source : Fédélib.
Est-elle toujours le bon moyen pour faire triompher des revendications ?
La dernière lutte des cheminots, aussi légitime et justifiée soit-elle, repose cette question qui devient lancinante depuis des décennies.
La grève – arrêt collectif du travail – avait, à son origine un but bien précis : montrer au patron qu’il avait besoin de ses salariés et que si ceux-ci arrêtaient leur travail, il perdrait beaucoup d’argent. C’était donc un excellent moyen de pression, l’instrument d’un rapport de force posant la question : qui cèdera le premier ?
L’évolution du capitalisme a modifié les données d’utilisation de cette arme :
- l’organisation industrielle du travail, en multipliant les catégories de salariés a divisé ce qui pouvait apparaître comme un bloc homogène. Le patronat a d’ailleurs habilement joué sur cette division potentielle pour affaiblir la grève ;
- la « liberté du travail » – présentée comme une valeur essentielle a été un élément supplémentaire pour affaiblir le mouvement de grève – condamnation des « piquets de grève » ;
- l’éclatement des structures de l’entreprise, en multipliant les sites de production a rendu difficile la communication et l’expression de la solidarité ;
- la mondialisation de la production, par l’apparition d’entreprises délocalisées et d’un marché mondial de la force de travail, a relativisé le poids des salariés dans le rapport de force avec le Capital au point de rendre le recours à la grève obsolète ;
- la manipulation de l’opinion publique par les médias a exercé, et exerce, une pression constante pour dénoncer la grève « preneuse d’otages » auprès des usagers et clients.
La grève n’est donc plus ce qu’elle était au 19e siècle et même au 20e, ou du moins, son efficacité est à revoir.
Il est évident que les syndicats de salariés auraient dû, à la fois, être attentifs à cette évolution et réfléchir à la nouvelle donne imposée par le Capital. Largement divisés, encroûtés dans des intérêts bureaucratiques et politiciens, ils n’ont rien vu – ou voulu voir - venir. Leurs méthodes d’actions sont restées ce qu’elles étaient au 19e siècle avec l’efficacité (sic) que l’on peut observer aujourd’hui.
La grève, en l’état actuel de l’économie mondiale capitaliste, peut devenir une arme à double tranchant et se retourner contre les salariés,… non seulement elle permet de constituer un excellent prétexte pour liquider une entreprise jugée « pas assez rentable », mais sa « production » peut être aujourd’hui largement compensée par d’autres produits, et si ce n’est pas le cas, l’impopularité – appuyée par les médias – isole les salariés en lutte.
De plus, les contraintes qui s’exercent sur le gouvernement – et qu’il accepte - en matière d’organisation économique, lui laisse peu de marge de manœuvre pour céder aux revendications (contraintes imposées par la Commission Européenne, le FMI, l’OMC,...). De manière générale, dans un contexte d’économie marchande mondialisée, le Capital a de moins en moins les moyens – et la volonté – de se « payer la paix sociale comme il le faisait autrefois.
Les grèves, comme c’est le cas de la dernière action à la SNCF, s’éteignent comme des bougies,….dépérissent, s’arrêtent dans l’indifférence générale. Il n’y a plus, depuis des années une seule grève qui puisse affirmer avoir été victorieuse (des noms ?).
Souvent, comme ça été le cas à la SNCF lors de la dernière grève, sans parler des syndicats qui acceptent, de fait, les réformes, d’autres comme la CGT ont accepté de jouer un jeu ambigu : protestation symbolique mais acceptation de la réforme moyennant quelques petits aménagements… la grève ne venant que d’une base qui déborde les appareils syndicaux. Vu la configuration politico-médiatico-syndicale de notre société, un tel mouvement ne peut que finalement s’essouffler,… c’est bien ce qui s’est produit.
La question : « la grève est-elle toujours le bon moyen pour faire triompher des revendications ? » s’impose.
Les syndicats sont, bien entendu, incapables d’imaginer une autre forme d’action. Encroûtés dans leurs certitudes obsolètes, ils ne savent que reproduire ce qu’ils connaissent. De plus, il est probable qu’ils adhèrent aujourd’hui à l’idéologie dominante de la soi-disante « modernisation » qui consiste à rentabiliser et liquider les services publics,… même si leurs discours disent le contraire. Les faits sont là.
Les luttes d’aujourd’hui, et de demain, doivent donc se fonder sur autre chose que le simple arrêt du travail.
La bataille de l’opinion publique, et en particulier, dans ce qui reste de service public – ou ce qui était service public - est essentielle… C’est donc en revenant aux fondamentaux du service public que la lutte doit se concentrer. Faire fonctionner le service public, comme il se doit, en organisant la « grève de la gratuité » (transports déclarés gratuits) présenterait l’avantage d’exercer une pression intolérable sur le Pouvoir tout en s’alliant les usagers. Bien sûr cette pratique est illégale,… comme l’était d’ailleurs la grève au 19e siècle quand les salariés ont conquis ce droit. Cette idée, maintes fois évoquée n’a curieusement jamais été reprise sérieusement par les syndicats qui se réfèrent frileusement à une action qu’ils savent aujourd’hui stérile.
L’imagination et l’audace en matière d’innovation dans le domaine des luttes ont encore des progrès à faire !
PM
21 juin 2014