Le Conseil national de la Résistance fut réactivé l'été 2008. Le CNR en Midi-Pyrénées est la déclinaison régionale de ce réseau organisé pour mener une résistance créatrice d'alternatives. Nous contribuons ainsi par notre action politique coopérative à construire Un Autre Monde...
"Créer, c'est Résister. Résister, c'est créer."
Grand
chantier collectif
organisé à la Chapelle !
Au menu :
monter un échafaudage géant pour approcher les
étoiles !
assembler une cabane en bois qui ne vient pas du
géant suédois mais
de l’ancien squat du
Houla-Oups’ !!
élaguer quelques branches du figuier qui menacent
d’atterrir chez le
voisin ...
aider à l’édification de la KIOSK
Tower, la librairie-bibliothèque autogérée !
mais
aussi :
nettoyer les gouttières des appentis et de la
petite maison
ranger les chaises et les tables et les nettoyer
/ réparer...
Quelque
soit vos compétences,
venez nous aider ! nous
encourager ! ... prendre
en photo le chantier !
Écrivez à contact@atelierideal.lautre.net
pour nous dire à quelle
heure vous pensez amener
le fondant au chocolat
du goûter !
Rendez-vous
samedi 29 juillet
| 10h30 @ La
Chapelle
...
et la collecte de
dons
se termine lundi 31
juillet !
Notre
1ère collecte de dons
destinée à financer
les travaux se termine
ce lundi 31 juillet !
Déjà plus de 240
donateurs·trices pour
presque 25 000 € ! Et
même quasiment 30 000
€ du fait de promesses
de dons...
Largement
de quoi démarrer les
travaux, mais nous
aurons également des
frais liés à la
signature du bail
emphytéotique et de
la promesse de vente...
alors aidez-nous à
gonfler notre
collecte !
Si vous n'avez pas
encore donné et que
vous avez l'intention
de le faire, il vous
reste 5 jours !
Produire
ou servir plus, avec moins : c’est l’injonction faite à tous les
travailleurs, des chaînes de montage automobiles aux couloirs des
hôpitaux, en passant par les salles de classe ou les bureaux de poste. A
la souffrance de ces boulots dégradés, s’ajoute la précarité
grandissante de travailleurs qui quittent le salariat pour la
« liberté » de l’auto-entrepreunariat. Une violence sociale féroce dans
laquelle les journalistes Julien Brygo et Olivier Cyran ont plongé pour
écrire leur ouvrage Boulots de merde. Ils y décrivent l’âpre
quotidien de celles et ceux qui exercent des métiers difficiles et
souvent utiles, à comparer avec certains boulots très bien payés et
plutôt confortables, mais qu’ils jugent socialement nuisibles.
Entretien.
Basta ! : Le titre de votre livre, Boulots de merde, se réfère au texte de l’anthropologue David Graeber sur les « bullshit jobs » [1].
Il y décrit les métiers absurdes qu’induit le capitalisme financier,
tels que ceux exercés par les avocats d’affaire, lesquels s’ennuient
prodigieusement au travail. Mais pour vous, les bullshit jobs ne
concernent pas que les cols blancs, loin s’en faut. Pourquoi ? Julien Brygo et Olivier Cyran [2] :
Nous avons été séduits par cette idée de David Graeber selon laquelle,
dans le capitalisme financier, des millions d’individus sont employés à
ne rien faire d’utile, comme effectivement les avocats d’affaire : ils
sont bien payés et très reconnus socialement, mais ils s’ennuient
tellement au travail qu’ils passent leur temps à télécharger des séries
ou à réactualiser leur page Facebook. Ceci dit, il nous semble que les
« vrais » boulots de merde, ce sont quand même plutôt ceux qui sont
exercés en bas de l’échelle sociale dans les secteurs du nettoyage, de
la restauration, de la livraison à domicile, de la distribution de
prospectus publicitaires, etc. Bref : des métiers pénibles où l’on paie
de sa personne, qui participent à la croissance du PIB et à la baisse
des chiffres du chômage.
Nous pouvons y ajouter les boulots « utiles » comme les infirmières,
les professeurs ou les facteurs, dont les conditions se sont tellement
dégradées qu’ils deviennent vraiment « merdiques » eux aussi. Nous avons
voulu incarner ces vies et tracer un lien avec les gestionnaires de
patrimoine et autres héros financiers tels que les journalistes
boursiers, qui exercent des métiers nuisibles socialement : les
gestionnaires de patrimoine font partie des organisateurs de ce qui est
appelé béatement « l’optimisation fiscale » et qui prive la collectivité
des recettes de l’impôt. « À la faveur de l’entassement des richesses dans les mains
d’une élite de plus en plus dodue et capricieuse, le secteur des tâches
domestiques où l’on s’abaisse devant son maître se répand », dites-vous.
Pouvez-vous détailler ?
Entre 1995 et 2010, dans le monde, le nombre de travailleuses
domestiques a grimpé de plus de 60 %. 52 millions de femmes exercent ces
« métiers ». Cette hausse correspond à la montée des inégalités. On
revient à une économie de type féodale, une économie de la domesticité
dans laquelle les plus riches sous-traitent leur confort en employant
une nounou, ou bien une, deux ou trois bonnes. Le tout avec le soutien
de l’État puisque, par exemple, la gauche plurielle de Lionel Jospin a
instauré en France le subventionnement de tous ces métiers via les
crédits d’impôts.
Des métiers que l’on croyait disparus, parce que réservés à une
époque de semi-esclavagisme, refont leur apparition, comme les cireurs
de chaussures, parfois avec l’étiquette « économie sociale et
solidaire ». Suite à un appel à projets lancé en 2012 dans le
département des Hauts-de-Seine, sous l’égide de Jean Sarkozy, le réseau
« les Cireurs » a ainsi obtenu 50 000 euros de subvention au titre de
« l’aide à l’économie sociale et solidaire ». Fondé par une diplômée
d’école de commerce, ce réseau réunit des individus qui, en contrepartie
du droit d’usage de l’enseigne (censée appâter le chaland), acceptent
d’être auto-entrepreneurs. Pas d’indemnités en cas d’arrêt maladie,
aucun droit aux allocations chômage.
Au lieu d’un salaire, le cireur touche un cachet horaire sur lequel
il doit payer lui même une taxe de 23 %. De son côté, la structure
démarche des centres commerciaux pour leur vendre l’implantation de ses
« artisans cireurs ». Les cireurs paient de leur poche le matériel et
l’habillement. S’ils n’ont pas les moyens d’investir, ils peuvent
obtenir un prêt accordé par l’association pour le droit à l’initiative
économique à un taux d’intérêt compris entre 6 et 8 % ! Au final, la
rémunération du cireur est maigre, sa précarité totale. Mais on nous
vend un métier « renouvelé », avec des gens qui travaillent « pour
eux », sous prétexte qu’ils ne sont pas salariés. « Je ne gagne pas un Smic, ça c’est clair », dit un cireur de
chaussures que vous citez. Mais les auto-entrepreneurs ne sont pas les
seuls à travailler à bas coût. Vous expliquez que des millions de
salariés travaillent bien en-deçà du Smic.
On entend partout que le Smic c’est « l’ennemi de l’emploi ». Mais le
Smic n’existe plus depuis longtemps. Il existe de nombreuses manières
de passer outre le salaire minimum. Par exemple, le CDI à temps partiel,
avec la pré-quantification du temps de travail. C’est ce qui a été
négocié par les géants de la distribution de prospectus publicitaires,
Adrexo et Médiapost. Les salariés que nous avons rencontrés travaillent
30% de plus en moyenne que ce qui est indiqué sur leur contrat, et que
ce qui leur est payé. Un couple de retraités touchait à peine trois
euros de l’heure, soit deux fois et demi moins que le Smic ! La
convention collective de la restauration est un autre moyen de faire
travailler les gens gratuitement : les heures supplémentaires ne sont
pas payées. Résultat ? Les salariés sont payés 24 heures, et en font 60.
Le reste étant – parfois – payé au black. Dans les secteurs où la
France est championne – le tourisme, la grande distribution,
l’hôtellerie-restauration… –, il y a au moins deux millions d’emplois
payés entre 25 et 80 % du Smic !
Il y a en fait une vraie fascination du patronat pour le travail
gratuit, et les dirigeants politiques s’empressent de leur donner des
outils juridiques qui légalisent cette gratuité : prenons le service
civique payé deux fois moins qu’un Smic – et même seulement 1/10ème du
Smic pour l’employeur – ; ou encore le contrat de professionnalisation
auquel recourt beaucoup la grande distribution : pour 150 heures de
formation théorique – qui consiste en fait à remplir des rayons ou à
faire du nettoyage – l’entreprise touche 2 250 euros par contrat. Le
dispositif coûte des millions d’euros aux contribuables chaque année. Y a-t-il là une spécificité française ?
La grande distribution, c’est une spécialité française. Et le secteur est friand de boulots dégradés. Le projet Europacity
(immense centre commercial à proximité de Paris, ndlr), du groupe
Mulliez et de sa filiale Immochan, c’est la promesse de 10 000 boulots
de merde. Autre secteur passionné par cette économie du « larbinat » :
le tourisme. Dans les Alpes, des vallées entières sont de véritables
réservoirs à larbinat : tout le monde travaille pour les quelques
privilégiés qui peuvent se payer des sports d’hiver. Il y a des contrats
prévus pour les CDI à temps partiels, les intermittents, les apprentis,
les stagiaires, etc. Précisons que la France est aussi championne du
monde des anti-dépresseurs et des médicaments, notamment pour supporter
tous ces travaux infernaux. Le secteur privé n’est pas le seul à malmener les
travailleurs. Les fonctionnaires sont eux aussi essorés par les
« restructurations » de services et les suppressions de postes en
pagaille. Que vous-ont raconté les fonctionnaires que vous avez
rencontrés ?
L’obsession pour la réduction des effectifs est un drame. Tout le
monde semble s’accorder pour dire qu’il est important de réduire le
chômage. C’est constamment dans la bouche des responsables politiques.
Mais la phrase d’après, c’est : « Je m’engage à virer 500 000 fonctionnaires ».
Parce qu’ils n’arrivent pas à se figurer que des métiers qui ne
dégagent pas de marge financière puissent néanmoins être utiles. Tout
doit être « rentable ». Nous payons des années de convergence
idéologique entre les élites politiques et les détenteurs du capital.
Les gens chargés de « réorganiser » drastiquement le CHU de Toulouse, où
nous avons fait un reportage, sortent d’écoles de commerce. Ils ont
officié chez Carrefour, Pimkie et Danone. Ils se retrouvent à gérer sur
ordinateur de l’humain, alors qu’ils ne connaissent que les chiffres.
Les aides soignantes et les infirmières sont censées remplir des
chiffres bêtement sans se poser de questions. Elles doivent soigner tant
de malades en une journée, peu importent les spécificités des personnes
malades ou les imprévus. Elles ont tant à faire en si peu de temps que
leur travail est devenu impossible (Ndlr : lire notre article sur le
sujet : Sauver des vies en temps de crise : le difficile quotidien des infirmiers).
En fin de journée, elles sont épuisées et complètement stressées parce
qu’elles ne savent plus si elles ont posé correctement telle perfusion,
donné tel médicament à la bonne personne au bon moment...
Tous les services publics sont touchés par cette recherche de
rentabilité. Les facteurs se sont ainsi transformés en vendeurs de
systèmes de télésurveillance, ou en promeneurs de chiens. L’objectif est
de soutirer de l’argent à cette importante manne financière que sont
les vieux en France. Cela porte évidemment atteinte à la dignité des
facteurs, qui ont toujours aidé les plus anciens au cours de leurs
tournées, mais gratuitement ! Les policiers de leur côté sont devenus
des machines à gazer des manifestants ou des réfugiés. Certains en
ressentent un certain malaise. Être obligé de reconduire tant de
migrants à la frontière chaque année, cela n’est pas sans conséquences
mentales sur les personnes. Vous expliquez que tous ces « remaniements » de services
publics sont inspirés du « lean management », une méthode élaborée dans
les années 1950 au Japon par les ingénieurs de Toyota, et revue par le
très libéral Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis
au début des années 1990. Comment cela se traduit-il dans le monde du
travail ?
Le « lean management » est devenu la marotte des directions de
ressources humaines, et s’immisce et se propage dans tous les secteurs
du monde du travail : dans les multinationales ou les services publics,
chez les gros industriels et les sous-traitants. Il consiste à imposer
aux salariés de faire plus avec moins, en s’attaquant notamment à tous
les temps morts : les pauses jugées superflues, les respirations
qualifiées d’improductives, toutes les minutes qui ne sont pas
« rentables ». Dans nos reportages, tout montre que les travailleurs
n’arrivent pas à faire face à cette intensification du travail. Ce qu’on
leur impose en terme de rythme et d’objectifs n’a plus de sens. Nous
nous dirigeons vers un état de souffrance au travail généralisée. Il y a
des vagues de suicides partout. Et on parle là des secteurs de la santé
ou de l’éducation : ce sont des secteurs fondamentaux de notre vie
sociale. Tout cela ne se fait-il pas avec le prétendu assentiment des
salariés, que l’on somme de participer au changement organisationnel ?
Si. C’est toute la perfidie du « lean management ». On donne aux
salariés l’illusion qu’ils peuvent changer le système ; en fait on les
oblige à accepter de se faire humilier. C’est le principe de la bonne
idée rémunérée chez PSA : 300 euros pour l’idée simple, 500 euros pour
la super idée, 1 000 euros pour l’excellente idée. On fait croire aux
salariés qu’ils sont d’accord et qu’ils valident le système. Alors que
c’est faux, bien entendu. Neuf salariés sur dix pensent qu’ils ont
besoin de plus de collègues, et de plus de temps pour pouvoir bien faire
les choses. Un infirmer de Toulouse nous a expliqué qu’il a besoin de
moins de produits anesthésiants lorsqu’il prend le temps de parler avec
ses patients avant de les endormir. Mais ce n’est pas du tout intégré
par la nouvelle organisation. Il doit faire vite, endormir tant de
patients en une journée, peu importe si pour cela il doit consommer plus
de produits. Toute cette organisation du travail a des effets
criminels : il y a eu quatre suicides cet été à l’hôpital de Toulouse. En France, la « loi travail », qui a fait l’objet d’une
intense mobilisation durant l’année 2016, a-t-elle pour conséquence
d’entériner ces méthodes ?
Avec cette loi, qui vise à faire passer le code du travail au second
plan, on s’éloigne encore davantage du principe « une heure travaillée =
une heure payée ». Elle est taillée sur mesure pour les entreprises qui
veulent en finir avec le salariat. L’article 27 bis précise par exemple
qu’il n’y a pas de lien de subordination entre les plate-formes de mise
en relation par voie électronique comme Uber et les auto-entrepreneurs
qui travaillent pour elles. C’est ce lien qui définit le salariat et
permet entre autres aux travailleurs d’aller aux Prud’hommes faire
valoir leurs droits. On désarme complètement les travailleurs, alors
qu’ils subissent un vrai lien de subordination – ce sont les
plate-formes qui leur donnent du travail, évaluent les travailleurs et
les sanctionnent – sans les compensations garanties par le statut
salarié.
Un livreur à vélo pour une « appli » de repas à domicile le souligne dans notre livre : « Pour
arriver à un salaire intéressant, il faut travailler une soixantaine
d’heures par semaine. Sur ce revenu, il faut payer environ 23% d’impôts
au titre de l’auto-entrepreneuriat. L’arnaque totale. T’es taxé alors
que eux, tes patrons, ils ne paient aucune cotisation sociale. » Les
livreurs sont incités à aller très vite, quitte à frôler les accidents,
étant donné qu’ils sont payés à la course. Et celui qui tombe de son
vélo, il se fait non pas virer, mais « éliminer ». Il « quitte le jeu »,
en quelque sorte. Il ne touche plus aucun salaire, ni aucune indemnité.
C’est un système d’une violence incroyable, qui se fait passer pour
cool, jeune et dynamique. Les livreurs n’ont pas le droit au scooter,
ils ne doivent rouler qu’à vélo – qu’ils doivent se procurer eux-mêmes –
parce que cela donne une image écolo à l’entreprise... Vous reprochez aux médias leur complicité avec ces conceptions très libérales du travail...
Les médias jouent un rôle central dans la diffusion de cette idée
sous-jacente que la précarisation est nécessaire. Il faut travailler
pour avoir une existence sociale quels que soient l’emploi et les
conditions de travail. Le fait de donner chaque mois les chiffres du
chômage nous plonge dans une vision statisticienne du monde, avec cet
objectif de faire baisser le chômage quoi qu’il en coûte. Les
journalistes relaient avec beaucoup de zèle cette idée selon laquelle « mieux vaut un mauvais travail que pas de travail du tout ».
Cela devient légitime d’accepter un boulot de merde simplement parce
qu’il est proposé. Évidemment, pour rien au monde les journalistes ne
feraient ces boulots de merde. Nous avons là une vision de classe.
Les médias jouent aussi beaucoup avec la culpabilisation du chômage,
en répétant sans cesse à quel point c’est honteux de ne pas travailler,
et en enchaînant les « Une » sur les avantages de l’auto-entreprenariat.
Nous sommes étonnés de constater, même autour de nous, à quel point les
gens ont honte de dire qu’ils touchent des prestations sociales. Alors
que cet argent, les gens l’ont cotisé, via leurs boulots antérieurs. Ce
sont des garde-fous qui ont été mis en place pour éviter que des gens ne
tombent dans la misère totale. Les médias sont par ailleurs très sévères quand ils décrivent
les luttes sociales, comparant volontiers les grévistes avec des
preneurs d’otages, ou les manifestants avec des casseurs. Entre ces
jugements très négatifs et la répression qui va grandissante, les luttes
collectives peuvent-elles se faire une place, et redonner du sens au
travail ?
Il nous semble que le patronat va tout faire pour imposer l’idée
selon laquelle il faut qu’on accepte cette société de mini-jobs, sans
salaire minimum, avec des contrats « modernes », c’est-à-dire au rabais,
davantage proche de l’auto-entrepreunariat que du salariat avec ses
« acquis » sociaux qu’ils jugent « insupportables ». Au niveau juridique
et législatif, tout est bouché. L’inspection du travail est attaquée de
front. Les procédures prud’hommales engendrent parfois plus de cinq ans
d’attente – et de paperasse – pour obtenir réparation et se faire
rembourser l’argent volé. C’est un combat très inégal.
La criminalisation des mouvement sociaux et la répression des luttes
collectives répondent à l’obsession politique clairement formulée qui
vise à désarmer la CGT : ils veulent empêcher les travailleurs de
reprendre le contrôle de leur travail et d’exercer leur capacité de
nuisance sociale afin d’inverser un rapport de force. Cela indique que
le patronat et ses relais politiques sont prêts à un affrontement,
qu’ils exigent même la violence de cet affrontement.
Ils veulent faire sauter les derniers verrous, ils veulent une
société sans filets, où quelques privilégiés auront accès à des métiers
survalorisés socialement et correspondant même à des compétences, tandis
qu’en bas, ils poseront les jalons d’une société de logisticiens du
dernier mètre payés à la tâche, esclaves des machines et de
l’auto-exploitation auquel le capitalisme les auront assignés presque
naturellement. Et lorsque le logisticien sera remplacé, il pourra
toujours louer sa maison, sa guitare, sa voiture, pourquoi pas vendre
père et mère, pour ne pas sombrer dans la misère ni « vivre avec la
honte » d’être un « assisté ». On va sans doute aller vers une
radicalisation des mouvements sociaux. Avec une grande répression
derrière. C’est la seule possibilité pour le libéralisme économique de
continuer à structurer nos vies : par la force.
Propos recueillis par Nolwenn Weiler
Julien Brygo et Olivier Cyran, Boulots de merde, du cireur au trader. Enquête sur l’utilité et la nuisance sociale des métiers,
éditions La Découverte, septembre 2016, 240 pages, 18,50 euros.
Pour le commander chez une librairie proche de chez vous, vous pouvez vous rendre sur La librairie.com.
Bonjour tout le monde,
Un petit mail d’espoir et de colère, une demande d’aide aussi.
Le projet de centre commercial Val Tolosa contre lequel nous luttons
depuis plus de 10 ans prévoit de lancer les travaux lundi, en commençant
par décaper le terrain et les espèces protégées qui sont dessus. Le
dernier hic en date ? La préfecture et la mairie ont pris fait et cause
pour le projet, au point de faire fi des décisions juridiques. Après la
mairie qui accorde un nouveau permis (illégal la zone ayant été classée
non constructible) en 2016 après l’annulation du précédent permis par la
justice, c’est la préfecture qui accorde cette en 2017 une nouvelle
autorisation de destruction d’espèces protégées, alors que la précédente
a été jugée illégale 2 fois !
Accordée en 2013, cette autorisation de la préfecture a été annulée
une première fois en 2016 par le tribunal administratif de Toulouse,
celui-ci ne reconnaissant pas le caractère d’intérêt public majeur du
projet de centre commercial (mis en avant par la préfecture pour
délivrer l’autorisation). Le promoteur Unibail Rodamco a fait appel de
cette décision, et l’affaire est partie à Bordeaux. Voilà un peu plus
d’un mois, le rapporteur public rendait son avis sur le cas au tribunal,
pour aider le juge à se prononcer. Dans la grande majorité des cas, les
juges se rangent à l’avis de l’enquêteur public. Celui-ci a appuyer
l’annulation de l’autorisation du juge en première instance, appuyant sa
position par le fait que ce projet ne tient pas compte des destructions
d’emploi, qu’il est hors de son époque, qu’il n’y a pas de transports
en commun de prévu, que la zone est déjà encombrée par les bouchons aux
heures de pointe, et que la situation ne fera qu’empirer, etc... Bref,
que ce centre commercial n’est pas ce que nous vend ses promoteurs.
Suite au rapport de l’enquêteur public, le juge a un mois pour se
prononcer. La décision du juge était donc attendue pour le 13 juillet.
Et le 13 juillet, le juge se range à l’avis du rapporteur public,
confirmant l’annulation de l’autorisation de destruction d’espèces
protégées, reconnaissant les arguments du rapporteur.
Mais le 19, la préfecture publie dans son journal la nouvelle
autorisation de destruction d’espèce protégée (demandée dès 2016 par le
promoteur), datée du 12 juillet !
Le préfet n’a donc cure des décisions de justice, et les bafoue même
en accordant sa nouvelle autorisation la veille du jugement en appel de
la précédente autorisation, celui-ci ayant de forte chance de confirmer
son annulation.
Et voilà, la justice annule un permis de construire, le maire en
délivre un autre dans la foulée. La justice annule une autorisation de
destruction d’espèces protégées, ne lui reconnaissant aucune légitimité,
le préfet en accorde une autre...
Et quand des gens décident de s’opposer physiquement aux machines
pour que ce ne soit plus les magouilles de ceux qui sont aux manettes
qui décident de tout, au mépris des populations, de la nature, et même
de la justice, on les traite de voyous, casseurs,...
Mais dans cette histoire, comme à Sivens, Notre Dame des Landes ou dans d’autres lieux de lutte, c’est qui les voyous ?
Je rappelle qu’un préfet n’est pas sensé prendre parti dans les
luttes pouvant avoir lieu sur son territoire, mais simplement veiller
aux respect des lois et à la sécurité de tous. Ou est le respect des
lois ? Et la sécurité quand il sait pertinemment que ses décisions vont
provoquer des affrontements sur le terrain ?
Alors oui, nous allons avoir besoin d’aide. Lundi démarre la lutte
contre les travaux. Objectif ? Empêcher ceux-ci de démarrer en attendant
que la demande de référé lancée par notre avocate soit reçue et jugée,
pour suspendre les travaux. Objectif du promoteur ? Détruire les espèces
protégées avant que celui-ci ne soit jugé, pour mettre en avant que les
espèces protégées ne sont déjà plus là, politique du fait accompli.
A ceux qui refusent ce cynisme, et refusent de laisser l’argent et
les magouilles décider pour nous, répondez à ce mail ou à mon tel 06 14
94 29 78).
Ça se passe à Plaisance du Touch, à 15km à l’ouest de Toulouse.
La lutte continue,
Tanguy Aubé du Collectif Non à Val Tolosa
PS : message à diffuser le plus largement possible
Cet
été, après avoir baissé ou supprimé les APL de 80 000 ménages aux
loyers élevés, le gouvernement revient avec un nouveau projet de
rabotage. Cette fois, 650 000 foyers sont menacés ! Le gouvernement
pénalise les personnes modestes en taxant le peu d’économies qu’elles
réussissent à conserver.
Il s’agit d’inclure les livrets A, les livrets développement durable,
les livrets d’épargne populaire et les maisons familiales dans le
calcul de ces aides.
Concrètement, une maison de famille qui ne peut
pas être utilisée comme résidence principale du fait de sa
localisation, sera considérée comme produisant un revenu. Pour l’épargne
défiscalisée, la CAF considérera qu’elle produit un revenu de 3% -
quand en réalité le livret A n’est rémunéré qu’à hauteur de 0,75%. C’est
une fiscalisation déguisée des produits d’épargne des ménages. Pour
faire des économies, le gouvernement s’attaque aux foyers modestes, déjà
bien mal en point dans un contexte de montée du chômage et de la
pauvreté. En revanche, il ne touche pas aux 2 milliards d’euros de
niches fiscales pour les propriétaires bailleurs qui profitent aux
classes les plus aisées de la société.
La CNL exige du gouvernement l’abandon de ce projet, la
revalorisation des aides au logement et l’augmentation de son
financement pour la construction de logements sociaux.
Promesse de campagne du président Macron, les États généraux de
l’alimentation ont démarré ce jeudi et se poursuivront jusqu’en
novembre. Centré sur les questions des
modèles de production et de la situation des agriculteurs, leur
programme ne place pas l’agriculture biologique au cœur des débats. « Engagée depuis 2013, l’actuelle révision de la réglementation européenne fait craindre la disparition de [ses] principes fondamentaux », alertait Claire Lecœuvre en juin dernier.
Un label agricole toujours moins exigeant
Quand le bio dénature le bio
Démarche vertueuse en
termes d’emploi, d’utilisation des ressources et de santé publique,
l’agriculture biologique progresse rapidement en France. Alléchées,
l’industrie agroalimentaire et la grande distribution entendent bien
s’emparer de ce marché. Au risque d’en effacer les fondements en faisant
pression sur la Commission européenne pour réduire les exigences de
qualité.
par Claire Lecœuvre
«Rien ne ressemble plus à une pomme qu’une autre pomme, lance M. Claude Gruffat, président-directeur général de Biocoop. Ce qui fait la différence, ce sont les valeurs. » L’agriculture biologique représente désormais 5,7 %
des surfaces agricoles françaises, soit trois fois plus qu’en 2002. Ce
marché en pleine croissance attire d’importants groupes de
transformation et de distribution, alors que les grandes surfaces
alimentaires vendent déjà près de la moitié des produits estampillés « bio » (45 % pour la France en 2015). « La bio n’est plus vue comme une valeur agronomique ; elle est de plus en plus valorisée comme n’importe quelle niche de marché », constate Benoît Leroux, maître de conférences en sociologie à l’université de Poitiers.
L’agriculture biologique est née d’une contestation de la production
intensive et du modèle économique de l’industrie agroalimentaire. Les
approches alternatives apparaissent dès les années 1920, tandis que les
premiers groupes se structurent entre 1950 et 1960 (1).
Créée en 1964, l’association Nature et Progrès permet la reconnaissance
du mouvement. Celui-ci milite pour redonner aux agriculteurs une plus
grande autonomie vis-à-vis des intermédiaires. Pour gagner la confiance
des consommateurs, nécessaire à la valorisation de leurs produits et à
leur développement, les militants entrent dans une phase
d’institutionnalisation.
En 1978, Nature et Progrès met en place le premier cahier des charges
technique, tandis qu’est créée la Fédération nationale d’agriculture
biologique (FNAB). La Fédération internationale du mouvement de
l’agriculture biologique (Ifoam) détermine un peu plus tard quatre
grands principes : la santé des sols, des plantes, des animaux et des
hommes, considérée comme une et indivisible ; l’écologie, en s’accordant avec les écosystèmes et leurs cycles, en les imitant et en les aidant à se maintenir ; l’équité, à la fois dans les rapports entre les êtres humains et à l’égard des autres créatures vivantes ; et la précaution, par une conduite prudente et responsable.
Producteurs sous pression
« L’État français ne reconnaît qu’en 1980 une agriculture qui n’utilise pas de produits de synthèse, explique Benoît Leroux. Il faut même attendre 1988 pour que le nom d’“agriculture biologique” soit adopté comme tel. »
Cette reconnaissance ne prend en compte que l’absence de pesticides,
évacuant d’emblée la vision sociale portée par les paysans. Cette
logique se perpétue en 1991, lors de la création de la réglementation
européenne. Depuis, l’harmonisation imposée par l’Union européenne n’a
pas arrangé les choses. La première révision, appliquée en 2009, a
entraîné la disparition de la possibilité pour chaque État d’imposer un
cahier des charges plus rigoureux, comme c’était le cas en France.
Engagée depuis 2013, l’actuelle révision de la réglementation
européenne fait craindre la disparition de principes fondamentaux. Les
batailles entre le Conseil des ministres, le Parlement et la Commission
européenne, censées aboutir prochainement à un nouveau règlement
européen, témoignent de la volonté de certains gouvernements de
favoriser l’agro-industrie. Après quatorze trilogues (2)
et quatre présidences du Conseil des ministres, soit la plus longue
négociation agricole de l’histoire, aucun accord n’a été trouvé sur
plusieurs points litigieux.
Exemple : le Conseil des ministres européen souhaite autoriser (sous
conditions de latitude ou d’altitude) la culture hors sol. Imaginer des
cultures en bacs qui faciliteraient une industrialisation fait bouillir
des associations comme la FNAB. Les ministres invoquent son acceptation
aux États-Unis pour l’imposer en Europe, au nom de la concurrence et de
la reconnaissance mutuelle des cahiers des charges. « Les Pays-Bas — principal pays producteur de tomates en Europe — soutiennent cette proposition, explique le député européen José Bové. Comme l’Italie et le Luxembourg. »
Alors que les membres du Groupe des Verts - Alliance libre européenne
martelaient qu’ils ne fléchiraient pas, des voix se sont fait entendre
pour réclamer l’arrêt des négociations.
Autre point de blocage : le passage d’une obligation de moyens (ne
pas utiliser de produits chimiques) à une obligation de résultats
(retrait de la certification si de tels produits sont décelés). Or des
contaminations peuvent se produire en provenance de champs voisins. Mais
le Conseil des ministres ne veut pas entendre parler d’un fonds
d’indemnisation des agriculteurs bio concernés, ni de la mise en cause
des véritables responsables.
Pour Ève Fouilleux, directrice de recherche au Centre national de la
recherche scientifique (CNRS), le problème est plus profond.
Aujourd’hui, les agriculteurs sont contrôlés par des organismes
certificateurs privés, indépendants et payés par le producteur. En
France, ceux-ci sont accrédités par une section du Comité français
d’accréditation (Cofrac), un organisme public. Cette manière de procéder
a été imposée par les normes européennes (3).
Il en existe une autre : le système participatif de garantie, reconnu
notamment par le Brésil, le Chili et l’Inde. C’est celui qu’utilise
Nature et Progrès, dont la certification n’est pas reconnue par l’Union
européenne. Les agriculteurs ainsi que les consommateurs se réunissent
localement par groupes pour vérifier les pratiques de chacun. « Les
normes actuelles enferment dans une pensée marchande et entraînent une
dépolitisation. Le système participatif permet au contraire un échange
de pratiques et l’implication de consommateurs et de citoyens dans le
processus », fait valoir Ève Fouilleux (4).
Dans ce contexte, une grande diversité d’agriculteurs bio et de
transformateurs a vu le jour. Derrière un discours environnemental bien
lisse, les arguments économiques conduisent à saper les normes
internationales au nom de la rentabilité. Carrefour, Monoprix, Système U
créent de nouvelles filières, des marques de distributeur, des magasins
spécialisés, en investissant dans des partenariats avec des groupements
de producteurs. « Pour l’instant, la demande demeure si forte que les prix sont corrects. Celui du lait est de 30 à 40 %
supérieur à celui du conventionnel. Il ne faudrait pas que, sur le long
terme, les prix soient tirés vers le bas. Or cela a toujours été la
politique des grandes et moyennes surfaces [GMS] »,
analyse Marc Benoît, économiste et codirecteur du Comité interne de
l’agriculture biologique de l’Institut national de la recherche
agronomique (INRA). Une fois que la grande distribution aura la mainmise
sur ce marché, elle risque de faire pression pour réduire les coûts.
La filière œufs préfigure-t-elle l’évolution en cours ? Son cahier des charges limite le nombre de poules par bâtiment à trois mille ;
mais il ne limite pas le nombre de bâtiments et prévoit un espace plus
petit que le Label rouge (quatre mètres carrés par poule au lieu de
cinq). En Italie, l’entreprise Eurovo se vante de posséder des élevages
bio de 90 000 et 250 000 poules pondeuses près de Florence. Les
impératifs de rentabilité ont largement pris le pas sur les valeurs de
la bio. En France, 78 % des œufs bio sont
vendus dans les GMS et les magasins spécialisés dans les rabais. Les
producteurs restent très dépendants des fournisseurs d’aliments, même si
20 % de la nourriture des animaux doit provenir de l’exploitation ou, à défaut, de la région. « Très
peu produisent leurs propres aliments en bio. Même s’ils produisent la
matière première, les céréales, ils les revendent au fabricant
d’aliments, car les formules sont très techniques, et plus encore en bio », indique Mme Pascale Magdelaine, la directrice du service économie de l’Institut technique de l’aviculture.
La dépendance est aussi forte à l’égard des centres de
conditionnement qui achètent les œufs aux producteurs pour les revendre
aux supermarchés ou aux industries agroalimentaires. Certaines
entreprises comme Cocorette et Matines proposent d’ailleurs des contrats
d’intégration. Elles achètent tout : les bâtiments, les poulettes, et
fournissent même les aliments — bio, évidemment. Le producteur n’est
alors qu’un simple prestataire qui n’a plus de pouvoir ni sur le prix
qu’on lui paie ni même sur ce qu’il produit et la façon dont il le
produit. Avec les marques de distributeur, les agriculteurs perdent
toute autonomie : « Les marques peuvent facilement changer de centre de conditionnement pour un autre moins cher », témoigne M. Bernard Devoucoux, président de la commission bio du Syndicat national des labels avicoles de France.
La situation n’est guère meilleure dans la filière lait. Producteur, M. Vincent Perrier témoigne d’un problème d’écoute : « Je
suis parti en bio pour travailler différemment. Je cherchais aussi un
modèle de développement harmonieux pour tous. J’ai d’abord continué chez
Danone ; le bio partait pour sa filiale Les
2 Vaches. On me disait seulement : “Il y a un prix et si vous ne pouvez
pas, c’est que vous avez un problème de compétitivité, on va voir
ailleurs.” » Il a préféré claquer la porte et contacter Biolait, qui permet aux producteurs de se regrouper pour mieux peser : « Nous décidons ensemble de notre prix, le même pour tous. »
Se regrouper pour être plus fortes : c’est aussi le but des
coopératives agricoles, dont le fonctionnement n’a pourtant plus rien de
démocratique aujourd’hui. Conscients de ce risque de dérive, les
adhérents de Biolait et de bien d’autres structures, tel Biocoop pour la
distribution, essaient de ne pas tomber dans les mêmes travers en
conservant une vision commune : celle du changement de société. « La
capacité collective des producteurs à peser sur le changement d’échelle
est un des garde-fous de cette transformation. C’est ce qu’essaient de
faire des organisations économiques de producteurs biologiques comme
Biolait, Bio Loire Océan, BioBreizh et d’autres », explique Ronan Le Velly, maître de conférences en sociologie (5).
Défendu fermement par la FNAB, l’accompagnement des agriculteurs joue
un rôle-clé. Dans un système biologique, la reconfiguration globale de
l’exploitation — et pas seulement la substitution d’intrants chimiques
par d’autres agréés en bio — s’avère essentielle pour perdurer dans le
temps. « Les agriculteurs bio qui
réussissent sont ceux qui ont un système complexe. Il n’y a pas de
recette unique. Les agriculteurs ont besoin de connaissances
agronomiques, et bon nombre d’entre eux ont perdu ces bases-là », analyse Marc Benoît.
Une approche uniquement technique
« Aujourd’hui, les agriculteurs bio sont pour la plupart des nouveaux convertis ou installés, observe Benoît Leroux. Certes,
il existe maintenant des formations en bio. Mais il y a une forme
d’atavisme professionnel. L’agriculture biologique remet en question le
modèle considéré comme celui du progrès. Dans le milieu, la bio est
toujours décriée comme étant incapable de nourrir la planète. »
Incarnation du productivisme, la Fédération nationale des syndicats
d’exploitants agricoles (FNSEA) dispose pourtant désormais de sa propre
commission bio. « Si on ne fait que
répéter qu’il faut une modification totale de l’exploitation, en
culpabilisant les gens, les agriculteurs ne vont pas se convertir », affirme M. Rémy Fabre, l’un de ses membres.
Du côté des chambres d’agriculture, on explique que les possibilités
d’accompagnement sont limitées par l’impératif d’efficacité économique :
« Nous avons des moyens contraints. Un conseiller agricole ne peut pas se contenter d’accompagner dix agriculteurs ;
il doit suivre quatre-vingts à cent exploitations. Il n’y a que des
groupements bio, des syndicats, qui peuvent faire ce travail pour
défendre leur système de pensée, estime M. Jacques Pior, responsable
national du développement de l’agriculture biologique au sein de
l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture. En tant
qu’organisme public, nous devons nous occuper de tous les agriculteurs,
nous ne pouvons pas opérer une ségrégation entre eux. »
Fin 2016, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, M. Laurent
Wauquiez (Les Républicains), a décidé de transférer l’accompagnement
technique, jusque-là réalisé par des associations réunies au sein de
Corabio, vers les chambres d’agriculture. Cette mesure s’est accompagnée
de la suppression des financements aux associations de soutien à
l’agriculture paysanne telles que Terre de liens. Or, si les chambres
d’agriculture détiennent de réelles compétences, la généralisation d’une
approche exclusivement technique exclut toute vision philosophique ou
éthique.
En s’intégrant aux circuits classiques et aux logiques financières
dominantes, l’agriculture biologique, censée représenter une solution de
rechange à un système global, ne risque-t-elle pas de perdre son âme ?
Déjà, une bio à deux vitesses se dessine. La première, guidée par les
nouveaux acteurs de ce marché, se cale sur un respect minimal des
normes, quitte à reproduire les aberrations et les inégalités du système
conventionnel. La seconde tente de préserver sa spécificité en
renforçant ses engagements par des chartes, des labels plus exigeants ou
des groupements de producteurs. Reste à savoir si les consommateurs
auront les moyens de faire la différence.
(2)
Réunions tripartites informelles auxquelles participent des
représentants du Parlement européen, du Conseil et de la Commission.
(3) Ika Darnhofer, Thomas Lindenthal, Ruth Bartel-Kratochvil et Werner Zollitsch, « Conventionalisation of organic farming practices : From structural criteria towards an assessment based on organic principles », Agronomy for Sustainable Development, vol. 30, no 1, Les Ulis, mars 2010.
(4) Ève Fouilleux et Allison Loconto, « Voluntary
standards, certification and accreditation in the global organic
agriculture field : A tripartite model of techno-politics », Agriculture and Human Values, vol. 34, no 1, Berlin, 2016.
(5) Ronan Le Velly, Sociologie des systèmes alimentaires alternatifs. Une promesse de différence, Presses des Mines, Paris, 2017.