Publié par : M le magazine du Monde
CETTE SEMAINE DÉBUTE DANS LE BORDELAIS le marathon des dégustations en
primeur du millésime 2012. Ils seront des centaines à défiler dans les
châteaux, les uns en minibus pour un "tasting" de groupe, les autres en
limousines pour une dégustation privée, c'est selon le statut et le
pouvoir d'achat. Pour les nouveau-nés, rappelons-en le principe : les
propriétaires soumettent les vins de la vendange précédente aux fins
palais des experts, courtiers ou négociants, et les proposent au prix
qu'ils estiment juste selon la qualité et la conjoncture. Le vin n'est
pas "fini" et ne sera disponible que deux ans plus tard mais le château
assure ainsi sa trésorerie et l'acheteur parie - à tarif préférentiel -
sur la qualité et la valeur futures du flacon. D'où l'importance de la
dégustation "en primeur", pour jauger le plaisir ou supputer le profit à
venir.
Parmi les tanins subtils et prometteurs, les arômes de pruneaux, de
toast, d'épices, de vanille ou de vieux cartable en cuir de Cordoue -
que ne manqueront pas d'identifier ces dégustateurs émérites -, combien
vont déceler des notes de cyprodinil, d'iprodione, d'azoxystrobin, de
procymidone ou de pyriméthanil ? Aucun, bien sûr ! Parce que les
pesticides ne figurent pas au protocole officiel de la dégustation et
que ces molécules phytosanitaires ne sont détectables qu'en laboratoire.
Mais elles y sont.
Comment pourrait-il en être autrement en France, premier utilisateur
européen de pesticides (62 700 tonnes en 2011), où la vigne occupe 3,7 %
de la surface agricole utile et consomme 20 % des pesticides. Les
chiffres sont têtus. En dépit des plans de réduction de 50 % de
l'utilisation des produits phytosanitaires à moyen terme, celle-ci a
progressé dans l'agriculture de 2,6 % entre 2008 et 2010 et de 2,7 %
entre 2010 et 2011, selon le laboratoire Excell, fondé par Pascal
Chatonnet, oenologue et gérant de plusieurs vignobles familiaux à
Pomerol et Saint-Emilion.
Lors d'une conférence en février dernier à Bordeaux, Excell a révélé les
résultats d'analyses sur 300 vins d'Aquitaine et de la vallée du Rhône
(2007 et 2008), dans lesquels le labo a recherché 50 matières actives.
Seulement 10 % des échantillons (principalement bios) ne contenaient
aucun pesticide. Les 90 % restants en hébergeaient au moins un - souvent
un fongicide - et jusqu'à neuf différents dans un seul vin.
Tous les taux donnés par Excell sont bien en dessous des LMR, les
fameuses "limites maximales de résidus", en deçà desquelles il n'y a pas
danger pour la santé, à en croire ceux qui les fixent. Seul problème, il
n'existe pas de LMR pour le vin, la référence étant celle des raisins de
cuves qui, de l'avis général, n'est pas pertinente parce que trop
élevée. Si les études sur la présence de pesticides dans les fruits et
légumes, le lait ou l'eau sont courantes, elles sont rares et
confidentielles pour le vin (Etude PAN 2008, Que Choisir 2011, 60
Millions de Consommateurs 2012). Toutes aboutissent pourtant au même
résultat et révèlent des traces de pesticides dans la plupart des vins,
sauf les bios, même si certains sont parfois contaminés par le voisinage.
En l'absence de LMR crédible, le consommateur comme le producteur
restent dans le flou. Le vignoble a certes pris conscience des effets de
la pollution chimique sur les sols, la vigne et les raisins mais
celle-ci semble s'arrêter à l'entrée de la cave, tel le nuage de
Tchernobyl au-dessus des Vosges. En devenant vin, le jus de la vigne,
par la magie du chai, gagne une immunité tacite en recherche
phytosanitaire. S'y livrer et publier les résultats passent pour une
agression contre "la filière déjà attaquée de toutes parts". Donc motus
et bouche cousue.
Ce silence sera un jour brisé car l'exception vineuse en matière de LMR
est appelée à disparaître. Depuis 2008, celles-ci sont fixées au niveau
européen et s'appliquent déjà à plus de 300 produits frais ou
transformés. Le merlot et la syrah ne pourront y échapper éternellement,
or fixer le niveau maximum de résidus tolérables dans la bouteille
revient à reconnaître - de facto - leur existence. Pascal Chatonnet et
son labo ont anticipé cette issue inéluctable et proposent un service
nouveau, "+ Nature by Excell", qui à partir de ses propres LMR fixées
unilatéralement permettrait de réduire l'usage des pesticides et
d'introduire des pratiques alternatives dans le traitement de la vigne.
En attendant, la meilleure solution reste de consommer des vins bios.
jpgene.cook@gmail.com
JP Géné
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