Il
y a un an, en juillet 2016, la Commission européenne entamait une
procédure pour "déficit excessif" contre le gouvernement de Lisbonne. Le
Portugal risquait une amende, selon Bruxelles, puisque il était censé
ramener son déficit à 2,5 % de son PIB en 2015 au lieu des 4,4 %
annoncés. La procédure a été abandonnée un mois plus tard. Etonnement,
la France n'était pas soumise à la même pression, alors qu'elle n'avait
pas — elle non plus — tenu ses engagements : 3,4% de déficit au lieu des
3% requis. Depuis, le phénomène s'est radicalement inversé : le
Portugal a réduit son déficit à 2,1% en 2016 et devrait le ramener à
1,5% cette année. La France, elle, a abaissé péniblement son déficit à
3,3% en 2016 et table sur 3,2% cette année quand elle s'est engagée à
atteindre... 2,8%. L'Espagne est encore à 4,5%.
Mais l'économie portugaise n'a pas réussi à réduire ses déficits par la
baisse des dépenses publiques, des réformes structurelles du travail
visant à "assouplir" les droits des salariés, ou en abaissant les
protections sociales, comme le préconise la Commission européenne. C'est
même l'inverse qui a été pratiquée au Portugal depuis un an et demi. Un
choix qui explique certainement l'irritation très nettement affichée
par Bruxelles au printemps 2016, lors des annonces de Lisbonne.
> Portugal : les audaces de la gauche irritent à Bruxelles
Mesures socio-économiques
Depuis novembre 2015, c’est un gouvernement socialiste qui est au
pouvoir au Portugal, soutenu et poussé par une union des gauches,
composée du Parti communiste portugais, des écologistes, et du "Bloco de
esquerda", le bloc de gauche (gauche radicale).
>Ni austérité, ni populisme : le Portugal suit sa voie de gauche
Les choix économiques et sociaux de ce gouvernement se sont portés sur
une politique clairement anti-austéritaire et antinomique avec celle
pratiquée par le gouvernement précédent, de droite, qui avait gelé le
salaire minimum et les pensions de retraites, augmenté les impôts, et
réduit les aides publiques. Ce qui n'avait pas permis de réduire le
déficit budgétaire ni le chômage significativement, mais avait fait
exploser la précarité et la pauvreté dans le pays.
Le gouvernement du nouveau premier ministre, António Costa, depuis 2
ans, a donc appliqué des réformes qui avaient été déclarées dans son
programme de coalition, en parfaite opposition avec la politique
précédemment menée, comme le souligne cet extrait : "
La politique
d’austérité suivie ces dernières années a eu pour conséquence une
augmentation sans précédent du chômage avec des effets sociaux
dévastateurs sur les jeunes et les citoyens les moins qualifiés, ainsi
que les familles et les milliers de Portugais au chômage. Elle a été
aussi associée à une dévalorisation de la dignité du travail et des
droits des travailleurs."
Le salaire minimum a été augmenté en 2016 puis de nouveau en 2017, en
échange de baisses de cotisations pour les employeurs, de 23% à 22%. Ces
deux augmentations du SMIC portugais ont passé le salaire minimum de
505€ à 557 €. Puis des mesures économiques à vocation sociale — mais
aussi de relance du pouvoir d'achat — ont été prises : augmentation des
retraites et des allocations familiales, renforcements du droit du
travail, baisses des impôts pour les salariés les plus modestes, arrêt
des privatisations de services et d'infrastructures publics, programme
de lutte contre la précarité. Il est aussi prévu de supprimer les coupes
dans les revenus des fonctionnaires et de ramener leur temps de travail
à 35 heures par semaine. Sur le plan purement économique, la stratégie
portugaise n'a pas été non plus en accord avec les demandes de la
Commission, et se sont pourtant avérées payantes.
Politique anti-austéritaire de relance par la demande
Le chômage se situait à 14,4% en 2014, après
une année noire à plus de 16% en 2013, puis s'était stabilisé en 2015 —
mais toujours à un niveau élevé — à 12,2%. En 2016, une nouvelle décrue
l'a fait parvenir à 11,1%, et en 2017, le chômage est à 8,8% au deuxième
trimestre, ce qui laisse envisager, selon les spécialistes, un taux
pour de 9,4% pour l'année entière. Un chômage potentiellement inférieur à
celui de la France. Les projections actuelles des instituts tablent sur
un chômage portugais à 7% en 2019, le plus bas depuis 2004.
Le virage actuel des politiques économiques du pays n'est pas étranger à
cette nette amélioration des créations d'emplois sur deux années
consécutives avec pour conséquence la progression de la croissance du
PIB, évaluée pour 2017 à 2,5%, contre 1,9% pour la zone euro et
seulement 1,5% pour la France.
Le commissaire européen aux Affaires économiques Pierre Moscovici a confirmé ces bons résultats en juillet à Lisbonne, indiquant que "
la réduction du déficit au Portugal est durable" et que "
la croissance sera probablement supérieure à 2,5% en 2017". Malgré tout, l'ancien ministre français de l'économie de François Hollande a tenu à dire au gouvernement portugais que "
sur le plan du marché du travail, il faudra veiller à mieux intégrer les chômeurs de longue durée."
Le ministre de l'économie du Portugal, Caldeira Cabral, explique cette
reprise économique par plusieur facteurs. Le premier est celui d'un
renouveau d'industries orientées à l'export telles que l'automobile, les
chaussures ou encore le textile qui avaient quasiment disparu du
paysage. Les industriels, installés depuis des années dans les pays de
l'Est pour la main d'oeuvre très bon marché, sont en train de revenir
vers le Portugal, à la recherche d'une meilleure qualité professionnelle
tout en conservant des coûts salariaux avantageux. Les investissements
sont effectivement en hausse depuis deux ans, particulièrement dans
l'industrie automobile. Caldeira Cabral pense que la hausse des revenus
joue aussi, en redonnant confiance aux investisseurs, aux entreprises,
avec une demande interne qui augmente et une progression de la
consommation vers des produits de meilleure qualité.
Cette politique de relance par la demande, confortée par une politique
sociale du mieux-disant est dans le même temps tirée par une
revitalisation du tourisme grâce — entre autres — à des projets
immobiliers haut de gamme. Plutôt miser sur la qualité, donc que sur les
prix bas. Pierre Moscovici, sur ce plan, a tenu à souligner, toujours
lors de sa visite de juillet dernier, "
Le retour de l’investissement à la fois externe et interne, les bons résultats des exportations ainsi que le boom du tourisme". Mais sur le plan budgétaire, le Commissaire français a étrangement déclaré que "
les efforts doivent être poursuivis pour réduire le déficit structurel",
alors que le pays est devenu l'un des meilleurs élèves de la classe sur
ce sujet, tandis que la France ou l'Espagne ne le sont toujours pas...
Nouveau modèle portugais très discret
Depuis la crise financière de 2008 et celle des dettes souveraines de
2010, la plupart des pays du sud de l'Europe n'ont pas réussi à sortir
la tête de l'eau : les déficits budgétaires sont souvent supérieurs aux
critères européens, le chômage y est toujours très élevé, les problèmes
sociaux causés par la précarité persistent. Les prêts concédés par le
FMI, sous l'égide de la BCE et de la Commission européenne pour aider
ces pays à retrouver un peu de vigueur et payer leurs dettes ont été
tous accompagnés d'obligations de réductions des déficits, par une
baisse des dépenses publiques et des demandes précises, comme le gel des
salaires des fonctionnaires, des pensions de retraite, la baisse des
prestations sociales.
Ces politiques dites d'austérité ont été doublées de réformes
structurelles du marché du travail visant à assouplir les droits des
salariés pour améliorer la compétitivité des entreprises. Ces réformes
du marché du travail sont elles aussi une demande de Bruxelles. La
Grèce, l'Italie ou l'Espagne ont effectué ces politiques d'austérité et
ces réformes sans succès concret. Tout comme le Portugal jusqu'en 2015.
L'Italie, si elle a baissé ses dépenses et a atteint un déficit
inférieur à 3% en 2016, n'arrive pas à faire baisser son chômage qui est
supérieur à 11%. En Espagne, le chômage est à 18,7% au premier
trimestre 2017, et le déficit public ne colle toujours pas aux critères
de Bruxelles : 3,6% en 2016. L'échec des politiques de rigueur
budgétaire accompagnés des "assouplissements du marché du travail" ne
permettent visiblement pas de faire repartir ces économies.
Le Portugal a démontré depuis 2 ans, qu'une politique — inverse aux
politiques austéritaires, et donc basée sur une relance par la demande
et l'amélioration des protections sociales — pouvait fonctionner. Ce que
le FMI avait déjà confirmé en 2016 en annonçant à propos de la Grèce
que "
l'austérité ne fonctionnait pas". De là à préconiser une
politique sociale de relance en Europe, le pas est un peu grand pour
l'institution internationale qui a toujours été favorable au
désengagement financier social des Etats et à la privatisation de leurs
infracstructures et services.
Malgré tout, si l'exemple portugais était mis en avant, il pourrait être
une piste intéressante de redressement "par le haut" des Etats de la
zone euro encore affectés par la crise. Une sorte d'espoir de changement
économique et social permettant une sortie de crise. A moins que le
modèle économique allemand, de plus en plus contesté pour ses effets
sociaux négatifs, ne cède la place au modèle suédois qui semble attirer
des dirigeants politiques, dont Emmanuel Macron ?
>Suivre le modèle allemand ? Chiche ! (Article de février 2012)
Le modèle suédois reste malgré tout difficile "à vendre", bien que sa
réussite économique soit réelle : ce pays n'est pas dans la zone euro,
possède depuis longtemps l'un des niveaux de vie les plus élevés du
monde, et surtout, ses salariés sont syndiqués à 80%.
Il n'est donc pas certain qu'appliquer les méthodes sociales et
économiques en cours en Suède soit possible si facilement pour des pays
de la zone euro. Le Portugal, par contre, applique lui, des politiques
économiques et sociales connues, et ce, au sein de la zone de la monnaie
unique, l'euro... Pour l'instant, aux vues de ses résultats et de la
vitesse à laquelle ils ont été acquis, il semble que le Portugal ait
surtout un seul défaut : il ne suit pas la ligne dictée par la
Commission européenne.