Source : Politis
publié le 21 février 2018
Le sort de la
SNCF se jouera, comme en 1995, dans l’opinion publique. En cas de coup
de force du gouvernement, c’est l’aptitude des syndicats à faire
comprendre et partager leur cause qui sera décisive.
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Tout porte à croire que nous sommes à la veille
d’un conflit de grande ampleur dont l’enjeu ne sera pas seulement le
sort de la SNCF, mais un peu de l’avenir de notre philosophie sociale.
Le chamboule-tout suggéré par Jean-Cyril Spinetta est d’une telle
violence que la perspective d’un affrontement est aujourd’hui bien plus
qu’une hypothèse [1]. Confrontées à l’offensive libérale, les grandes
nations capitalistes ont toutes connu leur heure de vérité. Aux
États-Unis, on se souvient de la grève des contrôleurs du ciel en 1981,
et au Royaume-Uni, du bras de fer entre les mineurs et Margaret
Thatcher, en 1984 et 1985. Il n’est pas impossible qu’une opposition à
ce qu’il est convenu d’appeler « la réforme de la SNCF » ait, chez nous,
cette portée historique. Vous me direz que la comparaison n’est pas
très encourageante pour nos cheminots.
En août 1981, Ronald Reagan avait viré sans autre forme de procès près de 12 000 agents du contrôle aérien. Toute une profession rayée d’un trait de plume, et remplacée par l’armée, comme dans une bonne vieille dictature. Et plus dramatique encore fut la grève des mineurs britanniques. Le conflit dura un an et tourna à la guerre civile quand l’irascible Margaret Thatcher fit donner la troupe contre les piquets de grève. Dans les deux cas, les affrontements entre les syndicats et l’État avaient comme caractéristiques de toucher des secteurs stratégiques de l’économie. Et leur issue a conditionné le rapport de force sans doute pour des décennies. La victoire du couple diabolique Reagan-Thatcher a même emporté le monde dans le tourbillon libéral que l’on sait. Les mots « concurrence » et « déréglementation » ont envahi l’espace médiatico-politique. Inversement, les concepts de conflictualité sociale ont disparu durablement de notre vocabulaire. Le monde a changé, et pas dans le meilleur sens du point de vue du rapport capital-travail. Ce qu’on appelle improprement « la réforme » a aujourd’hui ses dévots jusque dans le monde syndical. La CFDT jouera cette fois encore un rôle décisif et ses dirigeants sont loin d’être acquis à l’idée d’une confrontation. Malgré cela, les chemins de fer français peuvent-ils tout de même être au cœur d’un conflit d’envergure ? Oui, sans doute.
Personne n’a oublié qu’une tentative de réforme de la SNCF avait déjà entraîné le pays dans la paralysie en 1995. La victoire avait été au rendez-vous parce que le mouvement s’était étendu à tous les services publics, et que l’opinion avait suivi. On avait parlé à l’époque d’une grève par procuration : ceux qui avaient encore le pouvoir d’agir allaient se battre au nom de ceux, souvent travailleurs du privé, qui n’en avaient plus les moyens. Si les conditions ont changé depuis 1995, il n’en reste pas moins vrai que le sort de la SNCF se jouera, comme cela avait été le cas à l’époque, dans l’opinion publique. C’est l’aptitude des syndicats à faire comprendre et partager leur cause qui sera décisive. Et leur capacité à montrer que l’affaire dépasse de beaucoup les limites d’une entreprise, fût-elle l’un des principaux employeurs du pays. À l’inverse, le gouvernement fera tout pour ramener l’affaire à un débat sur la gestion d’une entreprise. Il fait déjà feu de tout bois dans la presse.
Une logique apparemment irréfragable est à l’œuvre : trois milliards d’euros de déficit chaque année, des trains express régionaux aux trois quarts vides, un réseau vieillissant, des pannes et des retards à répétition… J’en passe et de pires. Et, bien sûr, ces cheminots, tellement privilégiés et qui coûtent si cher à la collectivité. Comme on le voit, le prélude à la bataille est d’abord médiatique. L’autre argument, qui n’est pas sans portée, c’est évidemment l’Europe. Le changement de statut de la société qui s’apparente, qu’on le veuille ou non, à un processus de privatisation nous est dicté par « Bruxelles ». Plus rien ne peut ni ne doit échapper à la concurrence. Nous n’avons donc plus le choix. C’est l’invitation au fatalisme. Face à cet argumentaire, il ne s’agit évidemment pas de nier les défaillances actuelles de la SNCF, ni de s’arc-bouter sur un conservatisme d’un autre âge, mais de se demander si les « solutions » préconisées dans le rapport Spinetta n’aggraveraient pas la situation, tout en condamnant l’idée même de service public.
D’autant plus que la menace de suppression de 120 000 postes de fonctionnaires arrive au même moment, comme la promesse de les remplacer par des « contractuels », forcément précaires. Le capitalisme libéral avance inexorablement. C’est cette dimension globale que les syndicats auront à donner. Ils devront parler aux citoyens quand le gouvernement s’adressera à l’usager. Et ils auront besoin pour cela des maigres forces de la gauche politique. Si le conflit prend de l’ampleur, chacun pourra au moins nous dire qui il est. On peut donc imaginer qu’un conflit d’envergure, s’il a lieu, aura aussi des conséquences sur le paysage politique à gauche.
[1] Voir l’article d’Erwan Manac’h ici.
En août 1981, Ronald Reagan avait viré sans autre forme de procès près de 12 000 agents du contrôle aérien. Toute une profession rayée d’un trait de plume, et remplacée par l’armée, comme dans une bonne vieille dictature. Et plus dramatique encore fut la grève des mineurs britanniques. Le conflit dura un an et tourna à la guerre civile quand l’irascible Margaret Thatcher fit donner la troupe contre les piquets de grève. Dans les deux cas, les affrontements entre les syndicats et l’État avaient comme caractéristiques de toucher des secteurs stratégiques de l’économie. Et leur issue a conditionné le rapport de force sans doute pour des décennies. La victoire du couple diabolique Reagan-Thatcher a même emporté le monde dans le tourbillon libéral que l’on sait. Les mots « concurrence » et « déréglementation » ont envahi l’espace médiatico-politique. Inversement, les concepts de conflictualité sociale ont disparu durablement de notre vocabulaire. Le monde a changé, et pas dans le meilleur sens du point de vue du rapport capital-travail. Ce qu’on appelle improprement « la réforme » a aujourd’hui ses dévots jusque dans le monde syndical. La CFDT jouera cette fois encore un rôle décisif et ses dirigeants sont loin d’être acquis à l’idée d’une confrontation. Malgré cela, les chemins de fer français peuvent-ils tout de même être au cœur d’un conflit d’envergure ? Oui, sans doute.
Personne n’a oublié qu’une tentative de réforme de la SNCF avait déjà entraîné le pays dans la paralysie en 1995. La victoire avait été au rendez-vous parce que le mouvement s’était étendu à tous les services publics, et que l’opinion avait suivi. On avait parlé à l’époque d’une grève par procuration : ceux qui avaient encore le pouvoir d’agir allaient se battre au nom de ceux, souvent travailleurs du privé, qui n’en avaient plus les moyens. Si les conditions ont changé depuis 1995, il n’en reste pas moins vrai que le sort de la SNCF se jouera, comme cela avait été le cas à l’époque, dans l’opinion publique. C’est l’aptitude des syndicats à faire comprendre et partager leur cause qui sera décisive. Et leur capacité à montrer que l’affaire dépasse de beaucoup les limites d’une entreprise, fût-elle l’un des principaux employeurs du pays. À l’inverse, le gouvernement fera tout pour ramener l’affaire à un débat sur la gestion d’une entreprise. Il fait déjà feu de tout bois dans la presse.
Une logique apparemment irréfragable est à l’œuvre : trois milliards d’euros de déficit chaque année, des trains express régionaux aux trois quarts vides, un réseau vieillissant, des pannes et des retards à répétition… J’en passe et de pires. Et, bien sûr, ces cheminots, tellement privilégiés et qui coûtent si cher à la collectivité. Comme on le voit, le prélude à la bataille est d’abord médiatique. L’autre argument, qui n’est pas sans portée, c’est évidemment l’Europe. Le changement de statut de la société qui s’apparente, qu’on le veuille ou non, à un processus de privatisation nous est dicté par « Bruxelles ». Plus rien ne peut ni ne doit échapper à la concurrence. Nous n’avons donc plus le choix. C’est l’invitation au fatalisme. Face à cet argumentaire, il ne s’agit évidemment pas de nier les défaillances actuelles de la SNCF, ni de s’arc-bouter sur un conservatisme d’un autre âge, mais de se demander si les « solutions » préconisées dans le rapport Spinetta n’aggraveraient pas la situation, tout en condamnant l’idée même de service public.
D’autant plus que la menace de suppression de 120 000 postes de fonctionnaires arrive au même moment, comme la promesse de les remplacer par des « contractuels », forcément précaires. Le capitalisme libéral avance inexorablement. C’est cette dimension globale que les syndicats auront à donner. Ils devront parler aux citoyens quand le gouvernement s’adressera à l’usager. Et ils auront besoin pour cela des maigres forces de la gauche politique. Si le conflit prend de l’ampleur, chacun pourra au moins nous dire qui il est. On peut donc imaginer qu’un conflit d’envergure, s’il a lieu, aura aussi des conséquences sur le paysage politique à gauche.
[1] Voir l’article d’Erwan Manac’h ici.
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