plus subtile fut la réaction du président du colloque :
"c'est une question d'interprétation de faits qui doivent
être resitués dans un contexte plus global et dont vous
ignorez certains aspects." Et de conclure naturellement
qu'il serait mieux que je m'adapte à l'édifice plutôt que
d'en perturber l'agencement.
Certes, mais son changement de couleur quand j'ai parlé des premières missions de combat qui nous avaient été confiées, du soutien apporté au gouvernement intérimaire et surtout de la livraison d'armes en pleine mission humanitaire, en disait plus long que son discours et montrait sans ambiguïté les lacunes de la mission d'informations parlementaire qu'il connaissait mieux que personne.
Certes, mais son changement de couleur quand j'ai parlé des premières missions de combat qui nous avaient été confiées, du soutien apporté au gouvernement intérimaire et surtout de la livraison d'armes en pleine mission humanitaire, en disait plus long que son discours et montrait sans ambiguïté les lacunes de la mission d'informations parlementaire qu'il connaissait mieux que personne.
Cela
me choque beaucoup, car comment comprendre ce qui s'est
passé et s'assurer qu'un tel drame ne puisse se reproduire
si on ne connaît même pas les pièces du puzzle ? C'est un
défi à l'intelligence collective que je ne peux accepter :
la version officielle est terriblement éloignée de la
réalité opérationnelle, dont je ne connais encore une fois
qu'une infime partie, mais tragiquement incompatible.
Comment comprendre si on ne sait pas ?
Pourquoi
j'ai accepté de témoigner publiquement
Avril
2014, 20 ans après les faits,
j'ai souhaité témoigner publiquement sur les quelques pièces de puzzle que je possède, pour qu'on arrête d'endormir les Français avec une version officielle qui est un déni du rôle de notre nation dans le drame rwandais et un affront à l'intelligence de nos citoyens, "dormez en paix, il ne s'est rien passé".
Le monde entier commémore les 20 ans du génocide rwandais, et je n'ai eu aucun mal à trouver des journalistes sérieux, qui travaillent depuis des années sur le sujet et ont souvent eux-mêmes publié, pour s'intéresser à mon témoignage et le diffuser au public.
En 2014, nous ne savons toujours pas quel a été le rôle réel de la France dans le drame rwandais, parce que des zones d'ombre sont soigneusement gardées pour masquer de graves erreurs.
j'ai souhaité témoigner publiquement sur les quelques pièces de puzzle que je possède, pour qu'on arrête d'endormir les Français avec une version officielle qui est un déni du rôle de notre nation dans le drame rwandais et un affront à l'intelligence de nos citoyens, "dormez en paix, il ne s'est rien passé".
Le monde entier commémore les 20 ans du génocide rwandais, et je n'ai eu aucun mal à trouver des journalistes sérieux, qui travaillent depuis des années sur le sujet et ont souvent eux-mêmes publié, pour s'intéresser à mon témoignage et le diffuser au public.
En 2014, nous ne savons toujours pas quel a été le rôle réel de la France dans le drame rwandais, parce que des zones d'ombre sont soigneusement gardées pour masquer de graves erreurs.
Pour
ceux qui se demanderaient si mon témoignage public n'est pas
une habile promotion du livre, les éditeurs expliquent mieux
que moi qu'une polémique détourne de la lecture.
Concrètement ceux qui parlent aujourd'hui de cette
controverse n'ont jamais lu mon roman et se contentent en
réalité des trois paragraphes d'un article. Je le regrette,
parce que je crois que ce livre constitue aujourd'hui une
des images plus réalistes de l'opération Turquoise. Il
montre en particulier le grand professionnalisme de mes
compagnons d'armes, l'immense chaos auquel il fallait faire
face au quotidien et enfin la confusion dans laquelle nous
avions été consciencieusement laissés sur les
responsabilités effrayantes de ceux que nous avons soutenus
de fait.
Pourquoi ce
débat doit avoir lieu
Que
ma démarche soit claire, en tant que citoyen, j'aimerais
savoir quelles décisions d'intervention de la France au
Rwanda ont été prises, qui en a décidé, avec quels objectifs
et sur les conseils de qui. En tant qu'ancien militaire,
j'aimerais que cela ne consiste pas à demander des comptes à
mes compagnons d'armes qui ont mené cette opération de
manière très professionnelle, comme on l'attendait d'eux, et
dont je suis solidaire.
Je veux que ce débat ait lieu, et sans attendre que les protagonistes aient disparu comme nous l'avons fait si courageusement après la guerre d'Algérie.
Je veux que ce débat ait lieu, et sans attendre que les protagonistes aient disparu comme nous l'avons fait si courageusement après la guerre d'Algérie.
Un
mot enfin sur tous ceux qui m'ont "conseillé" de me taire,
ils sont nombreux, ils ont tous de bonnes raisons : je fais
polémique, ce n'est pas à moi de porter ce débat, je
pourrais compromettre ma carrière professionnelle, je ne
respecte pas l'obligation de réserve qui devrait s'étendre
même au delà du service actif, je brise la culture du
silence, mes propos pourraient être compris comme une
critique de mes compagnons d'armes, j'alimente une polémique
internationale, je questionne l'image de la France, je mets
en difficulté des décideurs politiques encore (très)
influents qui me neutraliseront, j'attire l'attention sur
des opérations financières qui ne doivent pas être
dévoilées, je me mets inutilement en avant, je ne me protège
pas assez, je n'épargne pas les miens, je ne peux pas partir
en croisade, je serai seul, je gêne...
Et bien s'il me fallait une seule raison pour parler, ce serait justement celle-ci : qu'on me conseille de me taire. Je me tairais quand ceux qui devraient parler se mettront à témoigner et que nous pourrons rendre hommage, dignement, aux centaines de milliers de victimes que, peut être, nous aurions pu empêcher.
Je
publierai, dans les semaines qui viennent, quelques articles
sur des événements clefs du rôle de la France au Rwanda dont
j'ai été témoin.Et bien s'il me fallait une seule raison pour parler, ce serait justement celle-ci : qu'on me conseille de me taire. Je me tairais quand ceux qui devraient parler se mettront à témoigner et que nous pourrons rendre hommage, dignement, aux centaines de milliers de victimes que, peut être, nous aurions pu empêcher.
Ces articles sont destinés à ceux qui s'intéressent à la reconstitution intelligente du puzzle des événements qui doit permettre de comprendre et aussi de juger par soi-même...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire